Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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maniaco-dépressive (psychose) (suite)

On utilise souvent le terme de cyclothymie pour désigner les variations cycliques de l’humeur. À vrai dire, la cyclothymie englobe non seulement les grandes formes de psychose maniaco-dépressive, mais aussi les formes atténuées ou frustes, qui font la transition avec les variations d’humeur des individus normaux. Il est fréquent de rencontrer des « petits cyclothymiques », dont les périodes d’excitation ou de dépression sont modérées, n’entraînent pas une rupture complète de comportement et ne nécessitent pas une interruption complète de l’activité professionnelle.

Habituellement, la psychose maniaco-dépressive atteint des sujets adultes. Souvent, le premier accès à lieu vers 40 ans, parfois plus tard, à l’âge de 50 à 60 ans, voire de 60 à 70 ans. Il n’est pas exceptionnel d’observer des débuts précoces dans l’adolescence. Dans l’ensemble, la psychose est aussi fréquente chez l’homme que chez la femme. Cependant, les accès mélancoliques sont beaucoup plus fréquents chez celle-ci. L’existence de troubles cyclothymiques ou maniaco-dépressifs chez l’enfant a toujours été discutée. Il semble bien qu’il existe aussi dans l’enfance des troubles de l’humeur plus ou moins périodiques, difficiles à reconnaître, car très différents dans leurs symptômes de ceux de l’adulte.


Description de la manie et de la mélancolie


La manie

Au cours de l’accès maniaque, on observe une surexcitation des instincts, des désirs, de l’activité, une insomnie rebelle, une euphorie très anormale avec excès de confiance en soi. Le malade parle et écrit sans cesse, se livre à des projets extravagants, se montre facilement agressif, ironique, sarcastique. Il se sent « en pleine forme » et ne perçoit pas son état comme pathologique. Pourtant, sa pensée, son discours et son comportement sont perturbés de manière évidente : accélération désordonnée de tous les processus psychiques avec fuite des idées, instabilité extrême de l’activité intellectuelle, impossibilité de concentration sur un sujet précis, débridement désordonné de l’imagination avec idées pseudo-délirantes, voire délirantes, car absurdes, choquant l’évidence et peu adaptées à la réalité, propos grossiers et érotiques, ricanements, plaisanteries déplacées, coq-à-l’âne, jeux de mots divers. Les troubles du comportement entraînent tôt ou tard des scandales, des actes relevant de la médecine légale, très variables dans leur nature : fugues, chèques sans provision, tentative de viol, agression, démarches inopportunes, ivresses spectaculaires, attentats à la pudeur, etc. Souvent, les familles des patients sont surprises par les idées de grandeur, les dépenses inconsidérées, l’hyperactivité brouillonne et sans suite, les excès alcooliques répétés, tous éléments qui contrastent avec la personnalité habituelle du sujet. En effet, l’accès maniaque réalise une véritable rupture dans l’existence, un changement total du comportement. Très fréquemment, l’état physique se modifie ; on constate un amaigrissement, des sueurs profuses, un manque d’appétit, des tremblements, une soif ou une faim excessive, un déchaînement de l’activité sexuelle, une instabilité motrice, des insomnies.

Il existe de multiples formes ou variétés cliniques d’accès maniaques, qui peuvent tromper le médecin par leur aspect atypique : formes confusionnelles (du moins à un moment de l’évolution), formes hargneuses sans euphorie, formes anxieuses, formes délirantes, où les idées du malade prennent une allure inquiétante avec des thèmes de persécution, des thèmes mystiques, des thèmes de filiation illustre. À ce propos, certaines manies sont difficiles à distinguer des bouffées délirantes aiguës ou des formes aiguës de la schizophrénie* chez le sujet jeune. Enfin, il existe des formes pseudo-caractérielles de manie, des formes atténuées très fréquentes du type « hypomanie » sans troubles grossiers du comportement. En principe, il n’y a jamais d’hallucinations dans la manie, jamais d’automatisme mental, et le contact reste bon. On dit même que ces sujets sont hypersyntones (en contact étroit avec l’entourage) ; ils ont une sorte de chaleur affective communicative.

L’évolution spontanée est habituellement favorable, mais l’accès peut durer plusieurs mois, voire une année entière. D’où l’intérêt des thérapeutiques modernes qui abrègent le cours de l’excitation : neuroleptiques, sels de lithium, voire électrochocs dans certains cas. Le problème est celui des récidives toujours imprévisibles ou celui du passage à la forme inverse de dérèglement de l’humeur : la mélancolie.

La manie fait partie des psychoses aiguës dans la mesure où le sujet n’est pas conscient ou très imparfaitement conscient du caractère pathologique de ses troubles. Il n’est, d’ailleurs, pas toujours aisé d’amener ces malades au médecin. Dans les grandes formes de manie, l’hospitalisation s’impose toujours avec isolement complet du patient.


La mélancolie

C’est un état dépressif profond de nature psychotique, réalisant une sorte de rupture dans l’existence du malade, une crise durable, mais limitée dans le temps ; d’où le terme d’accès mélancolique. Il s’agit d’un trouble de l’humeur dans le sens négatif (à l’opposé de l’excitation maniaque), d’évolution aiguë ou suraiguë, très sensible aux thérapeutiques psychiatriques.

Dans ses formes les plus typiques, la mélancolie se manifeste par les symptômes suivants : inhibition complète des désirs, des intérêts, des fonctions intellectuelles, de la volonté et de l’activité (cette inhibition est permanente sans variations du début de l’accès jusqu’à la fin) ; douleur morale gravissime avec tristesse profonde, désespoir, remords, idées de culpabilité, d’indignité, idées de ruine, de déshonneur, de damnation, auto-accusation délirante, idées de suicide sous-tendues par un désir d’automutilation. À l’inhibition et à la douleur morale s’ajoutent des signes physiques : insomnie surtout de la deuxième partie de la nuit, maux de tête, troubles digestifs, anorexie, amaigrissement, hypothermie, ralentissement du pouls, troubles de la sudation, de la vasomotricité des extrémités, frigidité, impuissance sexuelle, fatigabilité musculaire extrême, parfois sidération des fonctions motrices.

Tous ces symptômes, aussi impressionnants soient-ils, disparaissent entièrement après une chimiothérapie antidépressive ou une cure d’électrochocs sous narcose, et l’on assiste au retour total à la personnalité antérieure. Le grand danger de la mélancolie réside dans la possibilité d’un suicide et, ultérieurement, dans celle des récidives de l’accès initial.