Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Malinowski (Bronisław) (suite)

Au vrai, parmi les premiers, il a mis en évidence les décalages entre la loi et la pratique sociale, les défis à la tradition auxquels se livrent des autochtones qui échappent à certaines contraintes, les conflits psychologiques entre les relations avunculaires et l’amour paternel dans une société matrilinéaire. S’il n’a pas interprété le changement social comme processus général, du moins a-t-il reconnu, surtout après son voyage en Afrique, l’interinfluence de modèles culturels de force inégale et l’importance de la transmission de nouvelles institutions qui engendrent leur propre déterminisme en modifiant de manière originale le champ social. Mais il demeure cependant vulnérable au reproche d’avoir tu la dynamique interne de transformation des groupes de son « conservatoire » océanien et d’avoir omis de considérer que, si les traits culturels changent, c’est en même temps que réagissent entre eux des hommes et des groupes.


Malinowski aujourd’hui

Pour excellente qu’ait été sa pratique de terrain, Malinowski a été accusé de passer un peu lestement du provincialisme ethnographique à des extrapolations théoriques indues. On a reconnu toutefois dans son souci d’empirisme et de concret, de même que dans son attention aux institutions sociales, la grande veine de l’anthropologie britannique. Malinowski a le travers de ses qualités. Ainsi, il opère bien un changement essentiel de perspective en faisant oublier par ses enquêtes sur le présent des sociétés la problématique évolutionniste des stades de l’humanité, mais il succombe au défaut inverse de négliger la dimension historique. Au diffusionnisme, il oppose la nécessité de comprendre une culture de l’intérieur comme tout fonctionnel, mais il minimise simultanément le rôle parfois essentiel des emprunts et influences externes.

Révolutionnaire génial, il aiguise la polémique contre quelques courants de son époque et reçoit en revanche des critiques. Quoi qu’il en soit de certaines outrances, nul ethnographe n’ignore désormais sa méthode, les anthropologues de l’économie lui savent gré de ses analyses, et le structuralisme même reconnaît sa dette à l’égard du fonctionnalisme.

C. R.

➙ Anthropologie / Fonctionnalisme [en anthropologie sociale].

 R. Firth (sous la dir. de), Man and Culture : an Evaluation of the Work of Bronislaw Malinowski (Londres, 1957). / J. Lombard, l’Anthropologie britannique contemporaine (P. U. F., 1972). / M. Panoff, Bronislaw Malinowski (Payot, 1972).

Mallarmé (Stéphane)

Poète français (Paris 1842 - Valvins, près de Vulaines-sur-Seine, Seine-et-Marne, 1898).


À partir de Mallarmé, la poésie ne subit plus les aléas des souffrances ou de la joie du monde. Elle tente désormais de dominer le hasard qui le constitue à l’aide d’un langage qui finit par prendre sa place, formulant une œuvre qui devient la véritable patrie du poète.


Une vie

Étienne (Stéphane) Mallarmé naît le 18 mars 1842, de familles de fonctionnaires dans l’administration et l’enregistrement. À l’âge de cinq ans, sa mère meurt et son père se remarie. Son éducation, ainsi que celle de sa sœur cadette, est confiée à ses grands-parents maternels. Son enfance et son adolescence se déroulent dans une ambiance vieillote, dévote et confinée. Au lycée, Stéphane est en butte aux moqueries de ses camarades, et, pour remédier à une timidité naturelle, il se fait passer pour un comte de Bougainvilliers. « Orphelin déjà, avec tristesse, pressentant le poète, les yeux baissés au ciel, cherchant [sa] famille sur la terre. » Mais, en secret, il rêve de devenir Béranger.

Dès son plus jeune âge, il écrit dans « cent petits cahiers qui [lui] ont été confisqués ». Il lit beaucoup. Baudelaire, Sainte-Beuve, Hugo et surtout Poe l’influencent. Il apprend même l’anglais pour lire ce dernier dans le texte. À l’âge de quinze ans (1857), il perd sa jeune sœur, Maria. Cette mort l’enferme dans une solitude encore plus grande.

Ses études secondaires terminées, Mallarmé se soumet momentanément à la tradition familiale : il est surnuméraire chez le receveur de l’enregistrement. La même année, il fait la connaissance d’Emmanuel Langlois Des Essarts, jeune professeur de lycée, qui l’introduit dans les milieux littéraires de la capitale. En 1862, il fait paraître ses premiers poèmes (le Guignon, le Sonneur), encore fortement marqués par l’influence d’Hugo. Pour avoir davantage de loisirs, Mallarmé décide alors de se tourner vers l’enseignement : il sera professeur d’anglais ; 1862 est encore l’année de sa rencontre avec Maria Gehrardt, la « gentille Allemande ». Pour parfaire sa connaissance de l’anglais et aussi se dégager de l’emprise d’une famille qui n’approuve guère ce changement d’orientation, il se rend à Londres en compagnie de Maria Gehrardt. En août, il l’épouse, « pour elle seulement », avoue-t-il. Il est surtout pressé d’en finir avec la vie de tous les jours, désireux de n’avoir d’autres soucis que celui de la poésie. Durant cette période, Mallarmé a pris conscience de l’importance que la poésie tenait dans sa vie, au point d’accorder une attention tout à fait secondaire à la qualité de son bonheur terrestre. Le « bonheur », en effet, ne peut se trouver que dans le rêve. Il précise : « Si j’épousais Maria pour faire son bonheur, je serais un fou. D’ailleurs, le bonheur existe-t-il sur cette terre ? Et faut-il le chercher sérieusement autre part que dans le rêve ? »

À partir de cette date, sa vie est tracée, sans histoires. Marié, père de famille (une fille, Geneviève, naîtra en 1864, un fils, Anatole, verra le jour en 1871), il sera professeur d’anglais ; un professeur chahuté par ses élèves comme il l’était autrefois par ses camarades de classe, menant une « vie dénuée d’anecdotes », parsemée d’ennuis matériels, de soucis affectifs, avec, pour seul exutoire, son œuvre.