Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mahomet (suite)

Toutefois l’hostilité, déjà latente, de la tribu des Quraych ne tarda pas à se manifester contre Mahomet et ses disciples, qui furent accusés de déclarer une guerre ouverte aux dieux, aux sanctuaires, aux valeurs, aux intérêts de la cité. Les membres les plus exposés de ce groupe furent persécutés, tandis que d’autres, dont Mahomet lui-même, furent protégés par la solidarité de leur clan, même hostile à leurs idées.

Le groupe se développa néanmoins. Les révélations continuèrent sur un ton plus calme. Elles narraient les récits bibliques qui donnaient tant d’exemples de prophètes méconnus par les leurs.

Les fidèles étaient appelés musulmans (muslimūn, « ceux qui remettent leur âme à Dieu »). Ils pratiquaient plusieurs fois par jour la prière rituelle, ensemble fixe de prosternations, d’inclinaisons et d’invocations, en se tournant vers Jérusalem.

Certains fidèles cherchèrent refuge dans l’Éthiopie chrétienne, où ils furent bien accueillis. La guerre entre Byzance et la Perse se déroulait avec des péripéties dramatiques (prise de Jérusalem en 614, menace sur Constantinople) qui rappelaient des prophéties anciennes et faisaient pressentir des catastrophes cosmiques.

En 619 moururent coup sur coup l’oncle de Mahomet, Abū Ṭālib, puis sa femme. Abū Ṭālib, qui protégeait le Prophète, fut remplacé à la tête du clan de Hāchim par un autre oncle, Abū Lahab, mal disposé envers son neveu. Celui-ci se trouva seul et en situation critique.

Il chercha un refuge. Il finit par conclure un accord secret avec les représentants de deux tribus médinoises. L’oasis de Yathrib, aussi appelée al-Madīna, « la ville » (Médine), était habitée par deux tribus arabes et trois tribus juives engagées dans des luttes continuelles, avec des alliances fluctuantes, au grand détriment des cultures. Les deux tribus arabes, sur le bruit de sa réputation, crurent trouver en Mahomet l’homme inspiré par Dieu qui arbitrerait leurs litiges et ramènerait la paix. Les musulmans mecquois (environ soixante-dix) gagnèrent Médine. Mahomet et son conseiller préféré, Abū Bakr, partirent les derniers en cachette et atteignirent l’oasis le 24 septembre 622. C’est l’année de l’hégire (hidjra, « émigration » et non « fuite »).


Le chef politique

Installé à Médine, Mahomet se révéla un excellent dirigeant politique et militaire. Pour assurer la vie de ses fidèles, il recourut à la guerre privée, institution normale dans l’Arabie d’alors. Des détachements de ses partisans, émigrés (muhādjirūn) mecquois et « auxiliaires » (anṣār) médinois, attaquèrent les caravanes mecquoises. Une charte régla les droits et devoirs respectifs des groupés médinois, arabes et juifs. Mahomet croyait, en tant que monothéiste, devoir recueillir la sympathie des juifs médinois. Mais ceux-ci critiquèrent sa version des histoires bibliques et refusèrent de se rallier.

En mars 624, les musulmans vainquirent à Badr une troupe mecquoise accourue protéger une caravane en danger. La victoire encouragea Mahomet à rompre avec les juifs. Peu après, les musulmans cessèrent de se tourner vers Jérusalem pour prier et de jeûner le jour de la fête juive de l’Expiation.

Le jeûne fut fixé au mois de ramadan, pour commémorer la révélation du Coran.

À mesure que le pouvoir de Mahomet grandissait, l’opposition s’accentuait aussi. Aux juifs suspicieux et ironiques et aux païens se joignaient des Médinois qui avaient accepté les révélations du Prophète, mais s’opposaient à la personne du Prophète. Mahomet les dénomma les munafiqūn (« douteurs » ou « hypocrites »).

Il élimina peu à peu ces opposants. Deux des tribus juives furent expulsées, et la troisième fut accusée d’avoir eu un comportement suspect aux moment des attaques mecquoises sur Médine.

Les Mecquois l’emportèrent à Uḥud, aux portes de Médine, en mars 625, mais ils ne surent pas exploiter ce succès. Ils revinrent assiéger l’oasis en mars 627, mais n’y purent pénétrer et finirent par lever le siège.

Cependant, les idées du Prophète avaient évolué. La foi nouvelle devient nettement indépendante et arabe. Mahomet découvre qu’Abraham* (Ibrāhīm) est aussi bien l’ancêtre des Arabes par Ismaël (Ismā‘īl) que celui des juifs. Le patriarche n’était ni juif ni chrétien, mais un monothéiste pur. Il se voit attribuer la fondation de la Ka‘ba, plus tard défigurée par l’introduction d’idoles. La prière doit se diriger vers ce sanctuaire mecquois, qu’il s’agit seulement d’épurer. Par réaction contre les juifs, la figure de Jésus, grand prophète né d’une Vierge, mais non Dieu, se trouve exaltée. Les juifs sont accusés d’avoir voulu le tuer, mais un fantôme lui aurait été substitué sur la Croix.

Mahomet est devenu le chef d’une sorte d’État grâce à son prestige religieux, à la force de ses disciples armés et aux richesses tirées du butin et des dons. La Révélation apporte des dispositions juridiques pour organiser la communauté. Des pactes sont conclus avec de multiples tribus qui adhèrent, souvent du bout des lèvres, à l’islām.

On en exige des contributions. La diplomatie, la puissance de la nouvelle foi et parfois la force constituent ainsi à Mahomet une vaste zone d’influence, qui tend à s’étendre à toute l’Arabie.

La Mecque est isolée. Les Mecquois d’esprit politique comprennent que leur intérêt est de s’entendre avec la nouvelle puissance, maintenant qu’une grande place est accordée à leur sanctuaire. En mars 628, Mahomet se présente devant la ville avec une troupe non armée, demandant à participer au pèlerinage. Celui-ci est remis à l’année suivante. En janvier 630, enfin, l’armée musulmane occupe La Mecque à peu près sans opposition. Les derniers ralliés reçoivent de grosses parts de butin et de hautes fonctions.

Les pactes avec Mahomet stipulent l’arrêt des razzias entre tribus. Il faut chercher ailleurs des ressources. Des expéditions sont lancées sans grand succès sur les marches byzantines de Palestine.

Mahomet meurt de façon inattendue le 8 juin 632 après une courte maladie. On peut craindre l’effondrement et la désagrégation de la communauté, mais les conseillers du Prophète surent la prendre en main et continuer l’islām.