Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mahomet (suite)

Les sources

Une seule source remonte incontestablement à l’époque même de la vie du Prophète. C’est le Coran, qui se présente comme la parole de Dieu lui-même transmise par l’intermédiaire de Mahomet. Ainsi le considère par définition le croyant musulman.

Les autres peuvent n’y voir que l’émanation de l’intellect et de la sensibilité de Mahomet rapportée à une origine divine.

Il est vrai que la littérature arabe nous fournit des biographies extrêment détaillées et précises du Prophète. Ces textes nous donnent certainement des renseignements exacts sur la succession générale des événements et sur leurs protagonistes. Pourtant il ne faut pas oublier que les plus anciens remontent à deux siècles après les événements. Ils utilisent des compilations perdues plus anciennes, fondées sur des listes et des notes conservées par écrit ou de mémoire. L’origine de chaque renseignement donné est soigneusement notée, de même que la chaîne des transmetteurs successifs. Mais les règles ordinaires de la méthode historique nous empêchent d’avoir une confiance totale dans toute cette documentation. Même en supposant le témoin original de bonne foi, certaines déformations ont pu s’opérer jusqu’à la mise par écrit. Les renseignements fournis sont souvent contradictoires sur les détails, et beaucoup portent la marque de sollicitations (au moins) en faveur des tendances ultérieures.

Les biographies de Mahomet les plus anciennes sont : celle d’ibn Isḥāq († v. 767), qui ne nous est connue que par l’adaptation abrégée d’un de ses élèves indirects, ibn Hichām († v. 833) ; celle d’al-Wāqidī († 823), restreinte aux campagnes militaires ; celle de son secrétaire ibn Sa‘d († 845) : enfin celle d’al-Ṭabarī († 923), compilation des histoires antérieures. Les gros corpus de traditions (ḥadith) compilés à partir de la fin du ixe s. renferment de multiples informations d’intérêt juridique, souvent utilisables pour l’histoire, mais encore plus susceptibles d’avoir été déformées.

Ceux qui ne partagent pas la confiance des musulmans et de certains auteurs européens dans toutes ces sources ne doivent pas sombrer dans un scepticisme hypercritique. Moyennant un travail d’analyse difficile, il est possible, à partir d’elles, d’aboutir à certaines présomptions et même à quelques certitudes. On peut donc tracer un tableau vraisemblable dans ses grandes lignes de la vie du Prophète et même de sa psychologie.


Le commerçant inquiet

On savait peu de chose sur la vie du Prophète avant que la révélation divine le distinguât, ce qui explique l’importance des récits populaires. On peut retenir comme fait raisonnablement certain que Muḥammad — « le Loué », nom arabe assez courant à l’époque et dont Mahomet représente une déformation européenne médiévale — est né d’un père nommé ‘Abd Allāh et d’une mère nommée Āmina. La tradition musulmane a fixé la date de sa naissance en 571 de l’ère chrétienne (avec des variantes). On savait seulement sans doute que le Prophète avait atteint la quarantaine vers 610 et qu’il était né sous le règne de l’empereur perse Khosrô Ier († 579).

Il perdit très tôt son père et sa mère. Il appartenait au clan de Hāchim, autrefois important, mais en décadence, qui faisait partie de la tribu de Quraych. Cette tribu, spécialisée dans le grand commerce caravanier, habitait la ville de Makka (pour nous La Mecque). Celle-ci était en même temps le siège d’un sanctuaire, lieu de pèlerinage. Commerce international et pèlerinage étaient liés, apportant de gros profits. On vénérait surtout la Ka‘ba, bâtiment cubique où étaient rassemblées de multiples idoles et une pierre noire d’origine météorique que l’on supposait réceptacle de forces divines, comme ce fut souvent le cas chez les Sémites.

L’orphelin fut recueilli par son grand-père, puis par son oncle Abū Ṭālib, commerçant aisé, qu’il aurait accompagné, selon la tradition, en Syrie dans plusieurs voyages d’affaires.

En tout cas, il dut gagner sa vie. Il aurait fait office de berger dans son enfance. Plus tard, il devint l’homme de confiance d’une riche commerçante, Khadīdja. Celle-ci se prit d’amour pour lui, et un mariage se conclut entre cette quadragénaire et cet homme de vingt-cinq ans environ. Le mariage leur apporta aisance et considération. Quatre filles vécurent, mais tous les fils moururent en bas âge. Mahomet adopta son cousin ‘Alī, fils d’Abū Tālib, et un esclave qu’il affranchit, Zayd.

Sensible de par ses pauvres débuts à la misère des humbles, il observait de façon critique la situation de sa ville natale et de toute l’Arabie. Divers facteurs favorisaient le grand commerce, apportaient un flux d’argent qui sapait les valeurs morales traditionnelles et le paganisme arabe qui leur était lié. L’influence des grandes religions monothéistes, christianisme et judaïsme, était forte. Bien des Arabes s’y ralliaient, ainsi que, parfois, au mazdéisme perse. Mais l’affiliation directe impliquait des prises de parti pour l’une ou l’autre des puissances non arabes : d’où des réticences.

Mahomet s’instruisit des données de l’histoire biblique auprès des chrétiens et des juifs de La Mecque et de sa région, avec des inexactitudes dues à des malentendus ou à l’appartenance de ses informateurs à certaines sectes.


Le prédicateur inspiré

Mahomet prit l’habitude, comme les ascètes chrétiens et leurs imitateurs arabes, de faire des retraites solitaires et de se livrer à des pratiques ascétiques dans une caverne d’une montagne proche. Vers l’an 610, il y eut une vision éprouvante. Il entendit la voix de l’archange Gabriel (Djabrā’īl) qui lui transmettait des paroles de Dieu.

D’abord effrayé et doutant de lui-même, il s’habitua à recevoir de tels messages, les répéta, les dicta. Ceux-ci forment la matière du Coran (qur’ān, « récitation »).

Les premières révélations, dans un langage saccadé, vibrant, ardent, dénoncent surtout les riches marchands mecquois, orgueilleux de leur réussite. Elles les adjurent de se soumettre au Créateur unique et tout-puissant, qui leur demandera des comptes au jour terrible du jugement. Ils doivent se montrer humbles et justes, donner une part de leur fortune aux pauvres et aux orphelins.

Le message convainquit d’abord la maisonnée de Mahomet et quelques amis, puis d’autres Mecquois, pauvres et contestataires, surtout des personnes opprimées et des jeunes. Un petit groupe se forma, qui se livra à des pratiques de piété, suscitant l’ironie, le mépris ou parfois la compassion.