Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

madrigal (suite)

Le premier recueil, de 1530, contient les œuvres des principaux musiciens qui ont inauguré ce genre nouveau, parmi lesquels Costanzo Festa (v. 1480-1545) et Philippe Verdelot († av. 1552) ont joué le rôle le plus important, leur voisinage étant la preuve évidente que les compositeurs italiens et franco-flamands, malgré leur esthétique en apparence opposée, se trouvaient alors d’accord pour pratiquer une forme d’art commune. À cette première période se rattachent aussi Jacob Arcadelt (début du xvie s.-v. 1560), Francesco Corteccia (1504-1571) et Adriaan Willaert (v. 1490-1562), celui-ci ayant par ses audaces harmoniques activement contribué à engager le madrigal dans des voies nouvelles.

Durant la seconde période (1550-1580), que l’on peut qualifier de classique, deux des élèves de Willaert continuent l’œuvre de leur maître en intensifiant l’usage du chromatisme : Nicola Vicentino (1511-1576) et surtout Cyprien de Rore (1516-1565), l’un des plus grands maîtres du genre, dont les Madrigali cromatici (1544) marquent une étape décisive, tandis que ses Vergini sur les stanze de Pétrarque, constituent l’un des cycles les plus importants du xvie s. Le madrigal jouit alors d’une faveur extraordinaire, et les deux plus grands maîtres du moment dans le domaine de la musique d’église lui ont consacré une partie de leur œuvre. Si Palestrina* s’y montre particulièrement conservateur, R. de Lassus* y révèle une des faces les plus hardies de son génie. D’une manière générale, les madrigalistes de cette période, qui écrivent le plus souvent à 5 voix, font usage de toutes les complexités du contrepoint avec un emploi toujours plus expressif du chromatisme. Avec P. de Monte* et Jaches de Wert (1535-1596) s’achève la participation féconde des musiciens du nord à l’histoire du madrigal.

La dernière période (1580-1620) marque le triomphe des compositeurs italiens avec les grands virtuoses que sont Luca Marenzio (1553 ou 1554-1599), Carlo Gesualdo* et Monteverdi*. Le madrigal est alors le genre où s’expriment toutes les audaces, et les raffinements du chromatisme peuvent même atteindre chez Gesualdo une instabilité harmonique déconcertante. Dès la lin du siècle commence à prévaloir le style de la monodie accompagnée suivant la voie tracée par Vincenzo Galilei (v. 1520-1591) et les membres de la Camerata florentine. C’est à Monteverdi qu’il appartiendra d’engager définitivement le madrigal sur la voie du nouveau style avec son cinquième livre (1605), où il est le premier à adopter ouvertement la forme du madrigale concertato, opérant ainsi une véritable révolution en dotant ce genre vocal d’une basse continue instrumentale. Malgré quelques attardés qui publient encore des madrigaux polyphoniques, le nouveau style est désormais généralement préféré, et le madrigal traditionnel a cessé d’être le genre progressiste.

Parallèlement au madrigal profane s’était développé le madrigal spirituel avec P. de Monte, qui en avait publié cinq livres de 1581 à 1593, et Lassus, qui, tout à la fin de sa vie, inspiré par l’esprit de la Contre-Réforme, donnera ses Lagrime di san Pietro à 7 voix. D’autre part, à la fin du siècle prend naissance le madrigal dramatique, sorte de comédie mise en musique en style madrigalesque, chaque personnage s’exprimant non pas par un air chanté en solo, mais par un petit madrigal chanté à plusieurs voix. Inauguré en 1567 par Alessandro Striggio (v. 1535-v. 1587) avec Il Cicalamento delle donne al bucato, dont la verve pittoresque n’est pas sans rappeler C. Janequin*, le genre est repris par Giovanni Croce (v. 1557-1609), qui donne en 1590 ses Mascarate piacevoli e ridicolose per il carnevale, suivies en 1595 de La Triaca musicale, dont bien des épisodes sont restés célèbres. On atteint le chef-d’œuvre avec l’Amfiparnaso (1597) de Orazio Vecchi (1550-1605), comedia harmonica à 5 voix, véritable « miroir de la vie humaine » dont les douze personnages constituent le petit monde de la commedia dell’arte. À son tour, Adriano Banchieri (1568-1634) donne libre cours à sa fantaisie dans ses madrigaux dialogues comme La Pazzia senile (1598) ou Il Festino nella sera del giovedi grasso avanti cena (1608).

Le madrigal italien s’est répandu dans toute l’Europe, mais y a été diversement assimilé. On peut dire que la France a ignoré ce genre, malgré la vague d’italianisme déclenchée par François Ier, car on ne peut qualifier de madrigal ni la chanson sur paroles italiennes de Claudin de Sermisy (v. 1490-1562), ni celle de Janequin, ni les chansons de Guillaume Costeley (v. 1531-1606), malgré l’influence évidente qu’on y relève du style italien. En Allemagne, le madrigal ne convenait pas au tempérament musical et s’adaptait mal à la langue du pays. Les compositeurs qui ont écrit de vrais madrigaux les ont composés sur des paroles italiennes, tel Hans Leo Hassler (1564-1612), qui publie en 1596 de très beaux madrigaux italiens, alors que dans ses Neue teutsche Gesang imprimés la même année il conserve le style homophone et les phrases courtes de la chanson traditionnelle de son pays, tel aussi Heinrich Schütz*, qui, encore sous l’influence de Giovanni Gabrieli*, composera des Madrigali (1611) dignes de son maître vénitien.

En Espagne, le madrigal a joui d’une grande faveur et a été pratiqué par de nombreux compositeurs, parmi lesquels Pedro Alberto Vila (1517-1582) [dont il ne reste que la partie d’altus de ses madrigaux publiés en 1561], Juan Brudieu (v. 1520-1591), qui donne ses Madrigales sur texte catalan en 1585, Francisco Guerrero (1528-1599) et son frère Pedro, Sebastián Raval (v. 1550-1604), qui compose les siens sur des paroles italiennes, Pedro Rimonte (v. 1550-début du xviie s.), les deux Mateo Flecha (1481-1553) et (1530-1604) et Juan Vasquez (v. 1500-apr. 1560), qui a transformé l’ancienne forme du villancico en celle du madrigal castetlano, suivant le nouveau style du madrigal en Italie.

L’Angleterre est le seul pays d’Europe où le madrigal se soit développé d’une manière tout à fait originale et où se soit formée une véritable école nationale. Il faut en attribuer le mérite d’abord à l’influence italienne très dominante depuis le début du siècle dans le pays (où elle avait suscité le renouveau de la poésie), mais aussi au goût particulier des Anglais pour le chant et la polyphonie vocale, qui incita le bourgeois Nicholas Yonge à publier en 1588, à l’usage des amateurs qu’il réunissait chez lui pour chanter, sa Musica transalpina, recueil de 57 madrigaux dont les paroles avaient été traduites en anglais. À sa suite, le poète Thomas Watson (v. 1557-1592), premier traducteur de Pétrarque, fait paraître en 1590 The First Set of Madrigalls Englished, recueil de 28 pièces dont deux du compositeur anglais William Byrd* « composées selon le goût italien », tandis que Yonge lui-même lance en 1597 un second volume de sa Musica transalpina et que Thomas Morley (1557-1602) publie en 1597 et 1598 des anthologies de madrigaux italiens sur paroles anglaises. Ce compositeur avait déjà dès 1594 publié ses Madrigalls to Foure Voyces, volume qui marque le début de l’école anglaise de madrigalistes. Cette école, qui se développa jusque vers 1627, représente les trente plus belles années de toute l’histoire de la musique en Angleterre, durant lesquelles pas moins d’une soixantaine de recueils de madrigaux sortiront des presses dans ce pays. À côté de Morley, qui se complaît surtout dans le style léger des canzonette, on en vient, en avançant dans le siècle, à des compositeurs qui ont trouvé dans le madrigal leur véritable mode d’expression, parmi lesquels se détachent Thomas Weelkes (v. 1575-1623), John Wilbye (1573-1638), Orlando Gibbons (1583-1625) et John Ward († v. 1641). Autour d’eux se presse toute une pléiade de musiciens comme George Kirbye (v. 1565-1634), Thomas II Tomkins (1572-1656), Robert Jones, Giles Farnaby (v. 1565-1640), John Farmer (v. 1565 - v. 1605) et bien d’autres qui, tous, ont contribué à faire du siècle d’Élisabeth le « siècle d’or » de la musique anglaise.

N. B.

➙ Grande-Bretagne / Italie.