Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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machinisme agricole (suite)

La production agricole est soumise à des contraintes spécifiques

Plusieurs contraintes handicapent l’agriculture. Elles concernent la production et les moyens de production. Elles ralentissent le développement de la mécanisation. Elles sont liées au caractère aléatoire, lent, dispersé de la production agricole.

• Première contrainte
Le caractère biologique de la production agricole. Il pénalise doublement toutes les tentatives de mécanisation.

• Au niveau du produit. Il est difficile d’inventer et de mettre en œuvre des machines devant fonctionner sur un produit mal défini, non homogène et par surcroît souvent fragile. Au niveau de la récolte des produits végétaux, par exemple, les quantités à traiter, la qualité des produits sont soumises à des aléas climatiques sur lesquels on n’a que très peu d’influence. Au niveau de la production animale, ces incertitudes sont encore plus grandes.

Comment alors trouver cette « répétitivité » et cette spécialisation qui sont les clefs principales de toute opération mécanisée ? La machine doit s’adapter à une plante ou à un sol aux caractéristiques mal connues, et, réciproquement, à partir d’un certain niveau technique, la plante doit pouvoir s’adapter à la mécanisation, ce qui met en œuvre des processus délicats et lents tels que la sélection génétique.

D’autre part, le produit peut rarement être unique dans une même exploitation : sur un même terrain, les cultures doivent théoriquement se succéder en une rotation déterminée par des impératifs agronomiques et plus particulièrement par la lutte contre certains parasites. La monoproduction n’est pas impossible, mais elle est délicate et dangereuse dans l’état actuel de nos connaissances. Cet impératif des rotations est un obstacle notable à la spécialisation des entreprises, donc à l’adaptation technique des matériels. Que dire d’une usine qui serait obligée pour des raisons techniques de fabriquer simultanément des yaourts et des fers à repasser !

• Au niveau de l’atelier de production. Le rythme de la production agricole est lent et discontinu. Dans une usine, les machines fonctionnent toute l’année, en dehors des périodes d’entretien (sauf peut-être certaines industries alimentaires comme la sucrerie). À l’inverse, les produits végétaux demandent au moins une saison pour être élaborés, et parfois bien davantage (forêts) ; les produits animaux réclament toujours plusieurs mois, souvent plusieurs années. Au cours d’une même année, le fonctionnement d’une machine agricole est en général parfaitement discontinu : le semis s’effectue à une période bien précise, très limitée dans le temps si l’on veut obtenir les meilleurs résultats ; les récoltes ne peuvent se faire que pendant la courte période où la plante présente la qualité voulue (maturité), etc. Le reste du temps, la machine reste inutilisée. Ainsi, une moissonneuse-batteuse (valeur d’achat en 1972 : 60 000 à 100 000 F) ne pourra fonctionner dans certaines régions que 200 heures dans l’année, et encore parce qu’il s’agit d’une machine qui peut récolter plusieurs catégories de graines dont les maturités sont échelonnées ! Pour un industriel, une telle utilisation est parfaitement aberrante. Et pourtant, comment produire des grains sans avoir une machine de récolte puisqu’il est impensable de trouver suffisamment d’ouvriers pour faire une récolte manuelle (d’ailleurs, compte tenu du prix de la main-d’œuvre, la dépense serait encore plus forte qu’avec notre grosse machine utilisée seulement 200 heures par an !).

Par ailleurs, la production végétale a pour support le sol dans la quasi-totalité des cas, puisque la culture sur support synthétique avec apport d’éléments nutritifs en solutions aqueuses est seulement réalisée dans les serres pour des produits de luxe (la culture sans sol sera peut-être envisagée dans l’avenir pour les produits agricoles courants, mais, pour l’instant, elle relève de l’anticipation). Cette obligation naturelle a deux conséquences principales sur la mécanisation :
— la production demande beaucoup d’espace et se fait généralement à l’extérieur ; les machines sont soumises aux intempéries et doivent se déplacer elles-mêmes en tout terrain ; la matière première se trouve donc très dispersée ; les produits élaborés issus des machines devront être véhiculés sur de grandes distances, les résidus devront être éliminés sur place ;
— le sol est un support que l’on ne traite pas n’importe comment ; il est lui aussi, comme le produit qu’il porte, de nature biologique ; il risque de se dégrader sous l’action des machines ou de leurs supports (pneumatiques, chenilles, etc.), et les récoltes futures pourraient être compromises.

• Seconde contrainte
L’agriculture satisfait des besoins primaires, c’est-à-dire que le consommateur ne peut guère étendre ses besoins au-delà d’une certaine limite. Certes, les besoins alimentaires et vestimentaires évoluent au cours des temps, mais cette évolution est lente et l’impact de la publicité n’est pas du même ordre que pour un bien de consommation ordinaire. La demande est peu élastique, et la saturation du marché intervient très vite, conduisant souvent à la surproduction. Or, les machines, associées à d’autres progrès techniques, donnent les moyens d’augmenter la productivité, c’est-à-dire de récolter davantage avec moins de main-d’œuvre. L’augmentation possible de la production ne peut être guère absorbée que par une extension démographique à l’intérieur d’un même pays, ou, sur le marché extérieur, par un accroissement de l’exportation. Cette inélasticité de la demande est très certainement un frein important pour la mécanisation agricole.

Toutes ces contraintes inhérentes à la production agricole rendent difficile, voire impossible, l’application des techniques de mécanisation utilisées dans la plupart des industries. Comparons, en effet, le travail d’une machine-outil sur une chaîne de montage d’automobiles à celui d’une machine agricole : la machine-outil travaille en continu, sauf en période d’entretien, parfois 24 heures sur 24, à l’abri dans un atelier aux caractéristiques constantes, sur un produit homogène, toujours le même, un produit dont la vente est en expansion ; par surcroît, elle est conduite et entretenue par des ouvriers spécialisés (ce qui est rarement le cas en agriculture). Autant d’atouts qui rendent possible la planification, autant de facteurs de rentabilité. En mécanisation agricole, et plus généralement en agriculture, toute planification devient aléatoire. Le risque est beaucoup plus grand que dans la plupart des autres domaines.