Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lvov (suite)

Le xixe s. fut surtout marqué par les conflits triangulaires entre Autrichiens, Polonais et Ruthènes, attisés par la propagande de plus en plus active des Ukrainiens russes. Aux fondations scientifiques polonaises répondirent vers la fin du siècle des fondations ukrainiennes (1893 : société Chevtchenko) et des journaux ukrainiens ; des mouvements sociaux se produisirent vers 1880, parfois avec un arrière-plan national. L’autonomie dont jouissait la Galicie après 1860 favorisa l’activité polonaise, mais aussi l’action ukrainienne. La Première Guerre mondiale attisa les oppositions ; les adversaires en présence, tant Russes qu’Austro-Allemands, soutinrent les Ukrainiens, ce qui gêna fortement les efforts des Polonais pour parvenir à l’indépendance dans les frontières d’avant 1772 ; en novembre 1918, ce fut la guerre entre Polonais et Ukrainiens, qui dura jusqu’en été 1919 ; la guerre entre la Pologne et l’U. R. S. S. prit le relais en 1920 et, bien qu’elle restât finalement à la Pologne, la ville de Lvov ne cessa pas d’être jusqu’en 1939 un foyer d’agitation ukrainienne. En septembre 1939, toute la Galicie orientale (ou Ukraine occidentale) devint russe, mais la vie polonaise put se maintenir. En juin 1941, ce furent les Allemands qui occupèrent la ville et déportèrent Juifs et Polonais. Le 28 juillet 1944, Lvov était reprise par l’armée rouge.

J.-B. N.

➙ Ukraine.

Lyautey (Louis Hubert Gonzalve)

Maréchal de France (Nancy 1854 - Thorey, Meurthe-et-Moselle, 1934).


Lyautey restera toute sa vie imprégné de la terre lorraine, où sa famille, issue des marches de l’Est, s’était fixée sous le second Empire. Fils d’un ingénieur des ponts et chaussées, il compte une longue ascendance militaire, dont la branche paternelle se distingua sous le premier Empire. Victime, à l’âge de dix-huit mois, d’un accident, il doit, jusqu’à douze ans, marcher avec des béquilles et porter un corset de fer. Ainsi éloigné des jeux, il acquiert le goût de la lecture et de la méditation, tout en appliquant sa volonté à recouvrer l’exercice de ses mouvements. En 1872, il entre à l’école de la rue des Postes à Versailles, où, à l’exemple de son père, il se destine d’abord à Polytechnique. Mais, sur le conseil de ses maîtres, il se présente à Saint-Cyr, où il est admis en 1873 ; il en sort pour suivre les cours de l’École d’état-major, puis il est affecté dans la cavalerie. Dès cette époque, l’enseignement militaire purement formel le déçoit, alors qu’il se sent porté vers les grandes causes. C’est ainsi qu’il se lie d’amitié avec Albert de Mun, qui lui révèle la recherche d’un « dénominateur commun entre les hommes ». Il s’enthousiasme pour cette action généreuse, qui sera désormais sa raison d’être en Asie et en Afrique. Après quelques années en Algérie, dans un poste du Sud où, pour la première fois au contact de la troupe et des horizons africains, il éprouve l’enchantement du métier, il est affecté en 1888 au 4e chasseurs à cheval à Saint-Germain-en-Laye. Pour rompre la monotonie de sa vie de garnison, il rencontre dans les salons littéraires des écrivains comme le comte d’Haussonville, Brunetière, Heredia, Henri de Régnier, Desjardins et Eugène Melchior de Vogüé. Ce dernier l’incitera à écrire et il fera paraître dans la Revue des Deux Mondes sa première étude, intitulée Du rôle social de l’officier dans le service militaire universel (1891). L’article fait scandale dans les milieux traditionnels et conservateurs, mais vaut en revanche et paradoxalement à son auteur, si l’on se réfère à sa complexion familiale et à sa formation, la sympathie des cercles républicains. Envoyé en Indochine en 1894, Lyautey, remarqué par Gallieni*, devient, dans la pacification du Tonkin, chef d’état-major de ce dernier et s’initie à sa méthode au cours des opérations. Il sera encore auprès de Gallieni en 1898, quand celui-ci, nommé gouverneur de Madagascar, sera chargé de la pacification de l’île, à laquelle Lyautey s’emploiera à Ankazobé et à Fianarantsoa. Colonel en 1900, rentré en France en 1902, il est appelé par C. Jonnart, gouverneur général de l’Algérie, au commandement de la subdivision d’Aïn-Sefra et promu général (1903). Il mène à bien une progression ordonnée et judicieuse dans le Béchar, le haut Guir et la Moulouya. Mis à la tête de la division d’Oran en 1906, il entre à Oujda en 1907, gagne la sympathie et l’attachement des tribus, et fait reculer les limites de la zone d’insécurité. Commandant le 10e corps à Rennes en 1910. Lyautey, qui vient d’épouser la veuve du colonel Fortoul, présidente de la Croix-Rouge, peut croire terminée sa mission outre-mer : dans une ambiance de tension internationale accrue, il se consacre à l’instruction de ses troupes, tandis que Joffre*, généralissime désigné, envisage de faire de lui très prochainement son adjoint.

Au printemps de 1912, toutefois, quelques jours après la signature du traité de protectorat et à la suite des graves événements survenus à Fès, le gouvernement fait de Lyautey le résident général de la République au Maroc : il est jugé seul capable de rétablir une situation largement compromise et le plus compétent pour prendre en main les desseins de la France dans l’empire chérifien. Cette même année, Lyautey, dont le rayonnement n’a cessé de croître dans les sphères intellectuelles et littéraires, est élu à l’Académie française. Secondé par Gouraud*, Poeymirau, Berriau, Delmas, Noguès et par sa jeune équipe civile A. et G. de Tarde, Paul Tirard, il instaure au Maroc une politique de hardiesse calculée, de prudence et d’habileté, créant notamment les Bureaux de renseignements (devenus en 1927 ceux des Affaires indigènes), dont les officiers, au contact direct des populations, joueront un rôle capital dans l’œuvre de pacification et d’administration du pays. La déclaration de guerre de 1914, mettant durement à l’épreuve son patriotisme de Lorrain, le place au Maroc dans une position difficile, qui atténue par contrecoup le sacrifice de renoncer à un commandement sur le front français. Lyautey prend conscience du rôle qu’il peut jouer, non seulement en conservant le Maroc à la France, mais encore en contribuant de ce bastion africain à la lutte contre l’Allemagne. Tout en dirigeant vers la métropole la quasi-totalité des troupes disponibles et en satisfaisant aux demandes de main-d’œuvre et de ravitaillement, il emploie les forces qui lui restent à garder intacte l’armature extérieure du Maroc, à tenir en respect les tribus de montagne en dissidence du fait des troubles fomentés par les agents allemands. Ayant conquis la confiance entière du sultan Mūlāy Yūsuf, dont il entend restaurer l’autorité, et l’amitié des grands notables marocains, il réussit à développer son programme économique et social, où il s’affirme comme un grandiose bâtisseur d’empire. Du 14 décembre 1916 au 14 mars 1917, cédant aux instances de Briand, il assume à Paris les fonctions de ministre de la Guerre, se rend aux conférences de Rome et de Calais, intervient en faveur de l’unité du commandement interallié, du front de Salonique, de l’amitié américaine. Rentré au Maroc, il y poursuit son œuvre de pacification et de civilisation, organisant le Service de santé, les routes, les ports, les villes nouvelles, les services d’assistance, dont bénéficient à égalité Français et Marocains et dont les bienfaits attirent les dissidents eux-mêmes. Par des expositions (comme celles de Casablanca en 1915, de Fès en 1916 et de Rabat en 1917), il montre aux Marocains que la France est toujours forte et son commerce prospère. La paix revenue et ses troupes combattantes lui étant rendues, il reprend les opérations qui mèneront, quinze ans plus tard, à la pacification totale et prépareront même l’indépendance du Maroc, qu’il discerne déjà dans une vision prodigieuse de l’avenir. En 1919, il fonde à Dar el-Beida (près de Meknès) une école d’officiers qui sera une pépinière de cadres marocains, puis une école de notables, première assise d’un enseignement supérieur et secondaire franco-marocain. Progressivement, il vise à constituer une élite marocaine consciente de ses propres possibilités et intéressée à tout ce qui touche le développement économique et social du pays. Il cherche même à y former un personnel administratif et gouvernemental. Dès 1920, en effet, il avertissait le gouvernement français des répercussions naturelles qu’auraient dans le monde, et spécialement au Maroc, les idées du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; « le jour où les liens politiques se seront détendus, écrit-il en 1925, il faut que l’affection entre les deux pays soit telle qu’ils œuvrent en commun ». Son discernement ne se limite pas au Maroc : dans des rapports adressés à Paris en 1921 et 1922, Lyautey annonce l’indépendance de la Turquie sous l’égide de Mustapha Kemal.