Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Luxemburg (Rosa) (suite)

Encore élève au lycée de Varsovie, où elle a pu entrer malgré le numerus clausus, elle adhère à un groupe révolutionnaire et commence à militer. À dix-neuf ans, en 1889, elle quitte le pays et se rend à Zurich, où elle étudie les sciences naturelles, puis l’économie politique et passe en 1898 sa thèse sur le Développement industriel de la Pologne. Elle connaît Pavel Borissovitch Axelrod (1850-1928), Gueorgui Valentinovitch Plekhanov (1856-1918), Vera Ivanovna Zassoulitch (1849-1919), Christian Gueorguevitch Rakovski (qui sera, de 1925 à 1927, ambassadeur des Soviets à Paris) et s’éprend de Leo Jogiches ; ce dernier, issu d’une famille riche de Vilna (auj. Vilnious), « a été au peuple » et a travaillé comme serrurier, puis comme typographe. Il voit en elle l’intellectuelle. Elle voit en lui l’ouvrier. Lors du congrès de Zurich en août 1893, elle intervient pour demander la validation des mandats de la délégation polonaise.

Dans des conditions obscures, elle accepte, en 1898, un mariage blanc avec Gustav Lübeck, le fils de ses amis Karl et Olympia ; ce mariage lui permet de devenir allemande ; elle s’établit la même année en Allemagne.


Militante de la social-démocratie allemande

Désormais, c’est dans la social-démocratie allemande que Rosa Luxemburg milite. Elle est aux côtés de Kautsky, contre Bernstein, dont elle dénonce le réformisme. Elle est hostile à Jaurès*, bien qu’elle soit sensible à son éloquence. Elle publie dans Die neue Zeit et dans la Leipziger Volkszeitung des articles qui seront réunis dans un volume : Réforme sociale ou Révolution (1899). En 1904, elle participe au congrès d’Amsterdam.

Elle se trouve en Pologne russe lors des événements de 1905 et est arrêtée, mais on la relâche au bout de quelques mois parce que son état de santé est vraiment déficient, parce qu’elle est allemande et qu’une caution de 3 000 roubles est versée. L’irruption des masses dans la vie politique de la Russie l’a profondément marquée ; elle a, en particulier, suivi de très près la grève de Finlande.

C’est la période des ruptures. Elle rompt sentimentalement avec Jogiches, qui s’est détaché d’elle, et elle s’éprend du fils de Clara Zetkin (1857-1933), qui n’a que vingt-deux ans. Intellectuellement, elle rompt avec Karl Kautsky (1854-1938), qui lui parait trop modéré ; mais elle demeurera toujours l’amie de Luise Kautsky.

Le parti social-démocrate ne l’en charge pas moins d’enseigner dans une de ses écoles, ouverte le 15 novembre 1906, où se succèdent, pour un trimestre, des promotions de cinquante élèves. Elle y remplace, pour l’enseignement de l’économie politique, Rudolf Hilferding (1877-1941) et Pannekoek, dont l’enseignement a été interdit. Elle enseignera aussi l’histoire du socialisme.


Chef de tendance

Rosa Luxemburg est désormais, avec Karl Liebknecht*, à la tête de l’extrême gauche et affirme des positions originales. Elle participe au renouveau marxiste qui se manifeste aux Pays-Bas avec Henriëtte Roland Holst (1869-1952) et Anton Pannekoek, en Belgique avec Louis de Brouckère (1870-1951) et Henri de Man (1886-1953), en France avec Charles Rappoport († 1941).

Doctrinalement, son œuvre maîtresse dans ces années est l’Accumulation du capital (1913). Elle y essaie de résoudre une contradiction que lui paraît receler le livre II du Capital. Comment est-il possible de concilier un développement infini du capitalisme et l’existence de crises périodiques de plus en plus graves ? Pour Rosa Luxemburg, l’impérialisme* vient précisément de l’impossibilité où se trouve le capitalisme de réaliser la plus-value qui lui est nécessaire à l’intérieur d’un système composé uniquement de capitalistes et d’ouvriers. Le capitalisme se trouve ainsi condamné, de par son dynamisme même, à chercher une issue hors de lui-même, chez les paysans, chez les artisans, dans les territoires vides. L’impérialisme est à la fois une méthode historique pour prolonger l’existence du capitalisme et le moyen de mettre un terme à cette existence par la révolte de toutes les classes laborieuses dont la condition s’aggrave, s’ajoutant aux catastrophes périodiques des crises. Kautsky conteste ces vues. Pour lui, l’impérialisme n’est ni inévitable ni général ; il n’affecte que quelques groupes de l’industrie lourde.

Mais c’est sa théorie sur la grève générale qui est son principal apport. Dès 1903, elle proteste contre le centralisme à ses yeux excessif que Lénine impose au parti bolcheviste. Selon elle, la « révolution russe » de 1905, pour la première fois dans l’histoire de la lutte de classes, a rendu possible une grandiose réalisation de la grève de masse. La grève de masse ne réalise pas d’emblée la révolution sociale, contrairement à ce qu’ont pensé les syndicalistes révolutionnaires de France ; mais elle peut créer les conditions d’une lutte politique quotidienne où le prolétariat affirmera et fera respecter ses droits, à la condition expresse qu’on respecte la spontanéité des masses.

Songeant sans doute à Lénine, Rosa Luxemburg écrit : « Les révolutions ne se laissent pas diriger comme par un maître d’école. » Pour elle, le rôle du parti est de faire comprendre la venue inéluctable de la période révolutionnaire et de diriger la bataille. Mais, écrira-t-elle en 1917, « les masses sont toujours ce qu’il faut qu’elles soient en fonction de ces circonstances et elles sont toujours sur le point de devenir quelque chose de fondamentalement différent de ce qu’elles semblent être ». Lénine se retrouve d’accord avec elle pour faire voter au congrès de Stuttgart un amendement qui demande aux partis socialistes, au cas où la guerre éclaterait, « d’utiliser la crise économique et politique engendrée par la guerre pour soulever les masses populaires en vue du renversement de la domination de la classe capitaliste ».


Devant la guerre

L’action que Rosa Luxemburg mène contre la guerre lui vaut en février 1914 une condamnation à un an de prison. Elle fait appel et ne sera incarcérée qu’en février 1915. Libérée en janvier 1916, elle est de nouveau emprisonnée, notamment à Wronke, en Posnanie, puis à Breslau (auj. Wrocław), et le demeurera jusqu’en novembre 1918.

Mais son action continue. Avec Karl Liebknecht et Clara Zetkin, elle écrit les Lettres de Spartacus, qui vont donner son nom à la Ligue spartakiste. En 1916, elle publie à Berne sous le pseudonyme de Junius un ouvrage intitulé la Crise de la social-démocratie, qui jette les fondements doctrinaux du spartakisme.