Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lulle (Raymond) (suite)

En 1272, Lulle fait paraître son Livre de la contemplation, rédigé en arabe et complété plus tard par l’Art de la contemplation (1283). De cette époque datent aussi de nombreuses poésies en catalan, certaines dans le genre troubadour, d’autres, en particulier le Plant de Nostra Dona Santa Maria, en mètres épiques semblables aux poèmes provençaux, d’autres enfin, comme le Dictat de Ramon, en rythmes populaires.

En 1276, Lulle obtient du roi de Majorque la fondation à Miramar d’un couvent franciscain, où il se met à enseigner, sans parvenir d’ailleurs à faire admettre son projet de fondation de collèges de missionnaires. Il traduit la Logique d’al-Rhazālī en catalan.

En 1285-86, il séjourne à Rome, où il écrit ou du moins commence le Livre de Blaquerne, utopie romancée de caractère philosophique consacrée aux « cinq états » de mariage, de religion, d’épiscopat, de papauté et de vie érémitique. Proposant une réforme complète de la société ecclésiastique et civile, cet ouvrage aura un grand succès. Il sera traduit en de nombreuses langues, en particulier en hébreu.

Raymond Lulle compose ensuite une encyclopédie intitulée Félix ou les Merveilles du monde, qui contient un très beau poème mystique, et le Livre de l’ami et de l’aimé, rédigé dans le style des dialogues soufis.

Après un séjour à Paris (1287-1289) et à Montpellier, où il écrit un Ars amativa boni (1290), il s’embarque pour Tunis (1291-92) ; il y prêche pendant un an le christianisme, jusqu’au jour où il est expulsé. Pendant un séjour en Italie, il compose l’Arbre de la science (1295), puis, à Paris, l’Arbre de la philosophie de l’amour (1296), où il expose en détail, au moyen de l’allégorie, la supériorité de l’amour sur la science et de la volonté sur les idées, qui, d’ailleurs, émanent toutes du vouloir.

Son long poème El Desconhort (le Découragement) est considéré aujourd’hui comme une œuvre maîtresse de la poésie catalane.

Après un voyage auprès du roi de Chypre Henri II de Lusignan (1285-1324) et peut-être au Proche-Orient (1300-1302) en vue de chercher de nouvelles bases de départ pour ses projets de fondation, et après de nouveaux échecs en Europe auprès des princes et du pape Clément V (1305-1314), Lulle s’embarque pour Bougie (1306), où il est mis en prison, puis expulsé sur ordre du sultan Abū al-Baḳā. En captivité, il écrit une Disputatio Raymundi et Hamar sarraceni.

Sa ténacité lui acquiert alors une certaine audience : les conférences qu’il donne à Paris connaissent un grand succès, et ses thèses reçoivent gain de cause au concile de Vienne (1311). À cette occasion, il fait le récit de sa vie dans une précieuse autobiographie (Vida coetania), qui est la relation la plus sûre dont nous disposions sur ses voyages et ses projets. Il effectue encore un séjour en Sicile, puis à Tunis.

Quelques années après sa mort, un Catalan rédige à Londres le Testament de l’art chimique universel (Cologne, 1566), longtemps attribué à Raymond Lulle, qui est à l’origine de toute une littérature alchimiste lullienne.

Le « Testament de l’art chimique universel », source de l’alchimie du Moyen Âge

Sous le nom de Raymond Lulle commença de circuler, à partir de 1320, toute une littérature alchimique, à laquelle le poète et mystique catalan doit pour une part sa popularité et pour beaucoup les suspicions qui entourèrent son nom. Le premier de ces ouvrages est le Testamentum duobus libris universam artem chymicam complectens, antehac nunquam excussum ; item ejusdem compendium animae transmutationis artis metallorum, imprimé pour la première fois à Cologne en 1566. On y trouve établies les règles pour « anoblir » les métaux et réaliser le « grand œuvre », c’est-à-dire leur transmutation en or. On y donne aussi la façon d’obtenir la « quintessence » — ce cinquième élément à ajouter à l’eau, à la terre, au feu et à l’air —, qui n’est autre que l’alcool éthylique, alors récemment découvert.

Cet exposé d’alchimie imprégné de mysticisme, où se mêlent le magique et le religieux, a impressionné profondément les esprits au Moyen Âge. Il fut suivi de nombreux autres, tous également attribués à Lulle : Experimenta codicillus, Clavicula et apertorium, etc., qui ont influencé, plus encore que la science, la mentalité populaire et, par la légende de Faust*, la littérature.

B.-D. D.

➙ Alchimie.

 E. W. Platzeck, Raimund Lull. Sein Leben, seine Werke, die Grundlagen seines Denkens (Düsseldorf, 1962-1964 ; 2 vol.). / A. Llinarès, Raymond Lulle, philosophe de l’action (P. U. F., 1964). / C. E. Dufourcq, l’Espagne catalane et le Maghreb aux xiiie et xive siècles (P. U. F., 1966).

Lully ou Lulli (Jean-Baptiste)

Compositeur français (Florence 1632 - Paris 1687).


Il avait à peine quinze ans quand, en 1646, le chevalier de Guise, Roger de Lorraine, l’amena à Paris chez sa cousine Mlle de Montpensier, qui souhaitait un partenaire pour converser en italien. Il n’était pas beau, mais il avait de l’esprit et sut vite faire apprécier ses talents de chanteur, de guitariste et de violoniste. En 1652, la Grande Mademoiselle, qui avait pris part aux troubles de la Fronde, lui donna congé avant de fuir la capitale. Lully entra alors au service du roi comme baladin et, trois mois plus tard, il jouait dans le Ballet de la nuit (1653). Remarqué par Louis XIV, dont il gagna rapidement la confiance, il participa bientôt à tous les ballets. Nommé compositeur de la musique instrumentale, il fut chargé de diriger la bande des seize « Petits Violons », qui ne tarda pas à supplanter celle des vingt-quatre Violons de la Chambre royale. Conscient de l’avenir qui s’offrait à lui, mais aussi de ses lacunes, il étudia la composition avec N. Gigault, N. Métru et F. Roberday. Les ballets d’Alcidiane (1658) et de la Raillerie (1659) affirmèrent bientôt sa réputation. En 1661, il était nommé surintendant de la musique et obtenait la nationalité française. L’année suivante, il épousait la fille du célèbre chanteur Michel Lambert (v. 1610-1696), qui l’avait connu chez la Grande Mademoiselle. Dès lors, il oublia ses origines et se posa en champion de la musique française. Ballets de sa composition et comédies-ballets écrites en collaboration avec Molière se succédèrent. Dès 1670, sa fortune désormais assurée, Lully se fit construire un hôtel rue Neuve-des-Petits-Champs. En 1671, le succès de Pomone, de Pierre Perrin (v. 1620-1675) et Robert Cambert (v. 1628-1677), éveilla son attention. Les Français s’intéresseraient-ils à une pièce chantée d’un bout à l’autre ? L’opéra pourrait-il devenir une bonne affaire ? Pour l’instant, Perrin, directeur des Académies d’opéras, avait des difficultés financières et fut bientôt mis en prison pour dettes. Lully, conseillé par Colbert, racheta son privilège. Muni en 1672 de nouvelles lettres patentes, il fonda l’Académie royale de musique. En même temps, il obtenait l’interdiction à tout autre que lui de représenter des opéras et faisait limiter l’emploi de la musique dans les comédies. Ainsi pourvu de pouvoirs dictatoriaux, il allait, avec l’excellent librettiste Philippe Quinault (1635-1688), composer un opéra par an. Dès 1672, soucieux d’affirmer sa présence, il fit jouer les Fêtes de l’Amour et de Bacchus, réunion hâtive de fragments de ses ballets. En 1673, il remportait un triomphe avec sa première tragédie en musique, Cadmus et Hermione. Alceste (1674), par contre, fut froidement accueilli. Musiciens et comédiens, indignés par les interdictions de Lully, avaient monté une cabale qui valut à ce dernier beaucoup d’ennuis et un procès. Les soucis n’empêchèrent pas Lully de confirmer sa maîtrise dans Thésée (1675) et surtout dans Atys (1676), qui émerveilla Mme de Sévigné. Un moment ébranlé par la disgrâce de Quinault, accusé d’avoir, dans Isis (1677), représenté Mme de Montespan sous les traits de Junon, Lully s’adressa à Thomas Corneille pour les livrets de Psyché (1678) et de Bellérophon (1679). Puis, avec Quinault, rentré en grâce, il composa Proserpine (1680) et le Triomphe de l’Amour (1681). Il fut alors nommé secrétaire du roi, titre qui lui conférait la noblesse. Ses dernières œuvres, Persée (1682), Phaéton (1683), Amadis (1684), Roland (1685), Armide et Acis et Galatée (1686) firent de lui le maître sans rival de l’opéra français. En janvier 1687, lors de l’exécution de son Te Deum à l’église des Feuillants, il heurta malencontreusement son pied avec la canne qui lui servait à battre la mesure. Il s’ensuivit un abcès qu’il refusa de soigner et il mourut en mars de la gangrène.