Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

anthropologie (suite)

C’est la notion de « totalité » qui fait le joint entre fonctionnalisme et structuralisme. Pour Radcliffe-Brown au moins, une société est un tout intégré, même si le principe de cette intégration n’est pas comme chez Malinowski la satisfaction du système biologique des besoins ; Lévi-Strauss postule également une correspondance, au moins idéale, entre les différents niveaux de la totalité sociale. C’est encore la notion de totalité qui permet de comprendre le culturalisme* américain sous sa forme la plus récente, psychologiste. Ruth Benedict avait avancé la notion de « pattern culturel » ; définissant des types culturels, elle faisait de toute culture une totalité originale, un style. Margaret Mead avait, avec le même ordre de préoccupations, insisté sur l’importance des procédés d’acquisition de la culture (l’éducation) et sur l’importance de cette dernière pour la définition de la structure de la personnalité adulte. C’est déjà la notion de personnalité* de base qui sera développée principalement par Ralph Linton et Abram Kardiner. Pour ces auteurs, chaque culture est un tout relié à la personnalité des membres de la société. Les difficultés viennent de l’ambiguïté de la notion de personnalité de base, définie comme une abstraction (déduite d’un examen de toutes les institutions d’une société), ou véritablement comme un minimum psychologique commun à tous les membres d’une société. On retrouve une difficulté du même ordre avec la distinction faite par Kardiner entre les institutions « primaires » (qui déterminent des types de personnalité et des idéologies) et les institutions « secondaires » (où se réfléchissent ces types et ces idéologies).

C’est son statisme, son immobilisme que Georges Balandier reproche à la notion de personnalité de base, dans un article des Cahiers internationaux de sociologie de 1956. De façon générale, c’est un reproche que certains ont adressé aussi bien au fonctionnalisme qu’au structuralisme.

Le « dynamisme » ne constitue pas pour autant une école ni même une théorie ; c’est plutôt un ensemble de préoccupations commun à différents chercheurs, pour lesquels l’histoire et les changements qu’elle suscite doivent être pour eux-mêmes l’objet de l’attention des anthropologues ; l’équilibre, notent ces chercheurs, n’est jamais le fait des sociétés concrètes ; l’intégration n’est jamais complète et signifierait plutôt la mort d’une société. Personne n’a d’ailleurs véritablement prétendu le contraire, mais l’originalité d’un chercheur comme Leach vient de ce que les modalités du déséquilibre permanent qu’il observe dans la société kachin (en Birmanie) constituent l’objet même de son étude. Georges Balandier, pour sa part, insiste sur le fait que les phénomènes de changement — notamment ceux qui sont liés à la colonisation — peuvent révéler les points forts et les points faibles des sociétés qu’ils affectent. Plus positivement, des chercheurs comme Max Gluckman (Custom and Conflict in Africa, 1955) et G. Balandier substituent la notion de champ social à celle de société, suggèrent de porter attention aux cas, aux « incidents spécifiques affectant les mêmes personnes ou les mêmes groupes pendant une longue période de temps » (Gluckman), de prendre en considération le concept de « situation ».

Pour Balandier, les phénomènes survenus en Afrique centrale, et notamment les messianismes religieux, ne peuvent se comprendre qu’en fonction de la « situation coloniale ». La dimension politique du fait religieux, par exemple, ne se comprend qu’à partir de cette situation. Des travaux comme ceux de J. Berque (Structures sociales du Haut Atlas, 1955) sont effectués dans le même esprit. L’une des caractéristiques de cette tendance, et qui est un signe des temps, c’est qu’au lieu de considérer les phénomènes de changement social et culturel liés à la colonisation et à la décolonisation comme un obstacle à l’observation elle en fait l’objet privilégié de celle-ci. Ainsi on voit que le « rétrécissement » du monde moderne, les rapports de solidarité ou d’antagonisme qui en toute occurrence rapprochent les uns des autres les continents et les peuples se traduisent dans le domaine scientifique : il n’est pas de sociologie du développement qui puisse ignorer les méthodes de l’anthropologie sociale et culturelle, et celle-ci ne peut plus faire abstraction des phénomènes de changement qu’elle a sous les yeux ; l’homme de terrain, au moins, voit l’objet de son étude disparaître s’il le limite aux populations « préservées » du contact avec la modernité.


Quelques problèmes posés aujourd’hui

Les problèmes actuels sont en premier lieu d’ordre théorique. Les changements accélérés des pays dits « en voie de développement » imposent à l’anthropologue de redéfinir ses méthodes et ses points de vue. Parallèlement, les économistes, les démographes et les sociologues sont confrontés avec l’évidence du fait humain et culturel : ils éprouvent la nécessité du recours aux méthodes de l’anthropologie pour comprendre les phénomènes de changement. À ce point, la théorie débouche sur la pratique, et les problèmes peuvent être d’ordre moral ou politique. Devant l’urgence et les impératifs du développement, l’anthropologue ne peut pas vouloir rester inactif ; sa science ne risque-t-elle pas de passer pour un luxe inutile ? Va-t-elle le conduire à souhaiter la constitution de « réserves culturelles » où il puisse observer à loisir ? Mais il ne peut pas non plus, sans risquer de perdre une indépendance qui est l’un des garants du caractère scientifique de son entreprise, se définir comme le simple collaborateur des gouvernements, des administrations ou des sociétés d’études. Les jeunes anthropologues peuvent de ce point de vue rencontrer des difficultés analogues à celles que suscita parfois à la génération précédente la collaboration avec l’administration coloniale. Des organismes nationaux et internationaux s’efforcent, dans le cadre de programmes à long terme ou d’actions immédiates, d’agir de façon pratique et efficace dans les nations « sous-développées », en organisant par exemple, à la demande des autorités locales, des campagnes d’alphabétisation ou d’animation rurale ; des anthropologues contribuent fréquemment aux enquêtes préliminaires à la réalisation de telles campagnes, dans une optique de recherche appliquée.