Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

anthropologie (suite)

Dans une perspective comparative, Lévi-Strauss (les Structures élémentaires de la parenté) a étudié « les systèmes où la nomenclature permet de déterminer immédiatement le cercle des parents et des alliés, c’est-à-dire les systèmes qui prescrivent le mariage avec un certain type de parents... ». Il essaie, à leur propos, de dégager les lois du système d’échanges fondé sur la réciprocité, par lequel les différentes unités d’un même groupe se perpétuent. Les règles d’après lesquelles s’opèrent les échanges peuvent varier en apparence, mais elles se ramènent en fait à un petit nombre : « ... Il n’y a que trois structures élémentaires de parenté possibles ; ces trois structures se construisent à l’aide de deux formes d’échange ; et ces deux formes d’échange dépendent elles-mêmes d’un seul caractère différentiel, à savoir le caractère harmonique ou dysharmonique du système considéré. » Par structures élémentaires, il faut entendre ici les diverses formes de mariage prescrites (avec la cousine croisée bilatérale, fille du frère de la mère ou de la sœur du père indifféremment ; avec la cousine croisée patrilatérale, fille de la sœur du père ; ou la cousine croisée matrilatérale, fille du frère de la mère) ; les deux formes d’échange envisagées sont l’échange restreint (entre deux familles) et l’échange généralisé (plusieurs groupes exogames). Par société harmonique, on entend une société unilinéaire où la règle de filiation et la règle de résidence sont « en harmonie » l’une avec l’autre (la filiation s’établissant par exemple par les hommes et le fils résidant chez son père, ou inversement la filiation s’établissant par les femmes et le neveu utérin habitant chez son oncle maternel), alors que dans une société dysharmonique les deux règles ne coïncident pas (par exemple dans le cas d’une société matrilinéaire où le fils réside chez son père). Ainsi la considération de structures élémentaires et de modèles simples permet d’ordonner et de comprendre la multiplicité des cas empiriquement observables.

L’étude des systèmes politiques, quant à elle, fut longtemps négligée, ou plutôt apparut comme un aspect dérivé et secondaire de l’étude de la famille ou de la religion. La distinction qu’établissait Morgan entre la societas, fondée sur les relations personnelles, et la civitas, fondée sur le territoire et la propriété, paraissait si évidente que le seul problème politique ressortissant pour une part à l’anthropologie fut celui de l’origine de l’État. Les « politistes » européens, pour leur part, ne se sont longtemps préoccupés que de leur « province ». L’ouvrage collectif publié en 1940 sous la direction d’E. E. Evans-Pritchard et M. Fortes eut le mérite de mettre en valeur les aspects proprement politiques pris en certaines occasions par l’organisation sociale ou socio-familiale des sociétés africaines traditionnelles ; la distinction de deux types de sociétés (avec ou sans État) fixait deux terrains de recherche qui furent étudiés intensément après 1945. Tribes without Rulers (sous la direction de J. Middleton et D. Tait) présenta en 1958 un ensemble d’études comparatives sur les sociétés lignagères. L’Anglaise Lucy Mair publia, en 1962, Primitive Government, consacré à l’étude d’États d’Afrique orientale. Il faut citer encore, outre les travaux de M. Fortes, A. W. Southall, S. F. Nadel, D. E. Apter, J. H. M. Beattie, J. Maquet, P. Mercier et G. Balandier, l’œuvre de E. R. Leach (Political Systems of Highland Burma, 1954), qui a, entre autres originalités, celle de s’appliquer à un autre terrain d’études que l’Afrique. En France, l’influence décisive fut celle de Georges Balandier, dont la Sociologie actuelle de l’Afrique noire, en 1955, lia l’étude du fait politique à celui des changements sociaux. Son ouvrage Anthropologie politique (1967) établit un bilan des études en anthropologie politique, et évalue les perspectives qui s’offrent à cette branche.

On peut distinguer quatre grandes tendances théoriques qui ont marqué les travaux des anthropologues modernes : le fonctionnalisme*, le structuralisme*, le culturalisme* et le dynamisme. Du fonctionnalisme, toutes les recherches récentes ont plus ou moins participé, dans la mesure où cette théorie insistait sur la connexion de tous les ordres de faits observables dans une société donnée ; l’explication par la fonction, par référence au système total d’une culture, est très généralement pratiquée. Aucun observateur ne peut prétendre avoir compris ou décrit une institution d’une société donnée, s’il n’a pu voir comment elle se reliait à d’autres institutions ou à d’autres pratiques de cette société ; la mise en évidence des rapports entre organisation sociale, activités économiques et système des valeurs constitue le minimum théorique de toute description anthropologique. Mais c’est le terme « explication » qui fait problème tout autant que celui de « fonction ». Pour Malinowski, la totalité des rapports fonctionnels d’une société devait être référée au milieu physique et aux besoins humains. S’il n’insista guère sur la liaison entre milieu physique et société humaine, Malinowski développa largement sa théorie des besoins. Cet aspect de la théorie fonctionnaliste fut largement rejeté par les anthropologues : pourquoi telle institution et non telle autre dans une société donnée ? On peut voir dans cette démarche un effort pour concilier l’universalisme de l’idéal anthropologique (tous les hommes ont des besoins) et la prise en considération de l’irréductibilité des cultures les unes aux autres (les réponses à ces besoins diffèrent).

La notion de structure a été utilisée en anthropologie dans un sens plus ou moins empirique, ou plus ou moins abstrait. Pour Radcliffe-Brown, les structures « concrètes » constituent la matière première de l’observation, un ordre ou une organisation immédiatement et empiriquement observables, et les formes structurelles, modèles construits, permettent de rendre compte de la réalité observée, de comprendre les structures concrètes. Lévi-Strauss s’est opposé à l’assimilation que fait Radcliffe-Brown de la structure sociale à l’ensemble des relations sociales. Pour lui, le terme de structure sociale ne concerne pas la réalité empirique, « mais des modèles qui sont construits d’après celle-ci... ». Ces modèles, pour Lévi-Strauss, ne sont pas des systèmes a priori ; ils constituent des modèles inconscients partiellement réalisés par les organisations concrètes, en nombre limité, et leur mise en évidence permet l’étude comparative et la systématisation.