Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis-Philippe Ier (suite)

Louis-Philippe et ses ministres

L’instabilité ministérielle de la monarchie de Juillet ne doit pas faire illusion. S’il y a eu dix-sept ministères en dix-huit ans, ce sont toujours les mêmes hommes qui ont monopolisé la répartition des portefeuilles. Le roi n’a jamais cessé de manœuvrer pour écarter les obstacles à son ambition. Dans les mois qui ont suivi les Trois Glorieuses, il lui a fallu subir la pression de la rue et celle de la gauche bourgeoise représentée par le « Mouvement » de Laffitte. Louis-Philippe, qui sait aussi ne pas garder ses distances, passe des revues, reçoit des délégations et donne du « camarade » aux gardes nationaux. Il laisse Laffitte se discréditer et, quand le « Mouvement » a épuisé ses capacités de louvoiement, renvoie Laffitte et accepte Casimir Perier* (mars 1831).

Choix malheureux, car le chef de la « Résistance » dicte sa volonté au roi. Le Conseil des ministres sera désormais réuni hors de la présence du souverain. Son président étudiera les affaires avant de les lui soumettre. Quant à l’héritier du trône, il sera purement et simplement exclu des délibérations. Quand Casimir Perier meurt, le 16 mai 1832, Louis-Philippe pense ressaisir les rênes et laisse vacante la présidence. Mais, jusqu’en 1836, alliés ou désunis, le duc Victor de Broglie*, Thiers et Guizot font la loi. Le roi s’acharne à briser le triumvirat, « Casimir Perier en trois personnes », comme il l’appelle. En 1834, il réussit à écarter le duc de Broglie, mais doit le reprendre l’année suivante. En 1836, il met Thiers dans son jeu, mais les initiatives de l’ambitieux chef du centre gauche ne laissent guère de place aux siennes. Thiers est renvoyé. Avec le second ministère Molé (de 1837 à 1839), Louis-Philippe entrevoit une possibilité d’influer directement sur les événements. Un « parti du château » se constitue avec des députés-fonctionnaires et des notables gagnés par de substantielles faveurs. Mais la coalition de Broglie-Thiers-Guizot-Barrot a raison de Mole. Ce n’est qu’après une longue crise et un court intermède Thiers que le roi trouve enfin l’homme de confiance, Guizot, qui va le demeurer jusqu’à la fin (1840-1848). L’illustre universitaire, accueilli d’abord comme un ministre de transition, finit par s’imposer. Seul entre tous, il a eu le maître mot : « Le trône n’est pas un fauteuil vide. » Louis-Philippe appuiera aveuglément sa politique et lui devra sa chute et son exil.


Louis-Philippe et la politique extérieure

Domaine privilégié du souverain, les affaires européennes ont constitué aussi son principal souci. Le « roi des barricades » n’a eu de cesse de faire oublier sa douteuse origine et de se faire reconnaître par les grandes puissances, à commencer par les puissances absolutistes, la Prusse, l’Autriche et la Russie. Dans un premier temps, Louis-Philippe va mener une politique de sauvegarde de la dynastie. Pour éviter une nouvelle coalition de 1815, il neutralise toute action susceptible d’inquiéter l’Europe et s’oppose à toute modification territoriale ou dynastique, même bénéfique pour le pays. Mais il doit tenir compte du nationalisme de l’opinion française, y compris de l’opinion bourgeoise, prompte à taxer d’abandon le moindre compromis et qui prône l’intervention hors des frontières pour sauver les frères polonais, belges ou italiens. Son pacifisme procède aussi d’une saine conception de la politique économique, qu’il partage d’ailleurs avec l’oligarchie dirigeante : la paix est nécessaire aux affaires. Le roi n’hésite pas à agir en sous-main, et sa diplomatie double et contrecarre souvent celle de ses ministres et des représentants accrédités.

Quand, au début de son règne, le ministère du « Mouvement » paraît cautionner une intervention française en faveur des libéraux italiens, Louis-Philippe s’active à rassurer l’Europe. La révolution belge le met dans une position délicate. En février 1831, le duc de Nemours est élu roi des Belges. Louis-Philippe, qui craint les réactions anglaises, n’hésite pas à notifier un refus formel aux représentants de la sécession. Cette alliance anglaise sera longtemps indispensable pour faire contrepoids à la pression des régimes absolutistes.

Après une certaine éclipse de 1836 à 1840, elle paraît triompher de nouveau. C’est l’Entente cordiale de 1840 à 1846, qui se heurte rapidement aux intérêts contradictoires des deux pays en Méditerranée orientale et dans la péninsule Ibérique, et à laquelle met fin l’affaire des mariages espagnols (10 oct. 1846). Louis-Philippe semble envisager sans crainte un renversement des alliances, car sa politique d’ordre à l’intérieur comme à l’extérieur a eu raison de la méfiance autrichienne. Un rapprochement diplomatique s’esquisse depuis 1847 avec Vienne. Le roi et Guizot n’en sont pas pour autant prêts à s’intégrer dans une nouvelle et paradoxale Sainte-Alliance. Leur refus de soutenir les mouvements révolutionnaires qui se déchaînent en Italie, en Allemagne et en Suisse n’est que la manifestation de la politique du juste milieu et de leur souci de maintenir le statu quo. Mais l’opinion française y voit une « trahison » succédant à une cascade de capitulations : traité de Londres du 15 juillet 1840, qui consacre la défaite de Méhémet Ali, l’allié privilégié ; affaire Pritchard, etc.


La chute de Louis-Philippe

Si la révolution de 1848 a été une surprise, elle l’a été surtout pour le roi, inconscient du danger mortel que faisait courir à la dynastie la politique ultra-conservatrice de Guizot, qu’il appuyait sans défaillance. Malgré les mises en garde, Louis-Philippe s’est obstiné. Son dernier discours du trône en témoigne : « Au milieu de l’agitation que fomentent les passions ennemies ou aveugles [...]. » À dix-huit ans de distance, on croit entendre Charles X : « Si de coupables manœuvres [...]. » Quand éclate la révolution le 23 février 1848, Louis-Philippe n’a plus que le réflexe du manœuvrier de couloirs qui a perdu conscience de l’importance des forces déchaînées. Il appelle Molé. Quelques heures après la tragique fusillade du boulevard des Capucines, même Barrot n’est plus l’homme de l’heure. Le 24 février, Louis-Philippe abdique en faveur de son petit-fils, le comte de Paris, mais la révolution balaie la dynastie. Le roi doit fuir en Angleterre, où il meurt deux ans plus tard.

J. L. Y.

➙ Bourbon / Guizot / Juillet (monarchie de) / Révolutions de 1848.