Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis XIV (suite)

Le gouvernement des esprits et des consciences


« Le siècle de Louis XIV »

On ne saurait énumérer ici toutes les gloires littéraires, artistiques ou scientifiques du règne, mais il faut s’interroger sur l’action personnelle du roi et de son gouvernement dans ce domaine.

Il y a d’abord, moins connu, tout un aspect négatif du gouvernement des esprits, semblable à ce qui se passe dans toute l’Europe d’alors, à l’exception toutefois des Provinces-Unies et de l’Angleterre d’après 1688. La politique suivie à l’égard de l’édition en est révélatrice. Les imprimeurs sont réduits en nombre pour rendre leur surveillance plus facile, puis, en 1666, une censure impitoyable et tatillonne s’exerce, les écrivains coupables sont frappés d’amendes, d’emprisonnement, de bannissement ou de galères. Le remarquable, malgré ses mesures répressives, c’est la magnifique floraison littéraire du règne.

Dans tous les domaines, le roi veut être le seul mécène. Colbert, en qualité de surintendant des Bâtiments, le seconde dans cette tâche. En 1671, Louis XIV loge l’Académie française chez lui, dans son Louvre, et en devient le protecteur. Académie royale de peinture et sculpture avec Le Brun* comme directeur, Académie royale d’architecture, dont le roi nomme lui-même les membres, Académie de France à Rome sont créées ou refondues durant les dix premières années du règne. Le roi pensionne artistes et hommes de science. Molière*, dont il impose le Tartuffe contre l’Église et les dévots, lui doit presque tout. Racine* est son historiographe, et il finit par autoriser La Fontaine*, qu’il n’aime pas, à entrer à l’Académie française. Passionné de musique et de ballets, il donne à Lully* les pleins pouvoirs en matière musicale.

Il fait en tous domaines appel aux étrangers, qu’il comble de biens : à des artistes italiens comme le Bernin* ou Caffieri*, à des astronomes comme le Hollandais Huygens* ou l’Italien Cassini*. En dehors de ces grands noms, Louis XIV appelle en outre une foule d’artisans étrangers, surtout italiens (les verriers vénitiens) ou flamands, qui travaillent en sa Manufacture royale des meubles de la Couronne en 1667 (v. Gobelins).

Il faut reconnaître que, si Louis XIV bénéficie de l’extraordinaire foule de génies qui illustrent le début de son règne, et qui sont un héritage de Mazarin et de Fouquet (les trois créateurs de Versailles : Le Vau*, Le Brun et Le Nôtre*, sont ceux qui avaient construit son château de Vaux-le-Vicomte), il a le mérite de poursuivre ce mécénat en soutenant de son autorité et de ses deniers les plus grands esprits de son temps.

L’art royal par excellence, l’architecture, donne un de ses plus purs chefs-d’œuvre sous Louis XIV. La création de Versailles, malgré l’opposition de Colbert, est imposée et dirigée par le roi. Admirable concert de pierres, de verdure, d’eau et de fleurs, le palais de Versailles et les fêtes splendides qui s’y donnent sont le meilleur ambassadeur du rayonnement français à l’étranger. Mais Versailles ne doit pas faire oublier les autres constructions : la colonnade du Louvre et l’Observatoire, construits par Claude Perrault (1613-1688), l’hôtel des Invalides, les portes Saint-Denis et Saint-Martin, les quais de la Seine, le Trianon et Marly.

Le roi protège aussi les savants, qui sont regroupés à l’Académie royale des sciences, fondée en 1666. L’Observatoire de Paris, construit en 1667, reste une des plus belles réalisations du règne : il est organisé par Cassini, que Louis XIV fait venir d’Italie et qui est le premier d’une lignée de savants exceptionnels. Huygens travaillera à cet Observatoire, où il confirmera, par exemple, les théories d’Olaüs Römer (1644-1710) sur la vitesse de la lumière. Au Jardin du roi (notre Jardin des plantes), illustré par le grand botaniste Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708), la circulation du sang à la découverte de laquelle contribue un Français, Jean Pecquet (1622-1674), est enseignée dès 1673.


« Des intérêts du Ciel pourquoi vous chargez-vous ? » (Molière)

En matière de foi, Louis XIV semble avoir hérité de sa mère une piété à l’espagnole, plus formaliste que profonde ; mais cette piété se manifeste assez tard, l’âge venu et sous l’influence de Mme de Maintenon, avec qui le roi se marie secrètement après la mort de la reine, survenue en 1683. Dans les premières années du règne, le jeune souverain, dominé par ses passions et qui soutient le Tartuffe de Molière, fait plutôt songer à un jeune prince quelque peu libertin.

Avec l’Église de France, il n’y aura guère de problèmes. L’épiscopat, rangé derrière son « maître à penser », Bossuet*, est tout entier soumis à son roi. Louis XIV a le souci, sauf exception, de ne nommer aux sièges épiscopaux que des prélats dignes et conscients de leurs devoirs. Il tient particulièrement à ce que ses évéques résident dans leur diocèse plutôt qu’à la Cour, et il faut noter qu’aucun homme d’Église n’entrera de tout le règne dans son gouvernement. Il donne, par contre, aux évêques une grande autorité sur leurs prêtres. Par ses édits de 1695 et de 1698, il livre en fait ceux-ci à l’arbitraire épiscopal, situation qui accentuera au xviiie s. le clivage entre les deux clergés.

Envers les deux grands problèmes religieux du règne, qui dégénérèrent en conflit — le gallicanisme* et les luttes avec Rome ainsi que les rapports avec les protestants —, la politique suivie par Louis XIV aboutit à un échec total. Il faut y ajouter l’inefficacité de sa politique antijanséniste (v. jansénisme), qui, loin de réussir, va faire de la secte persécutée le lieu de rencontre, à la fin du règne, de toutes les oppositions, jusqu’à ce que la bulle Unigenitus (1713) — qui aura de nombreux adversaires — scelle son union avec le gallicanisme parlementaire et antiabsolutiste pour toute la durée du xviiie s.

La crise gallicane illustre la difficulté des rapports entre les deux pouvoirs et la pénible et lente dissociation du politique et du religieux, ce fait capital de l’histoire moderne. La fin de l’unité de la chrétienté au xvie s. a paradoxalement renforcé la puissance du pape. Devant la désagrégation de l’unité de foi, Rome se doit d’affirmer plus vigoureusement encore son autorité spirituelle centralisatrice. Elle va assumer seule l’autorité du magister suprême en ne convoquant plus, après Trente (1545-1563), de conciles œcuméniques. Aussi la crise du gallicanisme sous Louis XIV est-elle le choc de deux absolutismes aussi intransigeants l’un que l’autre. Cette doctrine solidement implantée en France depuis la « pragmatique sanction de Bourges » de 1438, confirmée par le concordat de Bologne en 1516, était très favorable à l’autorité des rois de France. En gros, l’Église se considérait, pour l’administration de ses affaires intérieures, assez indépendante du pape. Au xviie s., le renforcement de l’autorité de l’État va provoquer le conflit. Durant les trente premières années du règne personnel de Louis XIV, il y aura une tension constante entre Rome et Paris, culminant avec l’affaire de la régale* (1678-1682). On semblait tendre au schisme par trois voies : la proclamation de la suprématie du concile sur le pape, le projet d’un patriarcat français et l’appel à un futur concile.