Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis XIV (suite)

Les limites de l’absolutisme et son avenir

Les limites sont dues à deux causes principales.

• La faiblesse des fonctionnaires royaux. « Un roi et quelques ministres pour prendre les décisions, une trentaine de conseillers d’État et une centaine de maîtres des requêtes pour préparer le travail, en comptant les moindres des employés de ses bureaux, un millier de personnes seulement pour administrer le royaume » (Goubert).

• La résistance des provinces. Le gouvernement de Louis XIV, c’est un absolutisme tempéré par la désobéissance. Les parlements, qui opposent leurs coutumes, les compagnies d’officiers, qui opposent leurs privilèges, restent sur la défensive ; il faut y ajouter les traditions d’autonomie des provinces, la force d’inertie, la gêne pour transmettre rapidement les ordres et pour être promptement informé due aux difficultés des communications.

Cependant, le chemin parcouru pendant tout le règne dans la voie de la centralisation et de l’unification est considérable. En 1715, la France possédera un excellent réseau d’intendants (une trentaine) disposant de bons auxiliaires. Les solides administrations du xviiie s. et de l’Empire sont contenues en germe dans celles de Louis XIV. Les « Codes » de Colbert commencent à unifier le droit français. De grands services publics se mettent en place : poste, enregistrement, ponts et chaussées. Si l’effort centralisateur et unificateur n’a réussi qu’en partie, à cause de la faiblesse des moyens et de la résistance de l’opinion, il a préparé l’avenir et a frayé la voie aux grands hommes d’État du règne de Louis XV comme à ceux de la Révolution et de l’Empire.

Une création de Louis XIV : la Maison du roi

Jusqu’au règne de Louis XIV, les différents corps des gardes du roi étaient mêlés en temps de guerre aux autres unités de l’armée. Le premier, Louis XIV, comprend la valeur d’une troupe délite, sorte de réserve de la fortune capable en des circonstances graves de produire un effort décisif. Par l’ordonnance du 6 mai 1667, il décide donc de réunir les troupes de sa garde en une formation unique, à laquelle il donne le nom de Maison du roi. Étant lui-même capitaine de plusieurs compagnies, il fait surveiller avec grand soin le recrutement des unités et parvient rapidement à constituer une force de 12 000 hommes redoutables et redoutés : « Jamais une bataille ne peut être considérée comme gagnée sur les Français, diront leurs ennemis, tant que la Maison du roi n’a pas donné. »

Cette Maison du roi constitue à la vérité un ensemble assez hétéroclite qui comprend, d’une part, un certain nombre d’unités (gardes du corps, cent-suisses, mousquetaires, gardes françaises, gendarmes du roi, etc.) illustres par leur ancienneté, remontant, pour certaines, au xve s., et d’autre part la gendarmerie de France. Cette dernière, qui, en campagne, fait brigade avec ces autres unités, est l’héritière des gens d’armes des compagnies d’ordonnance créées par Charles VII en 1439. Elle rassemble, sous Louis XIV, 16 compagnies de 63 maîtres chacune :
— 4 compagnies de gendarmes (écossais, anglais, bourguignons et flamands), dont le roi est capitaine ;
— 6 compagnies de gendarmes et 6 de chevau-légers (de la reine, du dauphin, de Bretagne, d’Anjou, de Berry et d’Orléans).

En temps de paix, les autres unités de la Maison du roi se divisent en deux parties distinctes : la garde du dedans du Louvre, exerçant à l’intérieur du palais un service d’honneur et de sécurité, et la garde du dehors du Louvre. À la première appartiennent les 4 compagnies de gardes du corps (1 écossaise, parmi laquelle sont choisis les gardes de la Manche, les plus proches de la personne du roi, et 3 françaises), les cent-suisses (remontant au roi Louis XI), les gardes de la porte et les gardes de la prévôté de l’hôtel. La garde du dehors comprend les cent gentilshommes à bec-de-corbin, les chevau-légers et les gendarmes de la garde du roi, deux compagnies de mousquetaires (les gris et les noirs) casernes à Paris, l’une faubourg Saint-Germain, l’autre faubourg Saint-Antoine, les grenadiers à cheval et les deux régiments des gardes françaises (1563) et des gardes suisses (1616).

La Maison du roi a été l’effroi de l’Europe. À Seneffe (1674), irrité par le calme sous le feu des gardes du corps, le prince d’Orange s’écrie : « Quelle insolente nation ! » À Leuze (1691), vingt-deux escadrons de la Maison du roi en mettent soixante-douze en déroute : Louis XIV fait frapper une médaille pour ce beau fait d’armes, et les grenadiers à cheval y gagnent leur devise : Undique terror, undique lethum (« Partout la terreur, partout la mort »). « Si j’avais eu vingt escadrons de gendarmes et vingt princes de Rohan à leur tête, écrit Louis XIV après Ramillies en 1706, les ennemis ne seraient pas où ils sont. » L’entrée en ligne des mousquetaires à Montcassel en 1677 fut si prestigieuse que des soubrevestes ornées de grandes croix leur sont accordées pour qu’ils soient reconnus de loin. À Fontenoy en 1745, la Maison, tout entière réunie, mettra en pièces les Anglais de Cumberland au moment où ils croyaient tenir la victoire. « On ne peut battre la Maison du roi, disait le duc de Marlborough, il faut la détruire. »

Ce que l’Europe n’aura pu réussir, les Français inconscients vont s’en charger. Vigoureux, ardents, ils s’amusent au temps de Jean-Jacques et de Figaro et s’amourachent du roi de Prusse au moment où ce dernier leur inflige défaite sur défaite. Le comte de Saint-Germain (1707-1778), officier de la guerre de Sept Ans, devenu ministre de la Guerre par la faiblesse de Louis XVI, entreprend la destruction de la Maison du roi, qu’il juge coûteuse et désuète. Louis XVI cède, et de 1776 à 1786, mousquetaires, grenadiers à cheval sont supprimés, et les gardes du corps réduits. Les gardes françaises, qui ont trahi le roi, sont dissoutes le 31 août 1789, et les gardes du corps en 1791. Quant aux gardes suisses, ils se feront massacrer aux Tuileries le 10 août 1792.

H. L.