Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Lorraine (suite)

L’Austrasie est la première entité politique où la future Lorraine se trouve tout entière. Ce quart du royaume de Clovis Ier* a eu d’abord Reims pour capitale ; Metz prend bientôt sa place. La Cour est brillante au temps de Sigebert Ier et de Brunehaut. C’est de là que partent et partiront les entreprises de conquêtes en direction du Rhin, de la Souabe et de la Thuringe. Mais les contacts restent encore étroits avec la Champagne.

Le royaume franc perd vite son lustre : Dagobert Ier* est le dernier roi qui a en Austrasie quelque activité. C’est en son temps que surgissent les ancêtres des familles des Pippinides et des Arnulfiens.

Dans l’empire de Charlemagne*, la Lorraine jouit d’une position centrale : son activité religieuse et culturelle est grande. Les évêques de Metz sont les collaborateurs du prince. La cité des bords de la Moselle accueille une école de chant, abrite des enlumineurs et des sculpteurs d’ivoire. Le commerce y est actif, peut-être moins alors qu’à Verdun en un temps où l’axe mosan est particulièrement fréquenté. La société et les institutions y ont les caractères communs à tout l’Empire ; le souvenir du particularisme austrasien s’estompe progressivement.

Le traité de Verdun, en partageant l’empire de Louis Ier* le Pieux, crée en 843 le royaume de Lothaire Ier, d’où se détache la Lotharingie en 855 (v. Carolingiens). Les démêlés matrimoniaux de Lothaire II (roi de 855 à 869) et l’absence d’héritier légitime de celui-ci permettent le partage du royaume à Meerssen (870).

Bientôt les fils de Louis le Germanique arrachent à leurs cousins la totalité du pays et refont son unité à leur profit. Le règne de Zwentibold (895-900), placé en Lotharingie par son père, l’empereur Arnulf, n’est qu’un intermède. En 911, les grands du pays donnent la Lotharingie à Charles III le Simple, roi de France, mais Henri Ier l’Oiseleur, fondateur de la dynastie saxonne, la récupère par la force en 925. Dès lors, la Lorraine est attachée à la Germanie.


La Lorraine, marche germanique (925-1301)

La cohésion de l’Empire saxon est due à la politique habile de ses souverains — Henri Ier l’Oiseleur, Otton Ier* le Grand —, dont l’œuvre sera poursuivie par leurs successeurs. Leur désir de gouverner en prenant appui sur l’Église contre les grands laïques permet la création de puissants temporels épiscopaux : le roi confie aux évêques des Trois-Évêchés des terres, des abbayes, des forêts, des droits et des privilèges, mais il se réserve leur choix ou leur nomination. La cité de Metz est le mieux pourvue, et ses possessions se dispersent de la Champagne au Rhin et de la Sarre à la haute Moselle (Épinal) ; cette puissance donne pour longtemps aux prélats la primauté en Lorraine. Verdun confond son « évêché » avec son diocèse, assez petit du reste. La cité de Toul est mal dotée : le pouvoir spirituel de ses chefs s’exerce de la Marne aux Vosges, mais leur temporel se réduit à peu de chose entre la Moselle et la Meuse.

La réforme ecclésiastique et la querelle des Investitures* provoquent un relâchement de l’emprise royale et cléricale. Le duché de Lorraine, exclu des cités et des grandes vallées, limité à des espaces agricoles et forestiers, mettra deux siècles pour faire bonne figure. Le comté de Bar, héritage de la première dynastie ducale, prenant appui sur Saint-Mihiel et Mousson, gagne peu à peu sur les biens verdunois et messins : il réussit à devenir une principauté frontalière étirée du nord au sud, mais particulièrement dynamique.

Ici ou là naissent des comtés, fiefs des évêques pour la plupart et couvrant des territoires peu étendus : Salm, Sarrewerden, Sarrebruck ; celui de Dabo et Metz a seul plus de prestige au xiie s. À un degré inférieur se créent à l’intérieur des principautés des seigneuries, petites cellules où s’exerce le pouvoir banal.

Le découpage féodal et les relations de seigneur à seigneur donnent de l’importance à l’opposition des langues. Ceux qui parlent le roman regardent plus volontiers vers l’ouest et accueillent les nouveautés françaises. De l’autre côté, la moitié orientale du diocèse de Metz utilise la langue germanique, et les seigneurs des vallées de la Sarre et de la Blies se tournent plutôt vers les régions rhénanes, où ils trouvent leurs alliances.

Le comte de Champagne d’abord, le roi de France ensuite ont conscience du phénomène. Ils ne cessent, au cours du xiiie s., de gagner du terrain en Lorraine par les unions familiales, les inféodations, l’action culturelle et artistique. Philippe IV* le Bel profite du recul très net de l’action des souverains allemands après le grand interrègne (1250-1273) pour s’imposer d’abord auprès du clergé, puis auprès des seigneurs. En 1301, il peut exiger l’hommage pour les terres barroises de la rive gauche de la Meuse, le Barrois désormais mouvant de la couronne de France.

Si l’action politique s’exerce encore d’ouest en est, le commerce et l’activité économique suivent les voies traditionnelles qui unissent l’Italie du Nord et la Flandre : Meuse et Moselle offrent des voies dont profitent les anciennes cités et quelques villes nouvelles (Neufchâteau, Épinal). Les châteaux se multiplient sur leurs bords pour surveiller les passages. Toutefois, au xiie s. et au début du xiiie, la Champagne attire davantage les marchands. Plus tard, un léger déplacement vers l’est redonne vigueur au commerce lorrain et alsacien. Une bourgeoisie active fait son apparition un peu partout, plus particulièrement à Metz et à Verdun. Foires et marchés se multiplient. Quelques produits lorrains alimentent ce commerce. Le sel du Saulnois en a la meilleure part : il appartient aux Messins. Le fer, en lentilles de surface, est extrait en bien des endroits : le Barrois, proche du Bassigny, l’exploite le mieux, en attendant l’éveil des vallées de la Fentsch et de la Moselle. Des produits agricoles fournissent au patriciat messin l’occasion de bonnes affaires, mais c’est le change de monnaies surtout qui contribue à animer la ville.