Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lomonossov (Mikhaïl Vassilievitch) (suite)

Il appliqua soigneusement cette délimitation des genres dans sa propre œuvre. Ses imitateurs, moins habiles, n’échapperont guère à la platitude en adoptant des formes souvent artificielles ; ils rendront surtout la poésie inaccessible aux masses. Cependant, Lomonossov a accompli dans le chaotique de la langue une œuvre de pionnier, de défricheur et a préparé le miracle littéraire des générations suivantes.

S. M.-B.

 A. Martel, Michel Lomonossov et la langue russe (Champion, 1933). / H. Grasshoff, Michail Lomonossow, der Begründer der neueren russischen Literatur (Halle, 1962). / L. Langevin, Lomonossov, sa vie, son œuvre (Éd. sociales, 1967).

London (Jack)

Romancier américain (San Francisco 1876 - Glen Ellen, Californie, 1916).


Auteur de romans d’aventures pour les uns, pionnier du socialisme américain pour les autres, Jack London fut le romancier le plus populaire de son temps et l’un des plus controversés. On considère aujourd’hui l’auteur de l’Appel de la forêt (1903) et de Croc-Blanc (1905) comme un écrivain pour la jeunesse, dans la lignée de Kipling. C’est oublier que, dans le Talon de fer (1907), London est le prophète d’une révolution anarcho-socialiste. Son plus étonnant roman, c’est sa vie d’aventurier, qu’il raconte dans des œuvres autobiographiques comme Martin Eden (1909) et John Barleycorn (1913). Cette vie est la chanson de geste d’un aspirant-superman qui fit fortune au nom du socialisme et se tua de succès.

Fils naturel d’un astrologue irlandais et d’une spirite yankee, qui se sont séparés à coups de revolver, John Griffith, dit Jack London, doit se débrouiller très tôt, seul, sans argent, sans famille, dans le San Francisco du temps de la ruée vers l’or. Vendeur de journaux, ramasseur de quilles dans un bowling, chasseur de chats pour leurs peaux, il survit à tous les métiers. À quinze ans, il frète un sloop et devient écumeur des parcs à huîtres, une main au gouvernail, l’autre au revolver. Puis il est chasseur de phoques au Japon. En 1894, trimardeur, il rejoint l’armée rebelle des chômeurs de Jacob Sechler Coxey (1854-1951), en marche sur Washington. En 1897, chercheur d’or en Alaska avec une équipe d’illuminés, il passe ses nuits à discuter de Karl Marx et de Nietzsche, de Milton et de Kipling, qui sont les écrivains qui l’ont le plus influencé. À vingt-trois ans, il commence une carrière de pigiste à dix dollars les mille mots, exploitant ses souvenirs d’aventurier. Le succès vient, très vite, très gros. Parce qu’il parle de choses tabous : l’aventure, le socialisme, les jambes des femmes. Parce qu’il invente en 1898 le roman du xxe s., en bousculant les conventions polies, pour évoquer la lutte pour la vie et prouver que l’homme descend du chien. En 1898, son premier récit, To the Man on Trail, est publié dans l’Overland Monthly, suivi de An Odyssey of the North, puis d’un recueil de récits, The Son of the Wolf (1900), son premier livre.

En une dizaine d’années de travail acharné, Jack London va se hisser au premier rang des romanciers populaires américains, produisant à un rythme inégalé une série de romans, dont les plus connus sont The Call of the Wild (l’Appel de la forêt, 1903), The Sea Wolf (1904), The War of Classes (1905), White Fang (Croc-Blanc, 1905), Smoke Bellew (1911), The Valley of the Moon (1913). En dix ans, il gagne de sa plume un million de dollars-or, sans cesser de dénoncer la société capitaliste et d’exalter les vertus compétitives de la lutte pour la vie dans les forêts nordiques. Il se vante d’être l’écrivain le plus payé du monde, mais signe ses lettres « Vôtre pour la révolution ». Playboy du socialisme, il enquête sur les taudis de Londres (The People of the Abyss, 1903), mais se fait construire le plus beau yacht du monde et la plus belle villa de Californie. Milliardaire et endetté, surmené et alcoolique, il se suicide à quarante ans, parmi les plans du ranch idéal dont il avait toujours rêvé.

C’est moins le socialisme qui anime cette vie et cette création prolifique, qu’une volonté de revanche. Comme ses héros, hommes ou chiens, il veut sortir du troupeau. Dans ces symboliques histoires d’animaux, on devine sous le thème de la meute une fascination pour l’instinct primitif de survie individuelle. Des titres comme The Abysmal Brute (1913), The Strength of the Strong (1913) révèlent cette obsession.

Héros d’une époque qui a poussé le culte de l’entreprise jusqu’à la férocité, Jack London est moins romancier socialiste que le Kipling du jeune impérialisme américain, à l’époque où Théodore Roosevelt commence à manier son « gros bâton ». Il dénonce les maux d’un capitalisme anarchique et sauvage, mais il est fasciné par cette colossale grandeur. Buffalo Bill du roman, il confond lutte de classes et sélection naturelle, socialisme et loi de la jungle. Best-seller sans complexe, il remplace le manichéisme du bien et du mal par celui du faible et du fort. Et que le meilleur gagne. Sous sa phraséologie socialiste se dissimule un nationalisme inquiétant : « Le socialisme, écrit-il, n’est pas un système inventé pour le bonheur des hommes. Il est réservé à certaines races. Il leur apporte davantage de puissance pour survivre et hériter de la terre où s’éteindront les races les plus faibles. »

On a longtemps cru que London exaltait les vertus viriles de la compétition au nom du socialisme. En réalité, cet individualiste anarchisant les haïssait. C’est la libération de Jack London que Croc-Blanc et Buck, ces dogues nietzschéens, cherchent en Alaska. Et c’est là, dans la solitude nordique d’un monde débarrassé des « autres », que Jack London prend sa place, hors d’une société qui l’avait condamné à mourir de succès.

J. C.

 I. Stone, Jack London, Sailor on Horseback (New York, 1938 ; trad. fr. Jack London, ou l’aventurier des mers. Stock, 1969). / R. O’Connor, Jack London (Boston, 1964). / C. C. Walcutt, Jack London (Minneapolis, 1966).