Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

logistique

Partie de l’art militaire embrassant l’ensemble des activités qui permettent aux forces armées de vivre, de se déplacer et de combattre.


« On ne voit, dans les récits ordinaires de guerre, que des armée formées et prêtes à entrer en action. On n’imagine pas ce qu’il en coûte d’efforts pour faire arriver à son poste l’homme armé, équipé, nourri, instruit et guéri s’il a été blessé ou malade. Toutes ces difficultés s’accroissent à mesure qu’on change de climat ou qu’on s’éloigne du point de départ. La plupart des généraux ou des gouvernements négligent cette espèce de soin. » En écrivant ces lignes dans son Histoire du Consulat et de l’Empire (1845-1862), Thiers délimitait sans la nommer le domaine de ce qu’on appelle aujourd’hui la logistique. En France, ce n’est qu’au xviiie s. que ce terme apparaît : il désigne alors la science du raisonnement ou du calcul appliquée à la technique militaire, notamment au mouvement et au ravitaillement des armées. La logistique tend ensuite à se confondre avec la stratégie, bien que le général de Jomini lui ait consacré un chapitre de son Précis de l’art de la guerre (1836). Le mot est repris par les Italiens lors de la guerre italo-éthiopienne (1935-36) ; pendant la Seconde Guerre mondiale, il est réintroduit par les Américains, pour lesquels les problèmes de ravitaillement et de transport revêtent une importance primordiale en raison de l’éloignement des théâtres d’opérations comme du volume des forces engagées.


Logistique et histoire militaire

Les Romains possédaient déjà une administration régulière ; les préfets des camps et les logistes constituaient dans les villes soumises des dépôts d’approvisionnements, mais les légions jouissaient d’une large autonomie, hommes et convois transportant le ravitaillement de plusieurs semaines.

Jusqu’au xviie s., les troupes subsistent généralement par l’exploitation, souvent transformée en pillage, des ressources locales. L’institution des commissaires des guerres liée à celle des armées permanentes introduira un certain contrôle dans la fourniture de subsistances aux troupes. Mais, aux xviie et xviiie s. encore, celles-ci n’ont que de faibles effectifs, leurs besoins en munitions et matériels sont réduits. Le système des magasins et des dépôts, reposant sur un maillage de places fortes qui les abritent, est le plus communément utilisé. En outre, des commissaires aux vivres passent des marchés avec des munitionnaires s’engageant à fournir des subsistances pendant la durée d’une campagne. L’incompétence ou la malhonnêteté de ces sous-traitants favorisèrent souvent les abus et le retour à l’exploitation directe des ressources locales par les armées.

Napoléon, qui manie de beaucoup plus gros effectifs, améliore la valeur des commissaires et généralise la manœuvre « sur réseau de places », où, avant l’entrée en campagne, il rassemble les approvisionnements, raccourcissant ainsi les lignes d’opérations de l’armée et se rendant relativement indépendant de sa ligne de communication avec la métropole. Il apporte un soin tout particulier à l’organisation des mouvements de ses unités ; en 1800, il crée le train d’artillerie et les inspecteurs aux revues, que Louis XVIII transformera en 1817 en intendants militaires (v. intendance militaire) ; en 1807, il crée le train des équipages. Au xixe s., le développement de l’armement, et surtout de l’artillerie, accroît la consommation des munitions et pose le problème de leur ravitaillement. L’invention du chemin de fer bouleverse les données du déplacement des unités : grâce à leur réseau ferré, les Allemands concentrent en 21 jours, en 1870, 550 000 hommes, 150 000 chevaux et 6 000 canons sur la frontière française. Tirant les enseignements de la campagne, la France se donne, le 16 mars 1882, une loi sur l’administration de l’armée afin de « pourvoir à tous ses besoins matériels, de fournir les moyens nécessaires à la défense du territoire et d’assurer le bon emploi des ressources mises à cet effet à la disposition du ministre de la Guerre par les lois annuelles de finances ». À la base de l’organisation se trouvent les grands services de l’armée (artillerie*, génie*, intendance*, santé*, poudres*), subordonnés au commandement, mais techniquement et financièrement autonomes et dont le fonctionnement est vérifié par un corps spécial, celui du contrôle* de l’armée créé en 1882.

La Première Guerre mondiale prouve l’efficacité du système. Les approvisionnements rassemblés dans de grands établissements de l’intérieur sont acheminés par trains entiers sur des organes répartiteurs, les régulatrices de communication, installées dans de grandes gares de triage. Chaque armée dispose sur son territoire (50 à 100 km de front sur environ 100 km de profondeur) de parcs, de dépôts et d’hôpitaux, dont l’activité est coordonnée par une direction des étapes. Les corps d’armée sont desservis par des gares spécialisées (vivres, munitions, essence...) et possèdent des formations sanitaires. Si la voie ferrée constitue l’ossature du système, les transports routiers font la preuve de leur efficacité, attestée notamment lors de la bataille de Verdun par la célèbre Voie sacrée (v. Verdun [bataille de]).

Malgré la guerre sous-marine, qui impose le système des convois, les transports maritimes voient leur importance sans cesse accrue. En 1918, avec l’intervention américaine, 260 000 hommes par mois et 50 000 t d’approvisionnement par jour traverseront l’Atlantique. Le développement des transports n’est que la conséquence de l’accroissement considérable des besoins des armées. Pour y faire face, toutes les ressources et activités de la nation doivent être orientées vers la production de guerre. Aux armées, la nécessité de coordonner l’action des services ainsi que tous les problèmes de ravitaillement et de transport entraîne la création, en 1917 au grand quartier général (G. Q. G.), puis dans tous les états-majors, de Quatrièmes Bureaux spécialisés dans cette mission. À l’échelon armée, les directions des étapes sont alors chargées du commandement des arrières et des relations avec le secteur civil. Les enseignements de ce conflit aboutiront, en France, à la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation de la nation en temps de guerre, qui prévoit la mobilisation de toutes les forces vives du pays.