Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Liszt (Franz) (suite)

Les poèmes pianistiques

Cette expression, qui n’a pourtant pas acquis droit de cité comme celle de poèmes symphoniques, désigne mieux que toute autre une part essentielle de l’œuvre pianistique lisztienne.

Comme en témoignent les plus belles pièces des Années de pèlerinage, les prétextes inspirateurs sont empruntés à toutes les manifestations de la nature (Au bord d’une source, Au lac de Wallenstadt, Cyprès et jeux d’eau de la Villa d’Este), de l’histoire (Chapelle de Guillaume Tell, Canzonetta del Salvator Rosa) ou de l’art (Sonnets de Pétrarque, Après une lecture du Dante, Vallée d’Obermann [d’après Senancour], Sposalizio [Raphaël], Il Pensieroso [Michel-Ange]).

Le mysticisme est plus souvent présent dans les Harmonies poétiques et religieuses, inspirées par Lamartine, d’où se détachent : Funérailles, Pensée des morts et Bénédiction de Dieu dans la solitude.

Le thème faustien, intimement lié au psychisme lisztien, s’est trouvé maintes fois traduit au piano. Les Méphisto-Valses (d’après N. Lenau) sont à peu près ignorées, sauf la première, qui, comme la deuxième, est une transcription de l’orchestre. Les trois dernières appartiennent au style tardif de Liszt, visionnaire et prophétique. La cinquième est connue aussi sous le nom révélateur de Bagatelle sans tonalité. À cet ensemble s’ajoute encore l’étonnante Méphisto Polka (1883).

Les deux Légendes (Saint François d’Assise prêchant aux oiseaux et Saint François de Paule marchant sur les flots), ainsi que les trois Liebestraüme (Rêves d’amour) jouissent d’une grande popularité, sans égaler les autres pièces.

Les pages de l’Arbre de Noël, d’une exécution plus aisée, constituent un précieux album de la jeunesse, écrit au seuil de la vieillesse à l’intention de Daniela von Bülow, petite-fille du compositeur.


Les pièces romantiques

D’une manière générale, ces pièces sans « programme » précis réussissent moins bien à Liszt qu’à Chopin, sauf le recueil intimiste des Consolations, la superbe Deuxième Ballade en si mineur — une des grandes pages à placer à côté de la Sonate et du Dante —, certaines des pièces en forme de danse, surtout les Valses oubliées, où le brillant se double d’une mobilité modulante chromatique très curieuse, et le Csárdás macabre, singulière préfiguration, trente ans plus tôt, de l’Allegro barbaro de Bartók.


Les pièces d’inspiration classique

Liszt a complètement rénové la sonate classique, et nul autre musicien romantique n’a réussi à ce point à regarder vers le passé sans se renier plus ou moins. Tout Liszt, dans son incroyable diversité d’homme, de virtuose, de créateur, est présent dans son plus grand chef-d’œuvre, la Sonate en si mineur : grand monument d’une rigueur formelle admirable, qui ne doit rien à aucune règle scolastique et développe deux thèmes principaux et deux motifs secondaires dans le sens d’une variation perpétuelle où ces motifs se présentent comme autant d’aspects psychologiques d’un même personnage. Les Variations sur la basse chromatique de la Cantate BWV 12 (reprise par Bach dans le Crucifixus de sa Messe) ont été ensuite transcrites pour l’orgue par Liszt lui-même ; ce sont des pages plus austères, intensément douloureuses, se terminant dans la lumière diatonique du choral Was Gott tut das ist wohl getan.


Les pièces d’inspiration nationale

Liszt a transcrit nombre de mélodies nationales hongroises, frayant une fois de plus la voie à Bartók, mais le plus universel des musiciens romantiques a encore laissé d’innombrables pages pour le piano inspirées par des thèmes nationaux, français, allemands, italiens, polonais et russes, même s’il n’y a pas dans cette quête de la musique des nations l’exactitude scientifique qu’y apportera le xxe s., en remplaçant la fantaisie par la rigueur.

Les Rhapsodies hongroises (la deuxième, la sixième et la quinzième ont un peu éclipsé les autres, et en particulier les quatre dernières — encore un témoignage du style tardif de Liszt) ont beaucoup agité les musiciens soucieux d’ethnologie : hongroises ou tziganes ? Il faut aujourd’hui reconnaître que les deux éléments y sont mêlés. Rien de cette obsession de la pureté folklorique d’un Bartók. Les Rhapsodies demeurent un admirable hommage du compositeur à sa première patrie, musique diaboliquement vivante.


Les morceaux de concert

Pièces rhapsodiques et acrobatiques, où il n’y a jamais place pour l’ennui, mais pas davantage pour la profondeur, bien sûr. Sauf peut-être Weber, il est peu de compositeurs qui aient su donner à ce genre mineur de telles lettres de noblesse. L’Hexaméron, variations sur la marche des Puritains de Bellini, est un singulier carnaval où les plus grands pianistes du temps — Henri Herz, K. Czerny, S. Thalberg, Johann Peter Pixis et Chopin — ont chacun écrit une variation, Liszt dirigeant les travaux et rédigeant l’introduction, les interludes et le finale.


Les paraphrases et les transcriptions

Il est impossible de dénombrer exactement ces pièces où Liszt a laissé sa griffe de lion sur un immense répertoire allant de Gregorio Allegri (1582-1652) à Tchaïkovski, en passant, entre autres, par Bach, Mozart, Beethoven, Weber, Rossini, Schubert, Berlioz, Mendelssohn, Chopin, Schumann, Gounod, Saint-Saëns, Bellini, Donizetti, Verdi et Wagner. Il faut distinguer néanmoins : les transcriptions rigoureusement fidèles des œuvres d’orgue de Bach et des symphonies de Beethoven ou de Berlioz ; celles, librement agrémentées de touches personnelles, des lieder de Schubert et de Schumann et des opéras de Wagner ; les paraphrases, où Liszt condense la matière d’une grande scène ou d’un opéra entier en recomposant à sa manière ses thèmes essentiels (Miserere du Trouvère de Verdi, Valse du Faust de Gounod, Réminiscences de Don Juan, Réminiscences de Norma). Aussi bien dans la magistrale fidélité (le tour de force des équivalences orgue-piano, orchestre-piano) que dans l’imaginative mise en œuvre personnelle d’un matériau étranger, Liszt est encore une fois inégalable. Ces inventions, qui sont encore tellement étonnantes pour notre époque, plus familiarisée avec les originaux, il faut songer à l’extraordinaire moyen de diffusion musicale qu’elles représentaient en leur temps.