Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Liszt (Franz) (suite)

Malgré la recommandation de Metternich, Luigi Cherubini refuse à Franz l’entrée au Conservatoire, dont il est directeur, arguant d’une prétendue impossibilité d’admettre un élève étranger, ce qui recouvre sans doute des motifs plus obscurs. Car, lorsque le jeune musicien voudra faire représenter à l’Opéra un Don Sanche ou le Château d’amour de sa composition, après avoir pris des leçons avec Ferdinando Paer (1771-1839), il s’y opposera encore. C’est avec Anton Reicha (1770-1836), musicien d’une étonnante originalité, qui enseigna également Berlioz, Gounod et Franck, que Liszt parachève ses études. Mais sa vie de concertiste se partage durant ces années entre les concerts en public ou dans les salons ultras de Paris et les tournées en France, en Angleterre et en Suisse. En 1825, Don Sanche est représenté trois fois à l’Opéra, malgré Cherubini. Cette vie singulièrement brillante est soudain ternie par une catastrophe : Adam List meurt à Boulogne en 1827, au retour d’une troisième tournée en Angleterre. À seize ans, Liszt prend en main son existence et celle de sa mère ; il vit des leçons qu’il donne, tombe amoureux de la fille du comte de Saint-Cricq, son élève Caroline, se fait mettre dehors par le comte, traverse une crise mystique où il manque devenir prêtre et se mêle à l’étonnante vie artistique française des années 30 : les concerts de Chopin et de Paganini, la Symphonie fantastique de Berlioz, le Nohant de George Sand. À tous ces artistes il fait ce don d’amitié qu’il possède à un degré si rare, et de la comtesse Marie d’Agoult (1805-1876) il fait sa maîtresse. La situation irrégulière de la comtesse et le métier de virtuose vont faire des treize années qui commencent maintenant un perpétuel voyage.


Les années de pèlerinage

1835-1837 : Marie quitte son époux et sa fille pour rejoindre Franz en Suisse. Leur première fille, Blandine (1835-1862), naît à Genève, où Liszt enseigne au Conservatoire pendant deux ans ; puis il revient à Paris se mesurer avec Sigismund Thalberg (1812-1871), son grand rival en virtuosité. Cosima naît en 1837, après un séjour à Nohant.

1838-39 : Liszt et Mme d’Agoult vivent à Milan, puis à Rome, où naît Daniel (1839-1859). Auparavant, Liszt, apprenant l’inondation du Danube en Hongrie, est parti donner six concerts à Vienne.

1840-41 : Liszt donne des concerts en Hongrie, en Allemagne, en Angleterre, en Écosse, en Belgique, avec de nombreuses apparitions à Paris, où il rencontre pour la première fois Wagner (1841). Il passe l’été dans l’île de Nonnenwerth, sur le Rhin, avec Marie et ses enfants.

1842-43 : Berlin, Saint-Pétersbourg, Paris, Liège. Liszt devient chef d’orchestre de la cour de Weimar, en service extraordinaire (1842). Il donne de nombreux concerts en Allemagne et en Russie. Il joue de l’orgue et dirige pour la première fois un opéra à Breslau (auj. Wrocław) [la Flûte enchantée]. Mais c’est la rupture avec la comtesse.

1844-1847 : tout en assurant son service à Weimar, Liszt multiplie les tournées de concerts : France, Espagne, Portugal, Suisse. Il assiste aux fêtes de l’inauguration du monument Beethoven à Bonn ; il y aura pris une part active, tant par ses dons d’argent que par les concerts qu’il y dirige. La France, Vienne, la Hongrie le revoient, puis la Russie, où, en 1847, il s’éprend de la princesse Carolyne von Sayn-Wittgenstein. Ses concerts le mènent jusqu’à Constantinople ; en septembre 1847, il donne son dernier récital de virtuose itinérant à Ielisavetgrad (auj. Kirovograd).


Les années de maîtrise

L’année suivante (avr. 1848), Liszt s’installe à Weimar pour dix ans ; c’est le véritable début de sa carrière de chef d’orchestre. À travers les émeutes de la révolution, la princesse, qui s’est enfuie de chez son mari, est emmenée par Liszt à Weimar où elle va habiter avec lui. Après les couleurs éclatantes des années de jeunesse, celles de la maturité semblent à la fois plus riches et plus sombres. À Weimar, Liszt va mener une existence d’animateur et de créateur absolument unique dans l’histoire musicale ; il y compose des œuvres symphoniques (poèmes symphoniques, Faust-Symphonie) et chorales admirables (Messe de Gran), sans renoncer à la création pianistique (Études d’exécution transcendante, Sonate en « si » mineur). Il y dirige les œuvres les plus passionnantes du récent passé ou de l’art contemporain : Don Giovanni de Mozart, Fidelio et la Neuvième Symphonie de Beethoven, Faust et Manfred de Schumann, le Vaisseau fantôme, Tannhäuser et Lohengrin de Wagner, presque toutes les grandes partitions de Berlioz, Samson et Dalila de Saint-Saëns, le Barbier de Bagdad de Peter Cornelius (1824-1874). Cet opéra de son disciple donne naissance à une cabale qui oblige Liszt à donner sa démission en 1858. Son activité de musicien d’avant-garde, réalisant des prodiges avec des moyens musicaux souvent déficients, n’a cessé de rebuter l’administration aveugle de la cour de Weimar. Le rôle de la princesse, de caractère difficile et orgueilleux, sa position non reconnue par la cour n’ont en rien facilité les choses. Les figures musicales attirées à Weimar par Liszt reflètent également ce double aspect de ses activités, à la fois héroïque et décevant : parmi tant d’autres, le disciple Hans von Bülow, bientôt uni à Cosima, l’ami intéressé mais si intéressant qu’est Wagner, le jeune Brahms, bourru, que ne dérident point les éloges de Liszt.


Les années de recherche

Après ces dix années de stabilité à Weimar, Liszt retourne à une vie d’errant ; mais c’est une autre sorte d’errance, partagée entre certains points fixes. C’est d’abord sa résidence de l’Altenburg à Weimar, qu’il ne quittera définitivement qu’en 1867, sans pour autant renoncer à des activités musicales dans la ville, où, à partir de 1869, il reviendra chaque année quelques mois, invité par le grand-duc. Il enseigne et dirige ses grandes œuvres : la Mephisto-Valse, le Psaume XIII, la Faust-Symphonie, le deuxième concerto pour piano (1861), un festival Beethoven (1870), son oratorio Christus (1873), les Septem Sacramenta (1879), un concert commémoratif de la naissance de Wagner (1883).