Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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linguistique (suite)

Roman Jakobson est un des trois linguistes russes signataires des « thèses » présentées à La Haye. Lié aux activités du Cercle de Prague jusqu’en 1940, il émigré au début de la Seconde Guerre mondiale, d’abord dans les pays scandinaves, puis aux États-Unis. Ce « point de contact » entre la linguistique distributionnelle (américaine) et la linguistique fonctionnelle (pragoise) est extrêmement important ; il marque dans une certaine mesure la fin du développement relativement « autonome et géographique » de la linguistique structurale aux États-Unis et en Europe. Ainsi, ce n’est qu’assez tardivement qu’ont été introduites en France les méthodes distributionnelles que Jean Dubois fut un des premiers à appliquer dans sa Grammaire structurale du français. La fécondité et la richesse des échanges dus à R. Jakobson ne sont pas limitées au seul domaine linguistique. Il représente ce qu’on pourrait appeler l’homme « interdisciplinaire ». Sa connaissance des problèmes de l’anthropologie et de la psychanalyse nourrit des travaux qui sont pour une part à l’origine des applications de la méthode structurale dans les sciences humaines. Par ailleurs, les relations entre la linguistique et la théorie de la communication* ont été clairement perçues et analysées par R. Jakobson dès les premiers développements de cette dernière (1946-1947).


L’école de Copenhague

Le Cercle linguistique de Copenhague, fondé en 1931, procède des trois influences conjuguées de la tradition linguistique danoise (celle de R. Rask et O. Jespersen), des principes théoriques formulés par F. de Saussure (reconnu comme seul grand maître) et du développement plus récent du Cercle de Prague. Il associe principalement trois noms : Viggo Brøndal (1887-1942), Hans Uldall et Louis Hjelmslev*. Les premiers fondements de cette doctrine linguistique, publiés en 1936 dans An Outline of Glossematics, sont à la fois une interprétation et une continuation des thèses saussuriennes. Le terme de glossématique avait été adopté en 1935 pour marquer l’orientation originale du groupe de Copenhague par rapport aux autres théories linguistiques. Ce terme reste principalement associé au nom de L. Hjelmslev, qui développa sa théorie du langage dans Prolégomènes à une théorie du langage (1943). Celle-ci s’appuie sur une démarche logique, de type déductif, et se propose de découvrir une « algèbre des langues » applicable mécaniquement à tous les « langages » et non pas seulement aux langues naturelles. Dans un autre ouvrage, le Langage, rédigé en 1943 mais publié seulement en 1963, il étudie les conditions d’un renouvellement d’une typologie des langues dans une perspective structurale à partir des problèmes soulevés par la linguistique génétique. Si la linguistique préconisée par Hjelmslev s’est révélée difficilement applicable quant à la description des langues naturelles, elle pose néanmoins un grand nombre de problèmes d’ordre théorique qui ont fait l’objet de débats internationaux de 1960 à 1965 en raison de leur actualité (question des universaux du langage, de la créativité linguistique).


La linguistique générative

C’est aux États-Unis, à la fin des années 1950, que sont apparues les critiques du distributionnalisme américain qui allaient remettre en cause ses fondements théoriques et atteindre ultérieurement l’ensemble du mouvement structuraliste. L’un des disciples de Zellig S. Harris, Noam Chomsky*, qui travaillait avec lui à une formalisation logico-mathématique des méthodes distributionnelles et à leur extension à la syntaxe, restée (avec la sémantique) un des domaines peu abordés par le structuralisme, est à l’origine des bouleversements qui ont profondément modifié l’orientation des recherches en linguistique depuis une dizaine d’années. Dans son ouvrage Structures syntaxiques, publié en 1957, N. Chomsky présente essentiellement une critique du distributionnalisme, en même temps qu’il introduit les premières transformations dans la description syntaxique. En 1965, Aspects de la théorie syntaxique synthétise les problèmes abordés depuis 1957 : la théorie du langage élaborée par les distributionnalistes américains est attaquée dans ses présupposés mécanistes hérités du béhaviorisme ; les concepts de compétence et de performance, de structure de surface et de structure profonde, etc., se constituent en une théorie d’ensemble nouvelle des phénomènes linguistiques. Un nouveau mouvement était né : celui de la linguistique générative, groupant, au MIT (Massachusetts Institute of Technology), Paul Martin Postal, Robert B. Lees, Morris Halle, Jerry A. Fodor, Jerrold J. Katz.

La rapide diffusion du mouvement générativiste en Europe peut s’expliquer non seulement par une tendance très générale d’ouverture de l’Europe aux conceptions américaines, mais également par certains aspects de la théorie générative elle-même : par exemple, elle renoue avec certaines traditions anciennes de la grammaire, en même temps qu’elle redécouvre sous des formes nouvelles des concepts liés au développement de la linguistique structurale européenne (langue*/parole).

La linguistique générative a permis d’incontestables progrès dans la compréhension des phénomènes syntaxiques ; elle a réinterprété et approfondi en phonologie les découvertes du structuralisme ; elle a donné enfin une impulsion nouvelle à la psycholinguistique et à la linguistique appliquée. Cependant, malgré les nombreuses recherches entreprises en sémantique, c’est dans ce domaine, ou plutôt dans celui des relations entre grammaire et sémantique, qu’apparaissent les difficultés les plus prononcées de la théorie générative.

C’est vers la résolution de ces problèmes que s’oriente actuellement la linguistique, problèmes qui sont eux-mêmes la source de perspectives théoriques nouvelles (sémantique générative).

G. P.-C.

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