Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Liban (suite)

Les répercussions de cette émigration massive ont été considérables sur tous les plans. C’est d’abord une influence directe, par les envois d’argent des émigrés, qui jouent un rôle considérable dans le bilan économique global. Mais c’est aussi une influence indirecte, leurs capitaux ayant été à la base d’un développement financier extraordinaire qui, favorisé par l’indépendance politique et une large ouverture internationale, a fait du Liban un centre bancaire et de mouvement d’argent pour tout le Moyen-Orient, grande place de transactions sur les métaux précieux en même temps que refuge de capitaux. Par ailleurs s’est développé le rôle de transit commercial pour l’arrière-pays syro-iraquien, favorisé par l’existence d’une zone franche à Beyrouth et en liaison avec la fonction financière.


Les transformations de la montagne et la modernisation de l’agriculture

L’ouverture du Liban vers le monde extérieur s’est également traduite par de profondes modifications du paysage.

La physionomie de la montagne libanaise, en particulier, s’est transformée. La vie rurale y a reculé considérablement. De nombreux villages sont devenus avant tout des centres résidentiels, et ils sont largement peuplés de retraités revenus de l’étranger. Le type de maison s’est transformé. Aux habitations rurales d’autrefois se sont ajoutées des villas de type moderne, qui se multiplient. Parmi les maisons de type traditionnel elles-mêmes se sont propagés des types urbains à galerie centrale axiale, qui indiquent le développement d’une fonction exclusivement résidentielle. D’autre part, des centres d’estivage et de tourisme se sont constitués, qui attirent une clientèle nombreuse en provenance de tout le Proche-Orient arabe (une trentaine de milliers par an en moyenne, parmi lesquels prédominent les Koweïtiens). Tels sont Aley (‘Alay), Bhamdoun (Bḥamdūn), Sofar (Ṣawfar), sur la route de Beyrouth à Damas, Beitmeri (Bayt Mari), Broumana (Brūmānā), etc.

L’agriculture, d’autre part, évolue vers la spécialisation et la différenciation des régions géographiques, en liaison avec une commercialisation croissante. La polyculture traditionnelle se maintient sur les pentes de l’Hermon et dans toute la moyenne et la basse montagne libanaise, avec des variantes à prédominance céréalière (plateaux méridionaux de haute Galilée, plateaux septentrionaux du Akkar, du Batroun [Baṭrūn] et du Djbaïl moyen) ou arbustive (grandes olivettes du sud-est de Tripoli et du sud de Beyrouth [Chouf moyen]). Mais des spéculations agricoles nouvelles sont apparues, mettant à profit les possibilités climatiques. C’est ainsi que dans la haute montagne libanaise se sont multipliés depuis un quart de siècle les vergers de pommiers (12 000 ha) et d’autres arbres fruitiers (pêchers, cerisiers), qui alimentent une importante exportation vers les pays voisins (déjà 10 p. 100 de la valeur des exportations libanaises sont constitués par les pommes) et mettent à profit le privilège climatique d’altitude de la montagne, exceptionnel dans le Moyen-Orient. Leur développement a entraîné la modernisation d’un certain nombre de terrasses, aujourd’hui cimentées. La mise en valeur du littoral progresse, et une certaine descente du peuplement vers la plaine côtière s’est amorcée. Des vergers de bananiers (au sud de Batroun ; la production atteint 30 000 t) et surtout d’agrumes (la production dépasse 200 000 t, constituée d’oranges pour les deux tiers) y ont été développés par des citadins de Beyrouth et de Tripoli en moyennes propriétés irriguées. Seule la plaine du Akkar, à l’extrême nord, reste dominée par la grande culture céréalière, en majeure partie non irriguée. Dans la dépression intérieure de la Bekaa, si la culture céréalière pluviale domine dans les secteurs septentrionaux et méridionaux, de profondes transformations agricoles se sont produites dans la Bekaa centrale, irriguée par les eaux du Litani (Nahr al-Līṭānī) où sont pratiquées des rotations complexes associant au blé des cultures sarclées (pommes de terre, betterave à sucre, tomates), auxquelles s’ajoutent des vergers de pommiers. La ceinture viticole, traditionnellement développée sur les collines de bordure de la plaine, notamment sur les coteaux de Zahlé, au pied du Liban, où elle fait figure de quasi-monoculture, pénètre progressivement vers le cœur de la plaine. Parmi les cultures spécialisées, seul le mûrier, fortune traditionnelle du pays, apparaît en irrémédiable décadence.


Le bilan

Ces développements agricoles ne tiennent, cependant, qu’une place très modeste dans l’équilibre économique du pays, qui reste dominé par le rôle de centre de services et les relations avec l’émigration. L’agriculture ne fournit que 16 à 18 p. 100 du revenu national. L’industrie, quoique en progrès réguliers depuis une quinzaine d’années, reste également tout à fait secondaire. Il s’agit presque exclusivement de petites industries de transformation et de consommation, notamment textiles et alimentaires. Nulle part il n’existe de véritable paysage industriel, sauf dans la région de Chekka (Chikkā), au sud de Tripoli, où se groupent cimenteries et fabriques de chaux et de fibrociment. Répartie surtout dans les agglomérations de Beyrouth et de Tripoli, l’industrie n’assure au total que 12 à 14 p. 100 du produit national.

En fait, c’est le secteur tertiaire qui domine toute l’activité, fournissant les deux tiers du produit national. La structure très particulière de l’économie est révélée par l’énorme déficit de la balance commerciale. Les exportations ne couvrent même pas le cinquième des importations, qui représentent 40 à 45 p. 100 du produit national, proportion sans doute unique au monde. Les principales rentrées de devises sont assurées par les envois d’argent des émigrés, les opérations de courtage et les mouvements de capitaux, le tourisme (20 p. 100 approximativement du produit national) et enfin le transit, qui constitue une activité traditionnelle (exportation de produits agricoles ou miniers des pays voisins : phosphates jordaniens, céréales syriennes et surtout pétrole d’Iraq et d’Arabie Saoudite). Tous ces mouvements expliquent l’extraordinaire développement du secteur bancaire (les banques sont passées de cinq en 1945 à près d’une centaine aujourd’hui).