Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lessing (Gotthold Ephraim) (suite)

Les francs-maçons des Dialogues sont des élèves de Nathan, comme lui tolérants, généreux, cosmopolites, confiants dans l’avenir ; capables de travailler en secret, de ne dire que ce qu’il est utile et fécond de dire, soumis à la volonté divine, mais décidés aussi à instaurer, au-delà des nationalités et des confessions, la fraternité des meilleurs. D’abord en secret, un jour publiquement.

L’Éducation du genre humain résume en une suite de paragraphes concis les révélations successives qui ont été données aux hommes. Ils ont été l’objet d’une véritable éducation, au cours de laquelle leur ont été dévoilées, graduellement, selon le développement de leur esprit, les vérités de leur destinée et de celle du monde. Dieu, bon pédagogue, a mesuré ses révélations aux capacités de ses élèves. Ainsi, on a pu passer du polythéisme des premiers âges au monothéisme de Moïse, puis à la doctrine chrétienne de l’immortalité de l’âme. Chaque fois, un progrès moral accompagnait la révélation : Moïse menaçait de la vengeance divine, mais le Christ exhorte à faire le bien pour lui-même. Ainsi, l’humanité poursuit une immense et lente marche, souvent retardée ou détournée, vers un avenir qu’elle ne connaît pas, mais dans lequel elle garde confiance parce qu’en fin de compte c’est la raison qui l’emportera. Mouvement si ample et si lent que l’homme impatient désespère et que l’utopiste crie à l’absurde, alors que l’homme de foi et de raison prend patience, car il sait que le temps viendra.

P. G.

 O. Mann, Lessing (Hambourg, 1949 ; 2e éd., Berlin, 1965). / H. Schneider, Lessing, zwölf biographische Studien (Salzbourg, 1950 ; nouv. éd., Das Buch Lessing. Ein Lebensbild in Briefen Schriften, Berichten, Berne et Munich, 1961). / P. Grappin, la Théorie du génie dons le préclassicisme allemand (P. U. F., 1953). / G. Pons, Lessing et le christianisme (Didier, 1964). / W. Ritzel, Gotthold Ephraim Lessing (Stuttgart, 1966). / G. et S. Bauer (sous la dir. de), Gotthold Ephraim Lessing (Darmstadt, 1968).

Le Sueur (Eustache)

Peintre français (Paris 1616 - id. 1655).


Formé à partir de 1630 dans l’atelier de Simon Vouet*, Le Sueur n’est jamais allé en Italie, mais il a connu Raphaël* par les tableaux du roi et à travers l’estampe. L’influence de Vouet est sensible dans ses premiers ouvrages : l’illustration du Discours du songe de Poliphile, le roman de Francesco Colonna (1499), en huit tableaux dont cinq subsistent, dispersés ; la Réunion d’artistes du Louvre, sujet emprunté au caravagisme, mais traité dans une gamme claire.

Après 1640, le peintre s’inspire surtout de Raphaël. Il épure son style, en accord avec la tendance classique qui s’affirme dans l’école française de cette époque et que vient renforcer le séjour de Poussin*. Toute sensualité paraît absente de ses figures souvent grêles, aux contours atténués, au maintien timide, groupées en compositions calmes, sous une lumière blonde qui fait chanter les harmonies fraîches et subtiles de la palette.

Le Sueur a décoré beaucoup d’hôtels parisiens, notamment l’hôtel Lambert, dans l’île Saint-Louis. Deux ensembles, malheureusement dispersés depuis la fin du xviiie s., y témoignaient de ses dons avec un éclat particulier. Dans le cabinet de l’Amour (v. 1646), Le Sueur s’est révélé grand ornemaniste en exécutant les panneaux de grotesques à fond d’or (la plupart auj. au château de la Grange, en Berry) qui s’étageaient en trois zones sur les parois, encadrant des paysages et des tableaux mythologiques peints par des confrères. On doit aussi à Le Sueur les peintures illustrant la fable de l’Amour (auj. au Louvre) : le tableau de cheminée et surtout les cinq morceaux du plafond, où des groupes de figures gracieuses, inspirées des Raphaël de la villa Farnésine, sont habilement adaptés à la perspective verticale. Dans le même hôtel, le cabinet des Muses (v. 1652-1655) montrait d’autres compositions du peintre (Louvre) : le plafond, qui a pour sujet Apollon et Phaéton, et surtout les cinq tableaux qui représentent les Muses, soit isolées, soit en groupes de trois, sur des fonds de paysage dus à Pierre Patel (1605-1676).

Le Sueur s’est fait l’interprète du renouveau spirituel qui marque la société de son temps. À la chartreuse de Paris, il orna de 1645 à 1648 le petit cloître d’une suite de vingt-deux tableaux (Louvre) illustrant la vie de saint Bruno dans un style transparent et dépouillé, dont la science se dissimule volontiers sous une apparence de gaucherie ; il y traduit l’idéal monastique avec la sérénité d’un imagier médiéval. La Prédication de saint Paul à Éphèse, peinte en 1649 pour le « mai » des Orfèvres (Notre-Dame de Paris), donne l’exemple d’un classicisme plus sévère et d’une imitation plus servile de Raphaël. Parmi les quatre tableaux peints en 1654 pour l’abbaye de Marmoutier, près de Tours, la Messe de saint Martin, évêque de Tours (Louvre) donne à l’expression du mysticisme une sobriété prenante, que l’on retrouve dans le Portement de Croix et la Descente de Croix (Louvre), provenant de Saint-Gervais de Paris. Pour la même église, et à la fin de sa brève carrière également, Le Sueur peignit les deux premiers (Louvre et musée des Beaux-Arts de Lyon) d’une série de six grands tableaux consacrés au martyre des saints Gervais et Protais (les autres revinrent à Sébastien Bourdon* et à Ph. de Champaigne*) ; destinés à être reproduits en tapisserie — et ils le furent effectivement —, ce sont des compositions ambitieuses, de ton plus oratoire.

Le Sueur fut parmi les douze membres fondateurs de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Moins précieux que La Hire*, sa note personnelle peut se définir, dans ce moment le plus classique de l’art français du xviie s., par un mélange de science et d’ingénuité.

B. de M.

 G. Rouchès, Eustache Le Sueur (Alcan, 1923).