Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lessing (Gotthold Ephraim) (suite)

Nathan le Sage (Nathan der Weise), achevé en 1779, est pour une bonne part le testament philosophique de Lessing. Ses dix dernières années ont été consacrées à des polémiques sur l’Écriture sainte, durant lesquelles il a été très attaqué par certains luthériens orthodoxes. La pièce est, sous forme à peine déguisée, la conclusion de ces querelles : les disputes théologiques sont stériles, les dogmes des grandes religions contiennent tous une part de vérité, les confessions valent ce que valent les actes qu’elles inspirent. L’action est située à Jérusalem, au temps des croisades, alors que musulmans, juifs et chrétiens s’y rencontrent. Chacune des religions a son champion : au centre, Nathan, qui a commerce avec tous, représente la tolérance active et comme un humanisme militant. La signification de toute la pièce est rassemblée dans le commentaire, par Nathan, de la parabole des trois anneaux. Les trois sont des copies parfaites d’un original perdu ; chacun de ceux qui les détiennent croit posséder le seul authentique, comme font les prêtres de chacune des trois grandes religions. Le sage y voit la preuve que la tolérance est la pierre de touche de la piété.

Il est remarquable que, trente ans après les Juifs, Lessing ait repris un thème de sa jeunesse. Le personnage de Nathan résume son expérience des hommes. La pièce fut jouée vingt ans après la mort de l’auteur, à Weimar, dans une adaptation de Schiller.


« Laokoon »

Dans l’ordre de la critique littéraire, les contributions de Lessing aux Lettres sur la littérature récente (Briefe die neueste Literatur betreffend), publiées à Berlin de 1759 à 1765, offrent un bel exemple de méthode rationaliste appliquée à la connaissance des œuvres. Lessing se soucie peu de la personne d’un auteur, non plus que des conditions dans lesquelles les œuvres ont été écrites : tout, pour lui, est dans la logique des structures, dans l’efficacité qui en découle, dans le profit que peut en attendre le lecteur pour découvrir la nature humaine, pour se former et avancer sur le chemin de la vérité des êtres et des choses. Lessing n’est pas exempt de passions, et l’admiration l’inspire mieux que le dédain, car il lui arrive alors d’être spécieux et de se laisser prendre à sa propre vivacité verbale. Son vocabulaire n’est ni très riche ni imagé, mais sa prose est rigoureuse ; elle a gardé quelque chose de la concision latine.

La clarté d’analyse distingue aussi le Laokoon : oder über die Grenzen der Malerei und Poesie (1766), son principal traité d’esthétique. Il y réfléchit sur la différence entre la poésie et la peinture, sujet ancien, où ses prédécesseurs immédiats ont été le Français J. B. Dubos (1670-1742) et l’Anglais A. Shaftesbury (1671-1713). Le succès des études de J. J. Winckelmann (1717-1768) sur les arts plastiques de l’Antiquité, sa théorie de l’imitation contribuaient aussi à répandre les formules suivant lesquelles la peinture serait comme une poésie muette, et plus encore la fameuse comparaison d’Horace : ut pictura poesis.

Pour Lessing, toute poésie se déroule dans le temps, dans l’ordre de l’avant et de l’après. La peinture, elle, sert à représenter des objets qui existent ensemble au même instant, des attitudes non pas successives mais concomitantes. Certes, le peintre peut suggérer, par une nuance, ce qui a précédé ou ce qui va suivre, mais ce qu’il représente est présence, donc « instantanéité ». De la même façon, le poète a le droit de décrire, mais en liant les couleurs et les formes à des actes ; la bonne description est celle d’un changement, du passage d’un état à un autre.

Selon la classification des Anciens, la poésie peut être épique, dramatique ou lyrique. C’est la poésie dramatique qui est, selon le Laokoon, la plus sûrement et purement poétique : « Que la poésie dramatique soit la plus haute, qu’elle soit même la seule, Aristote l’a dit et il n’accordait le second rang à l’épopée que dans la mesure où elle était ou bien pouvait être, en grande partie, dramatique. » Le vrai poète, selon Lessing, est un génie dramatique : son élément est l’enchaînement des intentions et des actes, des causes et des effets ; il se meut dans le temps, comme l’historien, mais il est plus libre et sans doute plus vrai, car il va au-delà de l’apparence.


« L’Éducation du genre humain »

Dès ses premiers écrits apparaît, chez Lessing, le besoin de se faire, en dehors de l’orthodoxie, une foi qui soit justifiable en raison. Cette exigence mène à un examen critique des Écritures et il reste alors à sortir du doute, qui est la suite obligée de toute exégèse critique. Aussi Lessing s’est-il intéressé aux hérétiques et a-t-il entrepris la réhabilitation de plusieurs d’entre eux ; ses plaidoyers laissent vite apparaître sa propre conviction : un homme qui cherche sincèrement le vrai ne mérite pas d’être condamné ; de plus, il peut approcher quelques aspects de la vérité. Prétendre connaître toute la vérité est un péché contre l’esprit. Dans une parabole imitée de l’Évangile, Lessing dit que, si Dieu lui avait offert de lui montrer la vérité, il aurait refusé, préférant garder la part qui est proprement de l’homme : l’aspiration au vrai et la volonté de découvrir. Ailleurs, sous une forme imagée, il a ramassé la vérité psychologique de ce qui était pour lui conviction métaphysique et règle de travail : « On a plus de plaisir à chasser qu’à posséder sa proie. »

Une pareille philosophie permettait à Lessing d’éluder les formulations qui l’auraient gêné ; il a souvent refusé la métaphysique et plus encore la théologie, au nom de cette impossibilité de formuler les vérités dernières. Aussi a-t-on pu se poser des questions sur les convictions de Lessing lui-même, surtout en ce qui concerne les rapports de Dieu et du monde. En 1785, après la mort de Lessing, F. H. Jacobi (1743-1819), dans un ouvrage sur Spinoza, écrivit que Lessing lui avait déclaré « qu’il n’y avait point d’autre philosophie que celle de Spinoza ».

Lessing a, cependant, mis ses dernières pensées dans deux ouvrages de caractère plus doctrinal, les Dialogues maçonniques (Ernst und Falk, Gespräche für Freimaurer, 1778-1780) et l’Éducation du genre humain (Die Erziehung des Menschengeschlechts, 1780).