Poète russe (Moscou 1814 - Piatigorsk, Caucase, 1841).
Aux yeux du tsar Nicolas Ier et de l’aristocratie russe, Mikhaïl Lermontov fait figure de soudard remuant et grossier, doublé d’un écrivaillon insolent. Les femmes le tiennent pour un être cynique. Quelques rares esprits voient en lui l’émule de Pouchkine.
Le temps a donné raison à ces derniers. De Pouchkine, Lermontov a hérité le don de poésie, une langue réaliste, une touche précise et musicale. À cette parenté spirituelle s’ajoute une tragique communauté de destin : comme Pouchkine, Lermontov meurt en duel, tué en pleine jeunesse par un dandy à la mode, inconscient de la perte qu’allait subir la Russie par son geste.
Les incartades d’un romantique
Orphelin de mère, Lermontov eut une jeunesse d’enfant gâté, choyé par une grand-mère si possessive et si autoritaire qu’elle évinça sans mal de son éducation le père légitime, petit gentilhomme campagnard sans le sou. D’humeur sombre et fantasque, le regard intense dans une figure épaisse, plutôt laid et courtaud, le jeune Mikhaïl gouverna ses proches comme un tyran. Pénétré de romantisme anglais, il se mit, dès treize ans, à écrire des vers, parant chacun des événements de sa vie — premiers émois amoureux et brouilles de famille — d’un éclat grandiose et dramatique que n’eût pas renié Byron Mais, déjà, dans cette poésie d’adolescent vague et tumultueuse brillent des paillettes d’une rare qualité : l’Ange, écrit en 1832, trouve des accents de pure mélodie pour évoquer cette patrie céleste vers laquelle l’âme prisonnière aspire...
Notre romantique prend d’ailleurs des allures de potache frondeur. En 1832, il est renvoyé de l’université de Moscou pour insubordination, et il entre à Saint-Pétersbourg, à l’école des officiers de la garde. Le voici dans la peau d’un cadet de cavalerie, jouant au dandy. Il rêve de s’introduire dans les milieux aristocratiques et de fréquenter les bals. Mais ni son rang, ni sa figure, ni son talent ne lui ouvrent les portes d’une société toute empêtrée dans ses rubans et ses quartiers de noblesse. Sous sa carapace d’indifférence, le jeune hussard souffre de mille blessures d’amour-propre. Les poèmes de cette époque portent la marque des milieux rugueux et grossiers qu’il côtoie, mais annoncent déjà la puissante veine réaliste.
Et soudain, la mort brutale de Pouchkine, en 1837, réveille en Lermontov le feu créateur. Indignation, désespoir, mépris pour cette cour frivole et incapable de discernement lui dictent un poème vengeur (la Mort du poète), poème si acéré qu’il en écorche les oreilles du tsar et de la noblesse. On juge le coupable en cour martiale et on l’expédie très loin au front du Caucase, pour y émousser sa plume au feu des canons. « Adieu Russie mal lavée, patrie de laquais et d’esclaves... », chante l’impertinent ! En fait, dans la solitude, au contact de la nature, l’exilé retrouve son être profond et écrit quelques-unes de ses plus belles pièces : Borodino, le Novice (Mtsyri), les Dernières Volontés (Zavechtchaniïe) ; il trace aussi le plan d’un roman : Un héros de notre temps (Gueroï nachego vremeni [1839-1840]).
Pendant ce temps, l’aïeule tire les sonnettes, pleurniche, menace et obtient le rappel de son petit-fils dans des climats plus sereins. Mikhaïl, parti avec fracas, fait sa rentrée dans le monde avec la violence d’un boomerang, objet de la curiosité générale : la haute société l’invite, le flatte, l’écoute avec une condescendance amusée, honorant moins le talent que l’audace. Lermontov publie quelques poèmes dans les revues, il courtise les femmes, il est devenu l’homme à la mode, un peu grisé, mais profondément dédaigneux, souvent mélancolique, défiant toutes les conventions et frôlant le scandale. En 1840, ses éclats passent la mesure : il a osé provoquer en duel, et ridiculiser, le fils de l’ambassadeur de France. La cour se fâche tout de bon.
Nouvelle insolence, nouvelle punition. Lermontov reprend le chemin du Caucase. Le militaire, en lui, trouve son compte à cette vie de camp, brutale et sauvage, et il fait preuve de beaucoup d’héroïsme. Mais le poète souffre du manque de liberté : il écrit des vers entre deux combats. Son inspiration se diversifie, plus méditative, riche tantôt en sonorités dures et métalliques, tantôt en douces harmonies.