Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov, dit) (suite)

Le parti

L’essentiel de l’œuvre de Lénine porte sur l’édification de l’instrument révolutionnaire qu’est le parti bolchevik. En 1894, Lénine attaquait le spontanéisme populiste dans Ce que sont les amis du peuple. En 1902, Que faire ? — qui reprend un titre de Tchernychevski — critique les économistes qui abandonnent le terrain politique à la seule bourgeoisie : « La conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur, c’est-à-dire de l’extérieur de la lutte économique, de l’extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons [...]. C’est pourquoi à la question : que faire pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques ? on ne saurait donner simplement la réponse dont se contentent les praticiens, sans parler de ceux qui penchent vers l’économisme, à savoir : « aller aux ouvriers » [...]. En Russie, la doctrine théorique de la social-démocratie surgit d’une façon tout à fait indépendante de la croissance spontanée du mouvement ouvrier ; elle y fut le résultat naturel, inéluctable du développement de la pensée chez les intellectuels révolutionnaires socialistes. »

Dans Un pas en avant, deux pas en arrière (1904), Lénine analyse la scission entre bolcheviks et mencheviks, et s’explique sur sa conception rigide du parti : « Voilà où le prolétaire qui a été à l’école de l’usine peut et doit donner une leçon à l’individualisme anarchique [...]. L ouvrier conscient sait apprécier ce plus riche bagage de connaissances, ce plus vaste horizon politique qu’il trouve chez les intellectuels. Mais, à mesure que se forme chez lui un véritable parti, l’ouvrier conscient doit apprendre à distinguer entre la psychologie du combattant de l’armée prolétarienne et celle de l’intellectuel bourgeois, qui fait parade de la phrase anarchiste ; il doit apprendre à exiger l’exécution des obligations incombant aux membres du parti — non seulement des simples adhérents, mais aussi des gens d’en haut. »

Enfin, en 1920, Lénine publie le Gauchisme : maladie infantile du communisme. Il y attaque le refus du compromis politique, qu’il estime parfois nécessaire : « Rejeter les compromis en principe, nier la légitimité des compromis en général, quels qu’ils soient, c’est un enfantillage qu’il est même difficile de prendre au sérieux [...]. Nier la nécessité du parti et de la discipline du parti, voilà où en est arrivée l’opposition. Or cela équivaut à désarmer entièrement le prolétariat au profit de la bourgeoisie. Cela équivaut précisément à faire siens ces défauts de la petite-bourgeoisie que sont la dispersion, l’instabilité, l’inaptitude à la fermeté, à l’union, à l’action conjuguée, défauts qui causeront inévitablement la perte de tout mouvement révolutionnaire du prolétariat, pour peu qu’on les encourage [...]. Celui qui affaiblit tant soit peu la discipline de fer dans le parti du prolétariat (surtout pendant sa dictature) aide en réalité la bourgeoisie contre le prolétariat. »


La clarification révolutionnaire (1905-1911)

Le 22 janvier 1905, le tsar fait mitrailler une manifestation d’ouvriers ; c’est le « Dimanche rouge ». Lénine pressent la crise révolutionnaire et obtient la convocation d’un congrès du parti, qui se réunit à Londres en avril 1905. En fait, seuls les bolcheviks y participent. La scission entre les groupes de l’intérieur, en majorité bolcheviks, et l’émigration (en majorité menchevik) semble totale. Certes, la conception centraliste de Lénine est fortement attaquée au sein de la IIe Internationale par le groupe révolutionnaire de Rosa Luxemburg*, qui en dénonce les dangers bureaucratiques. Mais l’organisation bolchevik compte 8 000 militants en Russie, implantés dans la plupart des centres industriels.

En juin 1905 éclate la révolte du Potemkine, en octobre la grève générale, et le tsar est contraint de publier un manifeste octroyant au pays les libertés bourgeoises et un Parlement. Mais les masses ouvrières se sont organisées dans une nouvelle forme de pouvoir, les soviets (conseils) des délégués ouvriers. Les bolcheviks, attachés à la clandestinité, n’y joueront au début qu’un rôle secondaire. Au contraire, Trotski, qui s’oppose aux thèses de Lénine, sera président du soviet de Saint-Pétersbourg. Poussé par le mouvement, l’appareil bolchevik se modifie ; les responsables sont élus, et de nombreuses fusions avec les comités mencheviks se produisent. En décembre 1905, à Tampere (Tammerfors), en Finlande, une conférence bolchevik se réunit. À la même époque, la révolte du soviet de Moscou est noyée dans le sang. La conférence décide, contre l’avis de Lénine, de boycotter les élections ; quelques jours plus tard, Lénine et Martov se mettent d’accord pour la réunification des deux tendances du parti, qui se produit au congrès de Stockholm en avril 1906, alors que le reflux a commencé en Russie. Les mencheviks sont majoritaires au congrès, mais les bolcheviks, organisés en tendance, inspirent le journal le Prolétaire. Au congrès de Londres (mai 1907), les bolcheviks reprennent la majorité et introduisent le principe du centralisme démocratique.

Lénine, après un séjour à Saint-Pétersbourg en novembre 1905, avait regagné l’étranger. C’est à Genève, en février 1908, qu’il entreprend la rédaction de Matérialisme et empiriocriticisme (paru en 1909), dirigé essentiellement contre les théories d’Ernst Mach. Il vit à Paris à partir de décembre 1908. C’est à Paris que se tient la cinquième conférence du parti ouvrier social-démocrate, où Lénine continue à s’opposer au boycottage des élections à la douma, représenté maintenant par l’otzovizm, c’est-à-dire le rappel par le parti de ses députés siégeant au Parlement.

En fait, le parti semble au bord de la décomposition : les mencheviks développent le courant « liquidateur », qui se fixe désormais comme principal objectif l’installation de la démocratie bourgeoise en Russie. Plekhanov a rompu à la fin de 1908 avec les liquidateurs et s’allie avec Lénine : en 1910, une séance plénière du Comité central réalise une nouvelle fois une unification réclamée par Trotski, mais à laquelle Lénine ne croit guère. Dès le 11 avril, ce dernier écrit à Gorki : « Nous avons un bébé couvert d’abcès. » En août, à Copenhague, bolcheviks et mencheviks de la tendance Plekhanov s’unissent pour publier la Rabotchaia Gazeta (Gazette ouvrière), illégale, et la Zvezda (l’Étoile), légale. Entre 1908 et 1912, la colonie social-démocrate émigrée se groupe autour du parc de Montsouris à Paris. Lénine s’installe finalement au 4, rue Marie-Rose avec sa mère et Kroupskaïa. Il vit toujours très modestement, entre les promenades à bicyclette et les passages à l’imprimerie du journal. Il descend parfois à Montparnasse, mais il méprise la « pourriture de la révolution », l’esprit « montparno ». Il travaille beaucoup à la Bibliothèque nationale. Pour combattre l’idéologie mystique développée par Gorki dans sa retraite de Capri, il ouvre à Longjumeau, au printemps 1911, une école du parti.