Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov, dit) (suite)

Installé à Chouchenskoïe, dans le gouvernement d’Ienisseï, il est rejoint par sa mère et par Kroupskaïa. Pour avoir le droit de vivre avec lui, Kroupskaïa l’épouse le 22 juillet 1898. Vladimir Oulianov achève alors son ouvrage commencé à la prison de Saint-Pétersbourg sur le Développement du capitalisme en Russie, puis il rédige la brochure les Tâches des sociaux-démocrates russes. Déporté politique, il organise par une caisse d’entraide la solidarité avec les déportés ouvriers de droit commun. Il renseigne les paysans sur leurs droits face aux koulaks. Le 10 février 1900, il quitte la Sibérie, sa peine expirée.


Lénine en Occident : la formation du bolchevisme (1900-1905)

La mère de celui qui prend en 1901 le pseudonyme de Lénine tente d’obtenir pour lui une résidence près d’un grand centre. Mais, dès ce moment, la police signale Oulianov comme le principal personnage révolutionnaire russe. Le 28 juillet 1900, Lénine quitte la Russie et se rend en Suisse auprès de Plekhanov. L’exil commence.

Plekhanov et le groupe d’émigrés occidentalisés qui l’entoure sont très éloignés de la réalité du mouvement révolutionnaire russe : marxistes classiques, ils n’imaginent pas de révolution possible dans ce pays arriéré. Lénine, au contraire, analyse déjà la tâche du prolétariat russe en fonction de la violence des contradictions accumulées par le régime tsariste. La Russie peut être le maillon le plus faible de la chaîne capitaliste.

Les deux hommes décident cependant de créer ensemble un journal légal pour coordonner et discipliner le mouvement. Plekhanov apporte son prestige et l’argent de la caisse social-démocrate. Il s’assure la majorité au comité de rédaction. Le titre du journal est Iskra (l’Étincelle). La rédaction s’installe à Leipzig, puis à Munich, et le premier numéro paraît en décembre 1900 avec un éditorial de Lénine sur les tâches du mouvement. En 1902, la rédaction, menacée par la police, déménage à Londres, où Trotski la rejoint.

Lénine travaille au British Museum, discute avec les travaillistes et les ouvriers anglais. Les divergences avec Plekhanov s’aggravent : celui-ci, resté à Genève, crée une revue spéciale sur les questions philosophiques, l’Aube. Lénine refuse la distinction entre un journal ouvrier limité aux questions immédiates de la condition des travailleurs et un organe théorique d’intellectuels. Il veut faire connaître les questions de politique et d’organisation aux masses les plus larges. Il continue la critique des actes de terrorisme individuels ; il assure, grâce à l’immense travail de secrétariat accompli par Kroupskaïa, la centralisation des informations en provenance de Russie.

Le réseau de distribution de l’Iskra est d’une infinie complexité (de Londres à Kiev ou à Odessa, ou même par le Grand Nord, jusqu’à Saint-Pétersbourg).

Après le Ier Congrès symbolique du parti ouvrier social-démocrate de Russie (P. O. S. D. R.) à Minsk (1898), l’essentiel du travail de Lénine vise à la préparation du IIe Congrès, qui se tient en juillet-août 1903, d’abord à Bruxelles, puis à Londres. Une cinquantaine de délégués adoptent le programme rédigé par Plekhanov et Lénine, où figure pour la première fois dans l’histoire d’un parti social-démocrate le mot d’ordre de « dictature du prolétariat ». Mais la bataille essentielle du Congrès se déroule sur la question des statuts : Lénine propose que ne soit membre du parti que celui qui « participe personnellement à l’une de ses organisations ». L’autre tendance, dirigée par L. Martov (Iouli Ossipovitch Zederbaum [1873-1923]) propose une formule plus souple, plus proche de la tradition des divers cercles du mouvement russe. La tradition de l’intelligentsia s’oppose à la nouvelle conception d’un parti, avant-garde disciplinée de révolutionnaires professionnels. Mais le départ du Congrès des délégués du Bund et des économistes donne la majorité à Lénine : sa fraction, qui prend alors le nom de bolchevik (majoritaire), désigne un comité de rédaction et un comité central, où elle détient le pouvoir contre l’autre fraction, dite menchevik (minoritaire). C’est le début de la grande querelle. Dès après le Congrès, Plekhanov, conciliateur, obtient un changement de majorité au comité de rédaction, d’où Lénine est bientôt exclu. Ce dernier reprend alors les liens avec les groupes bolcheviks de Russie et lance en janvier 1905 son propre organe, Vpered (En avant).

Lénine fondateur du bolchevisme

L’impérialisme

Dans l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1917), Lénine analyse le nouveau stade de développement du capitalisme. Il donne les bases concrètes de l’internationalisme prolétarien : « S’il était nécessaire de définir l’impérialisme aussi brièvement que possible, il faudrait dire qu’il est le stade monopoliste du capitalisme. Cette définition embrasserait l’essentiel, car, d’une part, le capital financier est le résultat de la fusion du capital de quelques banques monopolistes avec le capital de groupements industriels monopolistes ; et, de l’autre, le partage du monde est la transition depuis la politique coloniale s’étendant sans obstacle aux régions que ne s’est encore appropriées aucune puissance capitaliste, à la politique coloniale de la possession monopolisée des territoires du globe entièrement partagé. »

L’État

En 1899, Lénine a publié sa première grande œuvre, le Développement du capitalisme en Russie. En 1917, il rédige son ouvrage essentiel sur la question de l’État, l’État et la Révolution (paru en 1918). Il y réaffirme l’analyse marxiste, montrant que l’État n’est pas au-dessus des classes, mais une machine au service d’une classe contre une autre. Il y aborde la question de la destruction de l’État capitaliste et du type d’État qu’édifie le prolétariat pour lutter contre la contre-révolution bourgeoise : « En d’autres termes, nous avons en régime capitaliste l’État au sens propre du mot, une machine spéciale de répression d’une classe par une autre, et, qui plus est, de la majorité par la minorité [...]. Il ne saurait être question de supprimer d’emblée, partout et complètement la bureaucratie. C’est une utopie. Mais briser tout de suite la vieille machine administrative, pour commencer sans délai à en construire une nouvelle, qui permettrait de supprimer graduellement toute bureaucratie, [...] c’est la tâche directe, immédiate, du prolétariat révolutionnaire [...]. Nos premières mesures [...] conduisent d’elles-mêmes au « dépérissement » graduel de toute bureaucratie, à l’établissement graduel d’un ordre (ordre sans guillemets et qui ne ressemble point à l’esclavage salarié), d’un ordre où les fonctions de plus en plus simplifiées de surveillance et de comptabilité seront remplies par tous à tour de rôle, pour devenir ensuite une habitude et disparaître enfin en tant que fonctions spéciales d’une catégorie spéciale de personnes. »