Le Jeune (Claude) (suite)
Dans les psaumes (1602-1610), Le Jeune utilise les mélodies de Genève traduites en rimes françaises par Clément Marot et Théodore de Bèze, et les traite en multiples fragments, en variant chaque fois le dispositif des voix. La mélodie passe en même temps d’une partie à l’autre, tandis que l’harmonie environnante est modifiée. Certains psaumes atteignent une grande dimension, notamment dans le Dodécacorde, où douze psaumes de 2 à 7 voix sont accordés aux douze modes, selon l’ordre de Gioseffo Zarlino (1517-1590). On retrouve cette même préoccupation technique, qui traduit chez les humanistes un souci constant de retrouver les modèles des Grecs, dans les Octonaires de la vanité et inconstance du monde (1606), écrits sur des textes moralisateurs du calviniste Antoine de Chandieu. Cependant, Le Jeune assimile de manière intéressante tous les modes (sauf le phrygien) au majeur et au mineur. Dans ses madrigaux et ses chansons polyphoniques, il manie avec élégance et virtuosité le contrepoint. Mais c’est dans le genre de la « musique mesurée à l’antique » (le Printemps, 1603 ; Psaumes en vers mesurés, 1606 ; Airs de 1594 et de 1608) qu’il déploie le plus d’invention. Les règles du genre — appliquer au vers français la métrique grecque ou latine et respecter musicalement la durée de la brève et de la longue, égale à deux brèves — n’entravent pas son inspiration. Le Jeune a le don de donner à sa composition légèreté, fluidité et expression en substituant çà et là à certaines valeurs de durée des figures mélismatiques équivalentes, qui ne se développent jamais au point de bouleverser la rythmique. Sans observer un plan stéréotypé, il modifie constamment — comme dans ses psaumes — le nombre des voix. Dans ses Airs, l’exquise chanson « la Bel’Aronde » fait alterner un refrain à 6 voix et un chant à 4 voix. Un autre exemple remarquable est la chanson « Qu’est devenu ce bel œil ? » (Airs, 1608, no 127), où le musicien use d’un mode chromatique rarement employé et qui révèle l’influence italienne. De tous les compositeurs français de son temps (Jacques Mauduit [1557-1627], E. Du Caurroy*, etc.), Le Jeune est celui qui sut tirer le meilleur parti de la musique mesurée. À ce titre, il est le plus illustre représentant de l’humanisme musical. Il fit d’ailleurs, en cherchant à renouveler les « effets » des Anciens, grande impression sur ses contemporains. Il donna aussi à la chanson une nouvelle dimension et surtout une rythmique puissante, qui devait marquer profondément les débuts de l’air de cour. Ses psaumes connurent d’autre part une grande diffusion en Europe.
A. V.
M. Augé-Chiquet, la Vie, les idées et l’œuvre de J. A. de Baïf (Hachette, 1909). / M. Brenet, Musique et musiciens de la vieille France (Alcan, 1911). / F. A. Yates, The French Academies of the Sixteenth Century (Londres, 1947).