Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

lecture (suite)

Fonctions psycho-sensori-motrices intervenant dans la lecture

La lecture met en jeu :
1o l’intelligence (les concepts sont représentés par des mots, et la suite des mots traduit des pensées) — on dit d’ailleurs aujourd’hui au sens figuré « lecture » pour signifier « compréhension » : ainsi dans la phrase Lacan propose une nouvelle lecture de Freud ;
2o certains mécanismes localisés du cerveau (dans la zone occipitale), puisque des lésions de cette zone correspondent à la cécité verbale (incapacité de lire parce que les formes verbales ont perdu leur sens) ;
3o une perception de formes significatives conventionnelles, codifiées et orientées dans l’espace, qui constituent les lettres ; cette perception est normalement visuelle (elle est tactile dans la lecture de l’alphabet Braille).

Des expériences déjà anciennes ont montré que, dans la lecture, les mouvements de l’œil sont discontinus. L’œil parcourt la ligne des signes en accomplissant des arrêts séparés par des sauts. Les pauses sont irrégulières, variant selon la difficulté de déchiffrage ou d’intellection, suivant le but de la lecture (loisir ou travail par exemple), selon les individus. Les expériences récentes à l’aide d’un tachistoscope (appareil permettant de projeter sur un écran des phrases pendant un temps insuffisant pour voir tous les mots ou, a fortiori, toutes les lettres) ont montré que nous « lisons » à partir de la seule perception de certains éléments de la phrase ou de la « forme » globale, ou physionomie du mot, tout le reste étant reconstitué par l’activité intellectuelle, travaillant et prospectant à partir des automatismes acquis.


L’apprentissage de la lecture

Il n’y a pratiquement que deux méthodes d’apprentissage de la lecture : la méthode analytico-synthétique ou phonématique et la méthode globale.

• La méthode phonématique consiste à apprendre les lettres et à les associer en phonèmes parlés (B - A - BA), puis à associer les phonèmes en mots et les mots en phrases.

• La méthode globale a surtout été lancée par Ovide Decroly vers 1925 et s’appuya sur les travaux d’Édouard Claparède (qui créa le mot syncrétisme pour définir la perception de l’enfant), puis de Jean Piaget*. Elle consiste à apprendre d’abord des mots complets ou des petites phrases et à n’aller vers la décomposition analytique que postérieurement, méthodiquement et lentement.

La méthode phonématique est justifiée par l’habitude scolaire d’apprendre en même temps à lire et à écrire (tout en prononçant à voix haute). Ce système exige une capacité d’analyse que l’enfant n’atteint pas normalement avant sept ans ainsi qu’une très bonne organisation de l’espace vécu. Il a un inconvénient rarement souligné : il ralentit pour toujours la lecture (l’habitude scolaire de lire à haute voix, d’entendre ce qu’on lit et de penser à l’écriture-orthographe fait que les adultes accompagnent la lecture de parole intérieure et d’esquisses articulatoires). Les exercices de lecture rapide consistent à se défaire de ces associations et, en espaçant les pauses de l’œil dans ses bondissements le long des lignes, à lire seulement par les yeux (lecture absolument « silencieuse » et intellectualisée).

La lecture globale est plus conforme à l’intelligence des enfants avant sept ans, aux lois de la perception visuelle en général, mais ne facilite pas l’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire.


Les troubles de l’apprentissage de la lecture.
La dyslexie

En 1917, J. Hinshelwood proposa le terme de dyslexie pour désigner la difficulté — et, dans certains cas, l’impossibilité — d’apprendre à lire chez des enfants qui, par ailleurs, apparemment, n’ont aucun déficit sensoriel (surdité, amblyopie), aucun déficit intellectuel, aucun trouble du langage et de l’articulation, aucun trouble moteur proprement dit (capacité normale de mouvement) et aucun trouble psychique. Bien entendu, des troubles de tel ou tel genre peuvent coexister, mais la dyslexie apparaît comme une sorte de maladie spécifique et isolée de l’apprentissage de la lecture. Elle entraîne généralement une dysorthographie et diverses inhibitions d’ordre intellectuel ou affectif (par exemple phobie de la lecture, phobie de l’école, sentiment d’infériorité ou de culpabilité).

S. T. Orton, en 1937, remarqua l’association de la dyslexie avec la gaucherie contrariée et supposa des perturbations de la dominance cérébrale.

Dans certains cas, l’enfant réussit à compenser la maladie par son intelligence, sa persévérance et par divers « trucs » qu’il invente pour se repérer dans les textes écrits. Certains autres cas plus légers se signalent seulement par l’impossibilité de mémoriser les leçons lues (ou supposées lues et comprises) et par le manque d’intérêt évident pour la lecture.

Tous les auteurs sont d’accord pour dire que la dyslexie est la révélation, à l’âge scolaire et à l’occasion de l’apprentissage de la lecture, d’une perturbation plus profonde : la perturbation de l’organisation de l’espace et du temps au niveau vécu. La lecture, ainsi que l’écriture, suppose en effet acquise (outre le langage parlé) l’organisation de l’espace-temps (ou « structuration spatio-temporelle »), c’est-à-dire la familiarité et l’aisance dans le maniement de l’espace orienté (haut-bas, devant-derrière, à gauche-à droite, dessus-dessous), du temps orienté (avant-après, hier-aujourd’hui-demain, présent-passé-avenir) et des rythmes. Les lettres ont une forme et une orientation dans l’espace ; elles se suivent pour former des syllabes ou des mots ; ces mots ont une « physionomie » orientée ; la phrase a une modulation, etc. L’incapacité de l’enfant à structurer l’espace-temps le rend incapable, au moment voulu, d’apprendre à lire. Or, la structuration spatio-temporelle s’effectue lentement à partir de la naissance, en relation avec de nombreux processus :
1o les équilibres et les rythmes de la marche verticale ;
2o la coordination yeux-mains ;
3o la dominance latérale, ou latéralisation (reconnaissance de la gauche et de la droite, fixation d’automatismes latéralisés sans « croisement », tel celui qui est droitier de l’oreille, gaucher de l’œil, droitier de la main, etc.) ;
4o l’organisation du schéma corporel, ou image du corps* (sensation d’appartenance à soi des diverses parties du corps, connaissance inconsciente de la posture du corps, des attitudes), et la maîtrise des mouvements ;
5o la perception des rapports spatiaux et temporels entre soi et autrui, c’est-à-dire la capacité de se situer par rapport à autrui ;
6o la « prise sur l’espace-temps », c’est-à-dire la possibilité d’imaginer le déroulement de l’acte projeté, de tenir compte de repères spatio-temporels pendant l’action personnelle.

Quoique l’organisation du schéma corporel ne soit terminée qu’à onze ans, l’ensemble de ces processus est normalement à six ans à un point de maturation tel que l’apprentissage de la lecture est devenu possible et facile.

Mais d’autres exigences ont été soulignées par certains auteurs : la stabilité des repères affectifs de l’enfant dans son univers vécu ; le « vouloir-communiquer » avec autrui, c’est-à-dire le désir de la relation interpersonnelle et l’aisance suffisante dans cette relation, fondement commun du langage comme réalité interhumaine et comme échanges réglés.