Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Anjou (suite)

En fait, cette dernière augmente considérablement au milieu du xiie s. lorsque le comte d’Anjou Geoffroy V Plantagenêt épouse l’impératrice Mathilde (fille du roi d’Angleterre Henri Ier Beauclerc), s’assurant ainsi le gouvernement de la Normandie* (1144) au nom de son fils Henri* II Plantagenêt, qui devient successivement comte d’Anjou (1151), duc d’Aquitaine* (1152) et roi d’Angleterre (1154).

Dès lors, l’Anjou n’est plus que le cœur d’un vaste Empire angevin (v. Plantagenêt), s’étendant de l’Écosse aux Pyrénées. Il y bénéficie d’un traitement de choix. D’abord gouverné directement par le souverain — qui fait édifier vers 1170 une digue (turcie) de 70 km de long mettant l’est du Val à l’abri des inondations —, le comté est régi, après la révolte des vassaux en 1173-74, par un véritable gouverneur, le sénéchal. L’office de sénéchal, sans doute héréditaire, est tenu tour à tour entre 1159 et 1189 par Goslin et par Étienne de Tours, dont l’un des successeurs, Guillaume des Roches, est maintenu en place par Philippe II Auguste après la commise de 1202 (v. Jean sans Terre) et après l’occupation capétienne de 1205. L’Anjou est constitué en apanage par le testament de Louis VIII en faveur de son plus jeune fils, Charles, en 1226 et donné à celui-ci par Louis IX en 1246, alors que le roi d’Angleterre Henri III ne renonce au titre comtal qu’en 1258-59 (traité de Paris). Il devient avec le Maine l’élément le plus périphérique d’un second Empire angevin, centré non plus sur la Manche, mais sur la Méditerranée, et qui englobera tour à tour la Provence (1245-46), le royaume de Sicile (1265-66) et la principauté d’Achaïe (traité de Viterbe, 1267), tandis que d’heureuses alliances matrimoniales entraînent l’avènement des descendants du frère de Saint Louis sur les trônes de Hongrie (1308-1387) et de Pologne (1370-1386). Administrés depuis longtemps en commun par un bailli nommé par le comte-roi, mais placés sous l’étroit contrôle financier des officiers du roi de France, les comtés d’Anjou et du Maine sont donnés en dot par le roi Charles II d’Anjou à sa fille Marguerite, épouse de Charles de Valois (1290) ; aussi sont-ils réincorporés au domaine royal lors de l’avènement au trône de Philippe VI de Valois (1328). Constitué de nouveau en apanage par Jean II le Bon en faveur de son fils cadet, Louis Ier, l’Anjou est alors érigé en duché (1360). Ses destinées seront une nouvelle fois associées à celles du royaume de Sicile*, au trône duquel Louis Ier, Louis II et Louis III sont tour à tour appelés en 1383, 1384 et 1417. Sous le gouvernement de cette troisième dynastie, l’Anjou se relève péniblement des séquelles de la peste noire (1348-1349) et de la guerre de Cent* Ans, au cours de laquelle il constitue l’un des derniers bastions du « roi de Bourges », Charles VII, époux de Marie d’Anjou et gendre de Yolande d’Aragon et de Louis II.

Le nouveau duché est doté d’une administration plus spécialisée, dirigée notamment par un chancelier (Jean Le Fèvre, 1380-1390) et comprenant un conseil et une chambre des comptes, dite « du roi de Sicile », qui, avec l’aide des élus locaux, tente, au xve s., de lutter contre les empiétements de la fiscalité royale. Il devient l’un des grands centres de la vie intellectuelle française au xive et au xve s., à la fois sous l’impulsion de l’université d’Angers et sous celle des conseillers du duc, tels Pierre et Louis de Beauvau, dont l’un est le traducteur du Filostrato de Boccace. La présence d’une cour brillante y favorise d’ailleurs l’éclat des arts. À la disparition du dernier duc d’Anjou, le « bon roi René » (1480), et à celle du dernier comte du Maine, Charles V (1481), la principauté, déjà administrée par des fonctionnaires royaux depuis 1473, est réincorporée au domaine royal. Le titre de duc d’Anjou, devenu honorifique, est encore porté par le futur Henri III avant 1574, puis par son frère François (1576-1584) et enfin, de 1683 à 1700, par le petit-fils de Louis XIV (le futur roi Philippe V d’Espagne).

Victime des guerres de Religion* (1560-1598), de la Fronde* (révolte de 1648-1652) et de la guerre de Vendée* (1793-94) avec ses prolongements, l’Anjou, qui a fait partie d’abord de la généralité de Tours (1542), constitue un gouvernement militaire au xviie s. et formera pour l’essentiel le département de Maine-et-Loire.

P. T.

➙ Angers / Loire (pays de la) / Maine-et-Loire (département de) / Plantagenêt / René d’Anjou.

 L. Halphen, le Comté d’Anjou au xie siècle (A. Picard et fils, 1906). / J. Chartrou, l’Anjou de 1109 à 1151, Foulque de Jérusalem, Geoffroi Plantagenêt (P. U. F., 1928). / H. Soulange-Bodin, les Châteaux du Maine et de l’Anjou (Éd. d’Art et d’Histoire, 1934). / J. Boussard, le Comté d’Anjou sous Henri Plantagenêt et ses fils (1151-1204) [Champion, 1938] ; le Gouvernement d’Henri II Plantagenêt (D’Argences, 1957). / A. Coville, la Vie intellectuelle dans les domaines d’Anjou-Provence de 1380 à 1435 (Droz, 1941). / E. G. Léonard, les Angevins de Naples (P. U. F., 1954). / P. d’Herbecourt et J. Porcher, Anjou roman (Zodiaque, la Pierre-qui-Vire, 1959). / F. Dornic, Histoire de l’Anjou (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1961). / F. Lebrun, l’Histoire vue de l’Anjou (1789-1914) [Siraudeau, Angers, 1961]. / Maine-Anjou (Horizons de France, 1968). / F. Lebrun (sous la dir. de). Histoire des Pays de la Loire (Privat, Toulouse, 1972).


L’art en Anjou

Aucun vestige digne d’être noté ne subsiste avant les carrières aménagées de Doué-la-Fontaine (viiie s.) et quelques soubassements en appareil d’arêtes de poisson et de briques, caractéristiques de l’art préroman (église Saint-Eusèbe de Gennes). Il faut attendre Foulques Nerra, grand bâtisseur de donjons (Langeais en Touraine), et ses descendants pour enregistrer une réelle activité architecturale. Henri II, grâce à la dot de sa femme, la redoutable Aliénor d’Aquitaine divorcée de Louis VII, porte à son apogée l’Empire anglo-normand-angevin. La défaite venue, le couple royal ainsi que Richard Cœur de Lion et la femme de Jean sans Terre veulent témoigner leur attachement au duché : ils se feront inhumer dans l’abbaye de Fontevrault, qu’ils n’ont cessé de combler de leurs dons. Leurs gisants sont là, sculptures intemporelles dans cette nécropole angevine confiée à la garde d’une double communauté d’hommes et de femmes, fondée par Robert d’Arbrissel en 1101. L’église est un des plus beaux édifices romans du xiie s. Sa nef unique, couverte de coupoles sur pendentifs, révèle une influence périgourdine et charentaise incontestable ; elle est presque une réplique de la cathédrale d’Angoulême. Les piliers élancés du sanctuaire à déambulatoire rappellent les belles proportions de Saint-Benoît-sur-Loire et de Fontgombault. Originalité majeure : la tour des cuisines, dite « tour d’Évrault », est surmontée d’une toiture conique de pierre en écailles de poisson, percée de vingt cheminées disposées sur deux étages en pyramide. La structure extrêmement savante combine plan en octogone et plan carré. Elle n’a d’analogue que deux œuvres plus simples et postérieures : la cuisine du château de Montreuil-Bellay en Anjou et celle des rois de Portugal à Cintra.