Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

laser et maser (suite)

• Il y a absorption d’un photon de l’onde résonnante par les atomes qui sont dans l’état inférieur E1 et qui passent ainsi à l’état d’énergie supérieure E2. Le nombre de photons absorbés par unité de temps Na est proportionnel à la population p1 du niveau inférieur E1 (nombre des atomes absorbants à l’état E1) et à la densité d’énergie spectrale uν de l’onde à la fréquence résonnante ν :
Na = Ba . uν . p1.

C’est ce phénomène d’absorption qui explique l’expérience de résonance optique, observée pour la première fois en 1905 par R. W. Wood : on irradie une vapeur monoatomique sous faible pression avec la lumière d’une raie de résonance du spectre de cet atome (la lumière est produite par une lampe à décharge contenant la même vapeur monoatomique) ; on constate que le faisceau de lumière se trouve atténué, voire complètement éteint par la traversée de la vapeur. Simultanément, on observe que la vapeur réémet dans toutes les directions de la lumière de même fréquence ν ; cela traduit le phénomène d’émission spontanée par les atomes qui se sont trouvés portés à l’état supérieur E2 par absorption d’un photon.

• Il se produit une émission induite (ou émission stimulée) d’un photon identique à ceux de l’onde incidente par les atomes qui sont dans l’état d’énergie supérieure E2, et qui passent ainsi à l’état inférieur E1. Ce phénomène est tout à fait symétrique du phénomène d’absorption. Le nombre de photons Ni produits par émission induite pendant l’unité de temps est proportionnel à la population p2 de l’état E2 (nombre des atomes émetteurs à l’état E2) et à la densité d’énergie spectrale uν de l’onde incidente :
Ni = Bi . uν . p2.

Une étude rigoureuse devrait tenir compte des poids statistiques des deux états E1 et E2 ; mais on peut les supposer égaux, ce qui ne change rien aux lois essentielles des phénomènes et simplifie un peu l’exposé. Dans ces conditions, on démontre que les deux coefficients de proportionnalité, dans Na et dans Ni, sont égaux :
Ba = Bi = B.

Comme l’avait montré Einstein* dès 1917, le photon émis est identique en tout point aux photons de l’onde incidente. Cette identité ne porte donc pas seulement sur la valeur de l’énergie  : le nouveau photon est envoyé dans la même direction que le faisceau incident, et sa propagation est décrite par la même onde sinusoïdale. C’est-à-dire que les photons produits par l’émission induite constituent en fait un véritable renforcement de l’onde incidente.

L’étude théorique d’Einstein sur l’émission induite ne fut guère suivie d’études expérimentales avant une date récente, parce que, dans les conditions normales, le phénomène d’émission induite se trouve complètement masqué par le phénomène d’absorption. En effet, l’amplification de l’onde incidente, caractéristique de l’émission induite, peut être observée dans les faits à condition seulement que le nombre de photons émis Ni = B . uν . p2 soit supérieur aux nombres de photons absorbés N = B . uν . p1. Or, dans les conditions expérimentales ordinaires, les populations p1 et p2 sont déterminées par l’équilibre thermique et obéissent à la loi statistique de Boltzmann :

L’hypothèse E2 > E1 entraîne p2 < p1, quelle que soit la température absolue T du milieu étudié (la constante de Boltzmann k est positive), et, dans ces conditions, Ni < Na ; l’onde incidente se trouve globalement atténuée par la traversée du milieu.

Pour observer véritablement une amplification de l’onde incidente (Ni > Na), il faut produire une inversion des populations, c’est-à-dire réaliser des conditions spéciales où les atomes à l’état d’énergie supérieure sont plus nombreux que les atomes à l’état inférieur (p2 > p1). C’est ce que l’Américain C. H. Townes réussit à faire pour la première fois en 1954. On emploie souvent la locution de température négative pour caractériser un système où l’on a réalisé une inversion des populations, parce que dans la formule de Boltzmann on obtiendrait p2 > p1 en remplaçant la température T par une quantité négative.


Application aux ondes hertziennes, le maser

Pour réaliser l’inversion des populations, il faut lutter contre l’émission spontanée qui tend à vider le niveau E2. Mais, lorsque la différence d’énergie E2 – E1 =  correspond au domaine des ondes hertziennes, des raisons théoriques montrent que la durée de vie τ de l’état supérieur E2 est extrêmement longue, c’est-à-dire que le nombre des transitions spontanées devient très faible. L’inversion des populations est donc a priori plus facile à réaliser pour une faible différence d’énergie correspondant au domaine hertzien ; c’est ce qui explique que Townes, en 1954, ait débuté par la réalisation d’un maser.

Le premier maser utilisait les deux niveaux d’énergie les plus bas de la molécule de gaz ammoniac NH3 (ν = 23 870 MH ; et, compte tenu de la faible différence d’énergie E2 – E1, la population p2 n’est pas très inférieure à p1 dans le gaz à l’équilibre thermique. Les molécules dans les deux états E1 et E2 diffèrent par d’autres propriétés que l’énergie ; il se trouve en particulier qu’elles sont soumises à des forces différentes sous l’action d’un gradient de champ électrique. Townes utilise cette propriété pour effectuer un tri entre les deux catégories de molécules : on envoie un jet de molécules NH3 à travers une enceinte soigneusement vidée d’air ; le jet passe au voisinage de barres métalliques portées à divers potentiels et qui créent un fort gradient de champ électrique. Les molécules appartenant aux deux états E1 et E2 se trouvent soumises à des forces opposées, et leurs trajectoires sont déviées de manières différentes : le jet moléculaire initial se trouve ainsi séparé en deux jets distincts ne contenant chacun qu’une seule catégorie de molécules, et l’on envoie ainsi les seules molécules de l’état E2 dans le guide d’onde où circule l’onde hertzienne à la fréquence ν (v. fig.).