Larionov (Mikhaïl Fedorovitch) et Gontcharova (Natalia Sergueïevna) (suite)
À la suite de cette importante manifestation se produit une scission dans leurs rangs. Larionov et Gontcharova s’opposent aux Bourliouk, refusent d’être à la traîne de l’art européen. Dès 1911, ils forment un groupe à part, et Larionov montre tout seul 124 œuvres (de 1905 à 1911) dans une exposition d’un jour à la Société d’esthétique libre de Moscou. Après cette rupture, Larionov et Gontcharova organisent en 1912 l’exposition de leur groupe avec un titre provocant, « la Queue d’âne », par lequel ils soulignent leur ferme volonté de créer un art russe qui ne soit plus dépendant des mouvements artistiques occidentaux. Ils proclament leur profession de foi lors de débats publics, dans des manifestes, des déclarations, des brochures. Gontcharova, s’en prenant au « Valet de carreau », écrit : « C’est une chose terrible quand on commence en art à remplacer le travail créateur par la création d’une théorie. » Le prestige de Larionov et de Gontcharova est considérable. Ils exposent en 1912 à Munich avec le Blaue* Reiter, groupe de Kandinsky* et de Franz Marc. Des peintres aussi personnels que Malevitch*, Tatline* et même Chagall* subissent alors leur influence. Mais, en 1913, c’est le triomphe du rayonnisme, dont Apollinaire dira qu’il apporte un raffinement nouveau à la peinture européenne. La première toile rayonniste exposée fut le Saucisson et le maquereau rayonnistes de Larionov (l’Union de la jeunesse, Saint-Pétersbourg, déc. 1912 - janv. 1913). Mais, en 1913, l’exposition du nouveau groupe de Larionov et Gontcharova, « la Cible », à Moscou, la publication du traité de Larionov le Rayonnisme, celle du recueil la Queue d’âne et la Cible, avec son manifeste provocant, imposent le rayonnisme, qui « a en vue, en premier lieu, les formes spatiales qui naissent de l’intersection des rayons réfléchis par différents objets, formes qui sont isolées par la volonté de l’artiste ». « Le rayonnisme efface les limites qui existent entre la surface du tableau et la nature. » Les deux peintres organisent aussi une grande exposition d’art populaire (icônes, loubok [images d’Épinal russes]) et font découvrir le peintre naïf géorgien Niko Pirosmanachvili. Parallèlement, ils illustrent depuis 1912 des livres futuristes, créant un genre nouveau où sont unies la graphie du texte et l’illustration, qui forment un ensemble pictural. Après une dernière exposition en 1914 à Moscou (No 4), ils viennent à Paris, où a lieu leur exposition à la galerie Paul-Guillaume (préfacée par Apollinaire). Larionov est ensuite mobilisé en Russie et blessé à la guerre. En 1915, tous deux quittent définitivement leur pays pour s’établir, quelques années plus tard, à Paris, où Larionov acquerra la nationalité française (1938).
Serge de Diaghilev, qui dirige les Ballets* russes et a déjà exposé leurs œuvres à Paris (Salon d’automne de 1906), les attire au théâtre, où ils donneront désormais le meilleur d’eux-mêmes. C’est alors une série éblouissante de décors qui bouleversent l’art théâtral (Gontcharova : le Coq d’or, 1914 ; Sadko, 1916 ; les Noces, 1923 ; l’Oiseau de feu et Une nuit sur le mont Chauve, 1926 ; — Larionov : Soleil de nuit et Histoires naturelles, 1915 ; Contes russes, 1917 ; Chout, 1921 ; Renard, 1922). La force d’expression, la luxuriance des couleurs de ces décors, la richesse de leurs formes, puisées dans l’art populaire russe, ont marqué l’histoire universelle de l’art.
J. Cl. M. et V. M.
E. Eganbiouri, N. Gontcharova-M. Larionov (en russe, Moscou, 1913). / V. Parnak, Gontcharova-Larionov, l’art décoratif théâtral moderne (Éd. la Cible, 1919). / C. Gray, The Great Experiment : Russian Art, 1863-1922 (Londres, 1962 ; trad. fr. l’Avant-garde russe dans l’art moderne, l’Âge d’homme, Lausanne, 1968). / Waldemar-George, Larionov (Bibliothèque des arts, 1966). / Gontcharova et Larionov, cinquante ans à Saint-Germain-des-Prés (Klincksieck, 1971). /M. Chamot, Nathalie Gontcharova (Bibliothèque des arts, 1972). / V. Marcadé, le Renouveau pictural russe (l’Âge d’homme, Lausanne, 1972).