Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

animation (suite)

Les États-Unis, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, conservent le monopole du dessin animé. En effet, par rapport à l’industrialisation très poussée de l’animation américaine, ce qui caractérise la plupart des autres pays est au contraire une dissémination des efforts, un individualisme souvent artisanal, mais d’une originalité indéniable et qui sera, dans de nombreux cas, à l’origine d’un renouvellement total du dessin animé postdisneyen.

En Grande-Bretagne, où Paul Terry avait débuté (dans les Studios Bray) avant d’aller travailler en Amérique, quelques individualités ont une place non négligeable : ainsi Anson Dyer, le Néo-Zélandais Len Lye, inventeur du dessin sur pellicule (Colour Box, 1935), et le Hongrois George Pal, spécialisé dans l’animation de marionnettes.

En France, Berthold Bartosch tente une expérience isolée avec l’Idée, d’après les dessins de Frans Masereel et sur une musique d’Honegger. De même, le marionnettiste russe émigré Ladislas Starevitch, avec une ingéniosité patiente qui frise parfois le maniérisme, travaille pendant plus de dix ans à la réalisation d’un étonnant long métrage, le Roman de Renart (1928-1939).

C’est une tout autre voie que choisissent en Allemagne Viking Eggeling, Hans Richter, Walter Ruttmann et Oskar Fischinger (qui collaborera avec Disney pour l’une des séquences de Fantasia) : ils orientent leurs recherches vers l’abstraction cinématographique. Quant à Lotte Reiniger, elle se spécialise dans l’animation des ombres chinoises, domaine où bien peu d’artistes lui disputeront sa suprématie.

En U. R. S. S. enfin, une école d’animation très active (Ivan Ivanov-Vano, Aleksandr Ivanov, Valentina et Zinaïda Broumberg, Leonid Amalrik, Lev Atamanov, Nikolaï Khodataiev et Olga Khodataieva, Aleksandr Ptouchko) crée à partir de 1925 de nombreux dessins animés, dont le style est proche de celui de Disney.


Le renouvellement de l’animation

À partir de 1940-1945, le visage de l’animation dans le monde va changer. Sans doute l’univers de Walt Disney se maintiendra bon gré mal gré, mais la concurrence sera de plus en plus vive. Différents courants venus des quatre coins du monde vont déclencher une importante révolution esthétique et engendrer une incroyable diversité de styles. Parallèlement au développement et à la multiplication des écoles nationales ainsi qu’à la propagation des techniques nouvelles, une certaine forme de contestation naît aux États-Unis même. D’anciens collaborateurs de Walt Disney cherchent à échapper à la férule du maître. Petit à petit, le solide empire de Burbank, qui a quelque peu tendance à sommeiller à l’ombre de son succès et qui tient à conserver la formule qui a contribué à son renom (traditionalisme du graphisme, réalisme des personnages), se voit débordé par l’audace de certains « francs-tireurs ». Sans doute, le public cautionne-t-il toujours Disney, dont les productions ultérieures (Cendrillon, 1950 ; Alice au pays des merveilles, 1951 ; Peter Pan, 1953 ; la Belle et le clochard, 1955 ; la Belle au bois dormant, 1958 ; les 101 Dalmatiens, 1960 ; le Livre de la jungle, 1968) se maintiendront toujours à la tête du « box-office » dans tous les pays du monde. Mais l’animation s’est découvert, en quelques années, d’autres horizons.


Nouvelles écoles d’animation aux États-Unis

• Le style Tex Avery. Dès 1936, mais de manière quelque peu souterraine, un mouvement tente de rompre avec le style de Walt Disney. Tex Avery (1918), qu’on surnomma « un Walt Disney qui aurait lu Kafka », en est l’âme. Non seulement ce personnage quelque peu mystérieux fera œuvre personnelle, mais il servira aussi d’avatar à un groupe comprenant notamment le trio de Warner (Robert McKimpson, Charles [Chuck] Jones et Friz Freleng), les collaborateurs de Walter Lantz à l’Universal et les créateurs de Tom et Jerry à la M. G. M. : William Hanna et Joe Barbera.

On assiste alors à la naissance d’une ménagerie dont certains pensionnaires deviennent très vite célèbres. Tex Avery invente (avec Chuck Jones) Bugs Bunny le lapin, Lucky Ducky le canard, le chien somnambulique Droopy, Chilly-Willy le pingouin frileux. Friz Freleng est le père de Tweety Pie le canari, de Sylvester le chat (I thought I saw a pussy cat [« J’ai bien cru apercevoir un petit minet »]) et de Speedy Gonzales (« Hépa, arriba, andale, olé »), Robert McKimpson celui de Daffy Duck et d’Elmer Fudd, et Chuck Jones celui du coyote et de l’oiseau-mimi (Beep-Beep).

Tom et Jerry — qui, tout au long d’innombrables cartoons, ont conduit la poursuite chat-souris à son apothéose —, le pivert survolté Woody Woodpecker de Walter Lantz et une autre souris, Mighty Mouse qui se prend pour Superman, complètent cette arche de Noé, beaucoup plus tumultueuse au demeurant que les aimables créatures disneyennes.

L’« école de Tex Avery » ne s’éloigne guère du réalisme cher à Disney, mais son originalité éclate dans la prédilection qu’ont ses principaux représentants pour la violence, la destruction cosmique, le sadisme même, une démentielle loufoquerie, un rythme syncopé, un impressionnant délire verbal, un traitement plus « explosif » de la couleur. L’absurde et la frénésie font une entrée tonitruante dans le petit monde de l’animation. À cette première révolution du fond succède dès 1945 une révolution de la forme grâce à la fondation de l’U. P. A. par Stephen Bosustow.

• Le style U. P. A. En 1941, une grève paralyse les ateliers de Walt Disney. La révolte est beaucoup moins d’ordre salarial que d’ordre artistique. Lassé du carcan qui oblige les dessinateurs de Walt Disney à respecter les règles traditionnelles de gentillesse naturaliste ou féerique, Stephen Bosustow (né en 1911) prend la tête d’un petit groupe d’animateurs qui décident de fonder en 1945 une nouvelle maison de production de dessins aminés : ce sera l’U. P. A. (United Productions of America), qui passera de 6 membres à 175 en trois ans. Révolution artistique totale, le style U. P. A. est profondément influencé par la peinture moderne (Klee, Kandinsky, Miró, Kubin, voire Tanguy et Mondrian) et par le graphisme de certains maîtres du dessin contemporain (Thurber, Steinberg, Blechman, Osborn). La nouvelle animation se caractérise essentiellement par la simplicité de la forme, conduisant parfois au schématisme, à la disparition du décor, au tracé rectiligne, au triomphe du i sur le o et de l’anguleux sur le sphérique, par le choix plus varié des couleurs, parfois très adoucies, parfois très acides, par un parti pris de sophistication qui rejoint tantôt le surréalisme, tantôt l’onirisme et qui préfère le cynisme à la violence. Outre Bosustow, qui consacra la majeure partie de son temps à ses fonctions de producteur, les grands créateurs de l’U. P. A. sont : John Hubley, qui, après Robin Hoodlum (1948) et The Magic Fluke (1949), signera le premier des Mister Magoo (The Ragtime Bear, 1949), puis Rooty Toot Toot (1952), avant de fonder sa propre société, la Story-board en 1952, où, poursuivant ses recherches, il donne successivement Adventures of an Asterisk (1956), Moonbird (1960), Of Stars and Men (1961), The Hat (1964) ; Pete Burness, le plus prolifique, auteur de la plupart des Magoo ; Robert Cannon, créateur de Gerald Mc Boing Boing (1951), de Madeline (1952), de Willie the Kid (1952), de Christopher Crumpet’s Playmate (1953) ; William Hurtz et sa Licorne dans le jardin (1953) ; Ernest Pintoff, qui rejoint en 1957 l’U. P. A. et y réalise son fameux Flebus (1957) ; Gene Deitch, qui, avant de partir pour Prague, avait travaillé avec Pintoff pour Flebus et avec Al Kouzel pour le Jongleur de Notre-Dame (1957) ; Ted Parmelee enfin, auteur, avec Paul Julian. du Cœur révélateur (1954), d’après Poe, et de The Emperor’s New Clothes (1953), d’après H. C. Andersen.

L’U. P. A., dont le studio new-yorkais devait fermer en 1958, cesse pratiquement d’exister en tant qu’école lorsque Bosustow résilie ses fonctions en 1961.