Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lanskoy (André) (suite)

Alors éclate ce qui est l’élément primordial de sa peinture, la lumière. Ce n’est pas l’éclairage des caravagistes ni le luminisme impressionniste, mais une lumière mystique, venue des profondeurs du chaos originel et passée par le prisme de la spiritualité, la même lumière qui illumine les vitraux du Moyen Âge. Dans les tableaux de Lanskoy, il y a une dominante, tantôt bleue, violette, indigo, tantôt rouge, tantôt noire, blanche ou verte, toujours franche comme dans la peinture d’icônes. Sa palette s’affirme dans une orgie de couleurs qui vibrent à la manière d’une chanson populaire russe, venue d’époques lointaines et exprimant la gamme la plus variée d’événements et de sentiments. On peut voir aussi dans ses toiles l’épopée grandiose d’un conquérant russe : il y a du barbare en lui. On sent qu’il jette sa matière picturale sur le tableau avec une fureur dionysiaque. Cette « poiétique » s’apparente à l’action painting américaine. Les rapports du peintre à l’œuvre sont des rapports agressifs : « La lutte s’engage jusqu’à ce qu’un nouvel accord se réalise, cette fois entre les formes et les couleurs. » Ce n’est pas un hasard si Lanskoy a peint un Hommage à Paolo Uccello ; mais, si chez Uccello tout est potentiellement dynamique, chez le peintre russe les lances des adversaires se sont déjà croisées et la bataille fait rage.

Lanskoy a étendu son activité au domaine de la tapisserie et à celui de l’illustration de livres. Dans son travail sur le Journal d’un fou (1958-1968), non édité, il retrouve la tradition russe de l’enluminure des livres d’heures, et aussi celle des expériences futuristes russes autour de 1912-13.

J.-Cl. M. et V. M.

 J. Grenier, André Lanskoy (Hazan, 1960).

Lao Che

En pinyin Lao She, romancier chinois (Pékin 1899 - id. v. 1966).


Shu Qingchun (Chou K’ing-tch’ouen), qui adoptera le pseudonyme de Lao She, est né dans une famille noble mandchoue. Ayant obtenu le diplôme de l’école normale de Pékin, il entre dans la carrière professorale. En 1924, il part pour Londres se perfectionner en anglais. C’est là qu’il commence à écrire, publiant des nouvelles dans la Revue mensuelle du roman. De retour en Chine, il donne Divorce en 1933, Histoire de Niu Tianxi en 1934. Ces deux courts romans mettent en scène des gens de Pékin. De cette époque datent aussi plusieurs recueils de nouvelles excellentes telles que Grenouilles et prêles (1934), Cerisiers et pruniers (1935). L’atmosphère des quartiers populaires de la capitale est au centre de son chef-d’œuvre, Xiangzi le chameau (1936). Xiangzi (Hiang-tseu) le chameau est venu de son village à Pékin pour y gagner sa vie. Comme il est fort, jeune et indépendant, il se fait tireur de pousse. Grâce à son courage et à sa persévérance, il arrive à économiser suffisamment d’argent pour acheter un rick-shaw, qu’il soigne et aime comme un autre lui-même. Mais voilà qu’un beau jour, les soldats qui rôdent dans la campagne environnante le lui volent. Xiangzi recommence à travailler avec autant d’acharnement, mais moins de confiance et de santé. Soucis et déceptions s’accumulent. Contraint d’épouser une femme qu’il craint, il commence à s’attacher à elle juste avant qu’elle ne meure en couches. Et lorsque la vie semble de nouveau lui sourire, la jeune prostituée qu’il aime disparaît. Privé d’espoir et de joie, Xiangzi finit par porter des pancartes dans les enterrements. Le personnage de Xiangzi est très attachant : malgré les innombrables vicissitudes de son existence, la pauvreté, la faim, l’insécurité, la trahison et surtout une immense solitude, il garde un cœur pur d’enfant, espérant toujours ou presque recevoir le gain de ses peines. Son honnêteté, son sens des responsabilités et de la « face » sont des armes bien faibles dans la lutte pour la vie. Pourtant, il ignore la révolte et ne comprend pas bien la propagande des révolutionnaires. Il prend conscience de son irrémédiable impuissance lorsqu’il voit exécuter la jeune étudiante qui un jour l’avait défendu devant la police et lui avait donné de l’argent. Pour Lao She, l’histoire de Xiangzi est celle de l’échec de l’individualisme. Malgré toutes ses qualités, la solitude mène le héros au désastre. Dans la littérature révolutionnaire des années 30, Xiangzi le chameau se distingue par l’absence de propagande. Bien sûr, Lao She est conscient que la vie du peuple de Pékin est rude, il la décrit sans ménagement, mais sans hargne. Ce n’est pas un roman politique, mais un roman de mœurs. L’atmosphère générale n’est pas pesante, on sent la tendresse de l’auteur pour ses héros. Lao She est un véritable romancier : il sait construire son récit, présenter ses personnages, agencer des rebondissements, animer les dialogues. Au-delà du témoignage sur la Chine des années 30, c’est un excellent roman.

L’œuvre suivante est un très long roman écrit entre les années 1945 et 1950 qui décrit la vie d’une grande famille à Pékin sous l’occupation japonaise : Quatre Générations sous le même toit (publié en 1953). Après la libération, en 1950, Lao She écrit deux pièces de théâtre : Fang Zhenzhu et le Fossé du dragon barbu, qui toutes deux ont pour thèmes les remarquables transformations qui suivent le changement de régime. Dès lors, Lao She entre dans la voie de la littérature pour le peuple et de la littérature politique. Tout en assumant la responsabilité de critique littéraire, il publie des œuvres de circonstance. La question du divorce est au centre du Puits sous l’ombre du saule (1952). Pour la campagne des « cinq anti », il publie Fleurs de printemps et fruits d’automne (1953). Les nouvelles conceptions littéraires de Lao She s’affirment avec clarté. Dans son autocritique, il reconnaît n’avoir été qu’un « individualiste, isolé de la société », et il ajoute que, depuis la libération, il a gagné des millions d’amis et que son seul but est d’écrire quelque chose qui soit utile au peuple. Cette conversion est un événement important dans l’histoire de la littérature contemporaine ; Lao She joue un rôle considérable dans le mouvement artistique révolutionnaire, en tant que vice-président de la Ligue des écrivains. C’est vraisemblablement en 1966 (ou 1967) qu’il se suicide.

D. B.-W.

 Z. Słupski, The Evolution of a Modern chinese Writer, an Analysis of Lao She’s Fiction (Prague, 1966).