Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Kazan (Elia) (suite)

Les États-Unis des années 50 sont secoués par une grave crise idéologique, qui aura des répercussions particulièrement violentes dans le monde du spectacle. Dès 1947, sous le prétexte qu’Hollywood a été transformée par le New Deal en centre de propagande communiste, le gouvernement déclenche une violente « chasse aux sorcières ». Les « Dix d’Hollywood » qui ont refusé de répondre à la question « Êtes-vous maintenant ou avez-vous jamais été membres du parti communiste ? » sont bannis de la profession. Une seconde vague répressive s’abat en 1951 sur les cinéastes. Le sénateur Joseph McCarthy pousse les « patriotes » à la dénonciation. Elia Kazan (qui a appartenu au parti communiste de 1934 à 1936) comparaît devant la commission en janvier 1952, refuse une première fois de collaborer avec ses juges, puis accepte diverses compromissions trois mois plus tard. Il évite ainsi d’être placé sur la liste noire. Mais, désormais, toute son œuvre sera un plaidoyer pro domo. Brouillant avec un talent exceptionnel — ce qui ajoute parfois à l’ambiguïté initiale du propos — les cartes de la morale et de la responsabilité, il cherche à convaincre l’opinion publique qu’il n’est pas un renégat de la gauche. Dans Sur les quais (On the Waterfront, 1954), où il remporte une nouvelle fois l’oscar du meilleur film de l’année, la parabole est claire : « Parle et tu trahis des gangsters. Ne parle pas et tu trahis la justice et une meilleure situation sociale sur les docks. » L’idée de la délation court en filigrane dans plusieurs films (et ce jusqu’aux Visiteurs, tournés près de vingt ans après la flambée maccarthyste). Dans America America (1963), où les souvenirs autobiographiques sont à peine déguisés, Kazan avoue : « Le Bien et le Mal, c’est du luxe, des choses pour les riches. » À partir de Viva Zapata (1952), il reliera tous les drames individuels au contexte social. Peintre des conflits intérieurs, chantre des sociétés pourrissantes, analyste impitoyable des tares de l’Amérique (partisan probable du proverbe « qui aime bien châtie bien »), il a réussi à construire une œuvre homogène, où l’on retrouve certains thèmes de prédilection : la corruption politique et syndicale (Boomerang, Sur les quais), les problèmes du racisme et de l’antisémitisme (l’Héritage de la chair, Panique dans la rue), le pouvoir dangereux de la télévision (Un homme dans la foule [A face in the Crowd, 1957]), la force du puritanisme et du matérialisme bourgeois (la Fièvre dans le sang [Splendor in the Grass, 1961]), l’annihilation de la personnalité par l’« american way of life » (l’Arrangement [The Arrangement, 1969]). Ce cinéma crispé, cet art de la crise est particulièrement apparent dans À l’est d’Eden (East of Eden, 1955, avec James Dean), Baby Doll (1956) ou les Visiteurs (The Visitors, 1971), mais parfois Kazan se laisse aller à un lyrisme vigoureux (le Fleuve sauvage [Wild River], 1960) qui n’est pas sans rappeler l’un des cinéastes dont il avoue l’évidente influence, Dovjenko.

En 1962, il quitte l’Actors’ Studio, place beaucoup d’espoir dans le Lincoln Center, qu’il anime avec la même fébrilité qu’au temps du Group Theatre, mais l’expérience est un échec. Tout en écrivant des livres où il ira puiser la source de certains films (America America, l’Arrangement, les Assassins), Kazan continue, dans les années 1960-1970, à prouver qu’il reste l’un des plus grands et aussi l’un des plus discutés des auteurs du cinéma contemporain : « Je ne suis ni un réaliste ni un naturaliste et je ne tiens pas à être un réaliste. Je suis ce qu’on appelle un essentialiste. J’essaie de dépasser la réalité [...], je crois qu’il faut viser à l’essentiel. Découvrir l’essence des choses et puis la faire ressortir très fortement pour qu’on sente en quoi consiste cette chose essentielle [...]. On me critique pour ma façon trop implacable d’attaquer la vie. Mais, que ça me plaise ou non, je suis comme ça un peu névrosé. Je n’y puis rien. »

J.-L. P.

 R. Tailleur, Elia Kazan (Seghers, 1965 ; nouv. éd., 1971). / M. Ciment, Kazan par Kazan (Stock, 1973).

Kazandzákis ou Kazantzákis (Nikos)

Écrivain grec (Iráklion, Crète, 1883 - près de Fribourg-en-Brisgau 1957).


Né dans une famille bourgeoise, il fait des études de droit à l’université d’Athènes et suit à Paris les cours de Bergson, dont l’influence le marquera pour la vie. Sa première œuvre, Serpent et Lys (1906), est publiée sous le pseudonyme de Karma Nirvamé. Le contenu de cette œuvre comme le pseudonyme choisi témoignent déjà des tendances de son esprit et de ses inquiétudes métaphysiques : une certaine inclination vers le bouddhisme, avec lequel il ne cessera jamais de flirter. Les mêmes inquiétudes sont présentes dans son œuvre suivante, le Contremaître (1910), inspirée d’une ballade populaire grecque, selon laquelle un premier bâtisseur de ponts doit sacrifier sa femme à la consolidation de son œuvre. Dès cette époque et pendant cinquante ans, jusqu’à sa mort, les mêmes préoccupations imprègnent toute son œuvre, une œuvre quantitativement énorme, englobant tous les genres littéraires — poésie, essai philosophique, récit de voyages, drame, roman —, à laquelle il convient d’ajouter un grand nombre de traductions, dont celle en grec moderne de l’Iliade.

L’idéologie de Kazandzákis est fondée sur un monde réel, existant, matériel. Cependant, ce monde est régi et déterminé par une puissance surnaturelle qu’il appelle toujours Dieu, tout en faisant une nette distinction entre ce Dieu et les dieux personnels des diverses religions. Il s’agit d’une puissance mystique, qui, immanente à l’homme, crée et dirige le monde avec l’homme tout en se trouvant en contradiction éternelle avec lui. Cette conception mystique et panthéiste du monde, qui constitue la base de la pensée de Kazandzákis, est à ce point éclectique qu’elle ne peut aboutir à aucune vision du monde, à aucune conception philosophique. De ce point de vue, Kazandzákis devient le modèle du mystique, qui ne cède jamais à la tentation du rationnel, qui n’essaie jamais de concrétiser d’une manière quelconque ses aphorismes.