Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
K

Kant (Emmanuel) (suite)

Finalement, l’essence de la métaphysique est garantie, l’accord du sujet et de l’être maintenu non plus comme le résultat d’une connaissance, mais dans l’acte d’obéissance à la loi pure morale. Par cette obéissance, l’individu affirme son autonomie et s’assure de la possibilité de l’union du bonheur et de la vertu dans le souverain Bien grâce aux postulats de la raison pure pratique (l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme et la liberté).


L’intérêt esthétique

La Critique du jugement se divise en deux parties, dont l’une traite de la faculté de juger esthétique et l’autre de la faculté de juger téléologique. Selon Kant lui-même, la réflexion sur le jugement esthétique est essentielle, tandis que l’analyse du jugement téléologique reste secondaire.

Ainsi, la Critique du jugement pose le difficile problème de son unité.

Une première unité peut être reconnue en ce que le jugement esthétique et le jugement téléologique possèdent en commun des caractères qui les distinguent des jugements de la physique mathématique. D’une part, ils ne « subsument » pas un donné particulier (une intuition sensible) sous une règle déterminée (concept de l’entendement), mais, comme jugements réfléchissants, procèdent de la réalité dans sa singularité pour en dégager une règle universelle ; d’autre part, ils ne peuvent pas, à la manière des jugements mathématiques ou physiques, déterminer a priori leur objet, puisque leur universalité est toute subjective.

Il est une unité beaucoup plus profonde, qui est à découvrir dans le problème de l’intersubjectivité, que la Critique du jugement s’efforce de résoudre. Dans le processus de connaissance, le schématisme transcendantal est le procédé de l’imagination pour procurer à un concept (universel) son intuition sensible (particulier). Dans le sentiment du beau, entendement et imagination s’équilibrent et sont en harmonie. Quiconque éprouve un tel sentiment le pose d’emblée comme universel. Affirmant l’universalité de son sentiment dans l’acte esthétique, l’homme transcende les limites de sa subjectivité et rejoint l’« autre ».

La philosophie kantienne explicite trois modes de communication :
— une communication dans la connaissance, au niveau de la Critique de la raison pure, qui est indirecte et s’appuie sur la médiation du concept ;
— une communication de l’homme avec l’homme comme être raisonnable, dans la Critique de la raison pratique, qui est également médiatisée par le détour de la loi morale ;
— dans la Critique du jugement, un mode direct de communication de l’homme avec lui-même s’instaure sans qu’un recours au concept ou à la loi s’impose.

C’est sur cette « expérience originelle de l’intersubjectivité humaine » que se fondent les modalités indirectes de la communication. Une telle expérience nous est révélée par le sentiment du sublime que l’on éprouve lorsqu’on constate que notre entendement et notre imagination ne sauraient être adéquats à l’objet qui est trop grand. Le sublime me révèle que je suis libre et que ma raison dépasse toujours les objets, même les plus grands.

En ce sens, la Critique du jugement fonde et achève la Critique de la raison pure et la Critique de la raison pratique, en développant l’expérience originelle que l’une et l’autre présupposent en tant que réflexion sur la pensée humaine.

L’esthétique kantienne

Le beau

Selon le point de vue de la qualité : « Le goût est la faculté de juger d’un objet ou d’un mode de représentation sans aucun intérêt, par une satisfaction ou une insatisfaction. On appelle beau l’objet d’une telle satisfaction » (Critique de la faculté de juger).

Selon le point de vue de la quantité : « Est beau, ce qui plaît universellement sans concept » (ibid.). Selon le point de vue de la relation des fins : « La beauté est la forme de la finalité d’un objet, en tant qu’elle est perçue en celui-ci sans représentation d’une fin » (ibid.).

Selon le point de vue de la modalité de la satisfaction résultant de l’objet : « Est beau, ce qui est reconnu sans concept comme objet d’une satisfaction nécessaire » (ibid.).

Le sublime

Est sublime ce qui est absolument grand, ce qui est grand au-delà de toute comparaison.

Le destin du kantisme...

... En France...

C’est d’abord l’aspect politique de la pensée de Kant qui intéressera les Français. Son livre la Paix perpétuelle (Zum ewigen Frieden, 1795) est traduit en 1796, ainsi que ses Observations sur le sentiment du beau et du sublime. Le Magasin encyclopédique donne en 1798 la traduction du premier chapitre de la Métaphysique des mœurs. En 1801 paraît la première étude importante consacrée à Kant ; elle est due à Charles de Villers (1765-1815) et porte le titre de Philosophie de Kant ou Principes fondamentaux de la philosophie transcendantale. En 1842, V. Cousin publie ses leçons sur la Philosophie de Kant. Enfin, Jules Barni (1818-1878) traduit entre 1846 et 1869 les principales œuvres de Kant.

...et dans la philosophie allemande

Kant transforme le sens de la démarche philosophique en imposant une méthode nouvelle à la fois dans la théorie de la connaissance et dans l’ensemble des questions philosophiques, morales, esthétiques et anthropologiques. En recherchant les conditions a priori (qui précèdent l’expérience) qui déterminent les jugements théoriques, pratiques aussi bien qu’esthétiques, il dégage la raison humaine du rationalisme dogmatique pour lui ouvrir, par l’idéalisme transcendantal, de nouvelles voies.

Si l’importance d’une philosophie peut se mesurer aux « trahisons » prometteuses qu’elle rend possibles, sans nul doute la philosophie kantienne est une grande philosophie. Après une première tentative menée par Karl Leonhard Reinhold (1758-1823) pour interpréter et systématiser le kantisme, Fichte* publie la Doctrine de la science. Déjà Kant y reconnaît une transformation de sa philosophie : Fichte s’efforce de dégager, en prenant appui sur le primat de la raison pratique, la signification authentique du sujet transcendantal comme liberté et comme vie. Mais comment Kant eût-il réagi face à la métamorphose que subit sa philosophie des sciences de la nature dans la Naturphilosophie de Schelling* et à l’égard de l’interprétation que Schopenhauer* devait donner de l’esthétique transcendantale dans le Monde comme volonté et comme représentation. De même, Hegel* et Husserl* pensent plutôt « contre » le kantisme qu’ils ne tentent de le prolonger.