Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
K

Kant (Emmanuel) (suite)

L’idéalisme transcendantal est le système philosophique qui démontre « que tout ce qui est intuitionné dans l’espace ou dans le temps, par suite tous les objets d’une expérience possible pour nous ne sont pas autre chose que des phénomènes, c’est-à-dire que de simples représentations, qui, en tant que nous nous les représentons comme des êtres étendus ou des séries de changements, n’ont pas, en dehors de nos pensées, d’existence fondée en soi » (Critique de la raison pure).

volonté, « pouvoir ou de produire des objets correspondant aux représentations ou de se déterminer soi-même à réaliser ces objets (que le pouvoir physique soit suffisant ou non), c’est-à-dire de déterminer sa causalité » (Critique de la raison pratique).

volonté pathologique, volonté soumise aux besoins et aux désirs : le principe qui la détermine lui est extérieur. Elle est hétéronome.

volonté pure, volonté déterminée par la simple forme de la loi de la raison ; elle manifeste son autonomie.


La période précritique

C’est au cours de cette période, qui se termine avec la Dissertation de 1770, que se créent les conditions de réalisation du projet critique.

La plupart des commentateurs y distinguent deux moments : jusqu’en 1760, Kant suit les traces du rationalisme dogmatique et subit l’influence de la physique newtonienne et de la métaphysique de Leibniz et de Wolff ; de 1760 à 1769, il découvre l’empirisme à travers Locke et Hume, et les droits du sentiment à la lecture de Shaftesbury et de J.-J. Rousseau.

Dans la Monadologie physique (1756), la pensée kantienne, bien qu’opposée à celle de Leibniz, reste dogmatique, en présupposant que l’analyse logique des concepts suffit pour atteindre l’essence du réel et en admettant encore comme certaines les preuves de l’existence de Dieu (Histoire universelle de la nature et théorie du ciel).

Avec l’Unique Fondement possible d’une démonstration de l’existence de Dieu (1763), le thème dominant devient celui de la distinction entre le logique et l’existentiel, entre la nécessité logique et la réalité effective. Parce que le sens logique de la copule (être = relation entre sujet et attribut) ne doit pas être confondu avec son sens existentiel (être = existence), il apparaît clairement que l’« existence n’est jamais l’attribut d’aucune essence ». L’existence, qui est la position absolue d’une chose, se distingue de tout attribut en tant que celui-ci ne peut jamais être appliqué à une chose que d’une manière relative.

Kant dénonce désormais les preuves traditionnelles de l’existence de Dieu : la preuve a priori cartésienne, que Kant nommera ontologique, parce que l’existence n’est jamais un prédicat ; la preuve cosmologique et la preuve physico-théologique, parce qu’elles présupposent la première.

Cependant, en 1763, Kant est encore suffisamment attaché à l’esprit de la métaphysique pour croire possible une preuve de l’existence de Dieu qui se trouve déjà chez Leibniz. Il reste que sa confiance dans le rationalisme dogmatique est fortement ébranlée.

Elle s’ébranle plus encore dans l’Essai pour introduire dans la philosophie le concept de quantités négatives (1763). Comment conclure d’un principe logique à une existence ? Tel est le problème qui domine cet essai. Puisque les déterminations de l’existence ne ressortissent pas à la pure logique, comment est-il possible de comprendre que « parce que quelque chose est, quelque chose d’autre existe » ? Kant rejoint ainsi, par une analyse qui lui est propre, les conclusions de Hume et remet en question le sens et la valeur de la catégorie de la causalité. À l’origine du problème de la causalité, l’Essai prépare également la critique fondamentale de la physique et de la théodicée leibniziennes, dans laquelle Dieu n’est justifié qu’à la faveur d’une conception du négatif comme simple privation du positif.

La distinction du plan logique et du plan de l’existence rejaillit sur les conceptions morale et esthétique de Kant, qui redécouvre la vigueur du sentiment à travers la lecture passionnée des écrits de Rousseau. Kant ne déclare-t-il pas qu’il doit lire Rousseau « jusqu’à ce que la beauté de l’expression ne me trouble plus... ».

L’ouvrage que l’on appelle brièvement la Dissertation de 1770 ouvre véritablement aux yeux de Kant lui-même la période critique. Tous les doutes qui ont assiégé le Kant encore leibnizien et wolffien s’y trouvent systématisés et préparés ainsi pour leur dépassement. Son apport essentiel est d’établir l’idéalité du temps et de l’espace. Cependant, sur de nombreux points, les thèses de la Dissertation de 1770 contredisent celles de la Critique de la raison pure ; Kant y assimile encore psychologie et épistémologie, alors qu’il cherchera à les dissocier dans la Critique de la raison pure. Si bien que H. J. de Vleeschauwer a pu affirmer que, dans la Dissertation, « le véritable problème critique n’a pas encore été aperçu ».


Les trois « Critiques » : « Critique de la raison pure », « Critique de la raison pratique » et « Critique de la faculté de juger »

Toute la philosophie kantienne est tributaire d’une théorie épistémologique (et non pas psychologique) des facultés, qui distingue la sensibilité, l’entendement et la raison. Du bon usage de ces facultés dépend la réalisation de l’intérêt de la raison humaine. Cet intérêt est lui-même triple : tour à tour théorique, pratique et esthétique.

Ces facultés sont autant de sources de représentations spécifiques : l’intuition, qui est une représentation singulière se rapportant immédiatement à un objet d’expérience, procède de la sensibilité ; le concept, représentation renvoyant à un objet d’expérience par l’intermédiaire d’autres représentations, a sa source dans l’entendement, tandis que l’idée, qui est un concept dépassant la possibilité de l’expérience, dépend de la raison.