Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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juridiques (sciences) (suite)

• Un droit à mi-chemin du droit public et du droit privé : le droit du travail. Le droit du travail ne commence à s’ériger en un corps de dispositions spécifiques et réellement appropriées à l’ère industrielle qu’à l’extrême fin du xixe s., quand une science nouvelle (que l’on appellera la législation industrielle) aura acquis un domaine à organiser, un certain nombre de textes étant parus dès lors, relatifs à la réglementation du travail et de la vie ouvrière. En fait, le droit du travail est un « cas ».

L’absence de législation sociale à l’origine fait comprendre la conception purement civiliste du droit du travail : le contrat de travail des débuts n’est ni plus ni moins que la version classique — dans son individualisme le plus absolu et son « libéralisme » le plus poussé — du Code civil (art. 1780), le contrat liant le « maître » et le travailleur contractant. Par ailleurs, le Code pénal, autre base des relations des travailleurs et des employeurs, pénalise tout groupement de travailleurs (coalitions). Le droit des relations industrielles, dès lors et pour près d’un siècle, est totalement dissymétrique, érigé en faveur du patronat*, ou — pour être plus exact — en un droit « absent », la réglementation protectrice d’ouvriers isolés étant jugée un domaine où l’État ne doit, d’aucune manière, intervenir. L’élaboration du droit du travail, de ce fait, subit un long retard, la matière n’apparaissant guère avant le dernier quart, pratiquement, du xixe s.

Une seule institution importante doit être signalée dès l’aube du xixe s., le Conseil des prud’hommes (1806), mais institution fortement marquée de l’empreinte du temps : le tribunal compte 5 patrons et 5 chefs d’atelier, mais pas d’ouvriers. Il n’est donc pas paritaire : on crée 29 conseils entre 1818 et 1824 ; 38 ont été créés de 1806 à 1814.

Le gouvernement de Juillet inaugure l’ère de l’élaboration du droit : la loi du 2 mars 1841 est une mesure de protection ouvrière qui porte un premier coup au libéralisme économique absolu, de mise à l’époque ; il s’agit de protéger les enfants dans les manufactures et usines à moteur mécanique ou à feu continu et dans toutes celles qui emploient plus de 20 travailleurs réunis en un même atelier. Le corps des inspecteurs (bénévoles) choisis pour exercer le contrôle laisse souvent la loi inobservée.

L’amorce de « publicisation » du droit du travail se perçoit déjà : désormais, ce droit évoluera sans se mettre en orbite ni autour du seul droit privé ni autour du seul droit public, la convention collective (v. supra « aux sources du droit ») se révélant un « hybride » du contrat et du règlement tout à la fois.

J. L.

Vers une informatique juridique : l’expérience d’Aix-en-Provence

La science juridique devient tellement complexe, et particulièrement la vie judiciaire elle-même, que l’informatique, fatalement, est venue à son secours. L’« informatique judiciaire » est apparue comme une des branches d’une science juridique nouvelle.

Elle consiste, étant donné le grand nombre de décisions rendues par les organismes juridictionnels, à en effectuer le « traitement ». Les minutes, dans le ressort d’Aix, des arrêts rendus par les chambres civiles de la cour d’appel sont ainsi remises par les greffes à l’Institut d’études judiciaires, celui-ci les conservant et plusieurs techniciens étant chargés de les analyser. Les analyses sont inscrites sur des bordereaux portant des mots clés, qui en permettront une classification appropriée. Les bordereaux sont dactylographiés sur cartes perforées, celles-ci pouvant passer dans une trieuse. Chaque carte perforée reproduisant, en plus de l’analyse, la référence de l’arrêt qu’elle résume, l’utilisateur, (en sus du « digest » que lui procure la carte), peut, s’il le désire, se référer au texte de la décision elle-même.

J. L.

La doctrine en droit international public : deux auteurs

Grotius

On doit à l’école des théologiens espagnols de la fin du xve, du xvie et du début du xviie s. une définition d’un droit des gens (jus gentium) fondé à la fois sur la reconnaissance d’une indépendance des nations — à l’encontre de l’impérialisme et de la théocratie — et sur la garantie des libertés individuelles. Ces deux aspects du droit international réapparaissent dans l’œuvre du protestant hollandais Hugo de Groot (1583-1645), demeuré célèbre sous, le nom latinisé de Grotius.

Réfugié en France en 1621, à la suite d’une évasion de la forteresse où il avait été emprisonné consécutivement à un procès d’opinion, Grotius a rédigé en exil, sous la protection de Louis XIII (dans la banlieue de Paris, grâce à l’hospitalité du président de Mesmes), le manuscrit en latin du Droit de la guerre et de la paix (De jure belli ac pacis libri tres), qui devait perpétuer son nom depuis sa première édition en 1625 jusqu’à nos jours. L’auteur y traite successivement du droit à la guerre, ou des causes justes de guerre, et des lois de la guerre, ou règles humanitaires que les belligérants doivent observer dans la conduite des hostilités. Bénéficiaire de l’asile politique, Grotius fait dans son œuvre une place importante aux droits de l’homme. La violation des « droits communs à tous les hommes » est une cause juste de la guerre « qu’on fait pour autrui », car « la seule liaison qu’il y a entre les hommes par leur nature commune suffit pour autoriser à secourir ceux qui sont injustement insultés ». Cette reconnaissance des droits internationaux de l’homme se retrouve dans les conseils de modération que Grotius donne aux belligérants en les tirant du droit naturel, opposé au droit positif inhumain de la guerre de Trente Ans, qu’il décrit à travers les auteurs de l’Antiquité.

Bien qu’alourdie par d’incessantes citations tirées du grec et du latin et qui sont destinées, dans la pensée de l’auteur, à donner un fondement historique à sa défense du droit naturel, l’œuvre de Grotius demeure une source d’information et de méditation de grand prix.