Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Juin (Alphonse) (suite)

Malgré les surveillances allemande et italienne, malgré les durs moments qu’il connaît face à Göring, qui l’a convoqué pour examen de la situation au moment où le IIIe Reich n’est plus en bonne posture en Libye, Juin poursuit clandestinement l’œuvre de Weygand, camouflant le matériel et remettant en condition l’armée d’Afrique. Tenu à l’écart des préparatifs de débarquement allié en Afrique du Nord, il ne peut qu’appliquer les ordres de défense, mais, aussitôt informé du but lointain des Anglo-Saxons, il est le premier à se mettre dans la subordination du général Giraud*, qui lui confie le commandement du détachement d’armée de Tunisie. Chargés de couvrir le méthodique rassemblement des forces britanniques, assez hésitantes, et américaines, peu aguerries, les « va-nu-pieds » du XIXe corps d’armée français, mal armés, mal ravitaillés, vont, sur plus de 300 km de front et durant deux mois, contenir, puis repousser les troupes allemandes et enfin participer largement à la libération de la Tunisie. Juin est nommé général d’armée (déc. 1942) et, après avoir exercé pendant quelques semaines les fonctions de résident général à Tunis pour rétablir l’ordre dans la régence, il se voit confier le commandement du corps expéditionnaire français (C. E. F.) d’Italie. Il le formera et le marquera de son moral à toute épreuve, de la confiance qu’il inspire, de sa tendresse virile pour ses soldats et de l’autorité qui se dégage de toute sa personne. Chacun des combattants a des revanches à prendre et se sent le garant de la survivance de l’énergie nationale. Durant le rude hiver 1943-44, dans le froid et la boue, parmi les gorges et les sentiers montagneux des Abruzzes, le comportement des Français sera un patient et silencieux héroïsme fondé sur l’union intime du chef et de sa troupe. Les premiers succès datent de janvier 1944 : c’est l’exploit du Belvédère. Après le transfert du C. E. F. dans le secteur rugueux du Garigliano, à la gauche de la VIIIe armée britannique et à la droite de la Ve armée américaine, c’est le harcèlement continuel de l’avant et la préparation de la rupture de la ligne Gustav, qui échoue à plusieurs reprises malgré des pertes énormes. Alors, Juin conçoit un plan audacieux qu’il fait accepter par les chefs avisés que sont le général anglais Alexander et le général américain Clark : arrêter les coûteuses attaques frontales, se borner à fixer l’ennemi et le surprendre ailleurs en tournant par l’ouest l’obstacle de Cassino, où Britanniques et Polonais se sont cassé les dents, mettre à profit la petite tête de pont du Garigliano que les Français ont conquise et attaquer le massif escarpé et sans route du Petrella (dans les monts Aurunci). Cette manœuvre débutera le 11 mai, de nuit, avec les « mollets » de ces extraordinaires guerriers rustiques que sont les goumiers marocains, qui ouvriront la route aux tirailleurs et aux mulets de la division de montagne. L’enjeu est d’importance, car c’est dans une grande mesure la position de la France qui se joue, parce que la manœuvre est celle que Juin a conçue et que les exécutants, pour l’essentiel, doivent être des Français. Le 13 mai, la position allemande est enfoncée, et un immense drapeau tricolore est planté au sommet du Monte Maio. Le 4 juin, les alliés entrent à Rome. L’armée française a retrouvé, grâce à son chef, ses lettres de noblesse. Cependant, Juin voit déjà plus loin : transformer en déroute le repli encore méthodique de l’adversaire, accroître l’effort militaire en Italie et, la plaine du Pô atteinte, déboucher du Brenner, puis arriver à Vienne avant les Russes. Mais le débarquement en Normandie est déjà minutieusement préparé ; le débarquement en Provence est décidé. Appelé par de Gaulle aux fonctions de chef d’état-major de la Défense nationale, Juin doit se séparer du C. E. F. et le passer au général de Lattre de Tassigny*, qui est chargé du débarquement de Provence.

Pendant trois années, il sera alors le médiateur, d’abord entre de Gaulle et de Lattre, puis entre les Anglo-Saxons et de Gaulle (que, par ailleurs, il accompagnera à Moscou). Il sera aussi le grand conseiller et l’ambassadeur extraordinaire de la IVe République, dont la politique tâtonne. En 1947, on a recours à Juin pour rétablir l’autorité protectrice à Rabat. Résident général au Maroc, il sera aussi, à partir de 1949, commandant en chef en Afrique du Nord, puis en 1951 inspecteur général des forces armées. Ce sont ses fonctions de résident général qui seront pour lui les plus préoccupantes. Le Maroc a évolué plus vite que lui et n’accepte plus l’émancipation « progressive » et l’association que souhaitait Lyautey. Le devenir maghrébin et même africain qu’avait rêvé le colonel des années 30 et qu’à ses yeux seule la France pouvait définir et ordonner ne s’accomplira pas. Le général Juin, maintenu en activité sans limite d’âge, quittera définitivement le Maroc en septembre 1951 pour se consacrer aux problèmes délicats d’ordre international posés, dans le cadre du pacte de l’Atlantique* Nord, par la défense de l’Europe occidentale. Il sera désormais à Fontainebleau le commandant des forces terrestres alliées du secteur Centre-Europe (1951-1953), puis commandant en chef du même secteur (1953-1956). Entre-temps, il est élevé en 1952 à la dignité de maréchal de France (que le général Weygand, qu’il vénère, lui donne l’ordre amical d’accepter) et est élu à l’Académie française. En septembre 1956, il demande à prendre sa retraite ; il ne trouve pas son plein emploi dans son commandement Atlantique, qui est purement préventif, un peu abstrait et pas assez pourvu de liberté d’action pour quelqu’un qui reste avide d’initiative. Commence alors pour lui une carrière littéraire assez dense (il publie ses Mémoires en 1959-60).

Dès 1960, le maréchal Juin est préoccupé, puis bouleversé par les événements qui se déroulent sur sa terre natale et par les fins d’une politique qu’il pressent et qu’il désapprouve. Il ne peut pas ne pas le proclamer et souligner publiquement les répercussions fâcheuses qu’elle entraîne, à ses yeux, sur l’intégrité de l’armée. En fait, il y aura beaucoup de modération dans l’indignation du maréchal, que le gouvernement sanctionnera. Il ne remettra jamais en question le réflexe de l’obéissance militaire. Il se retire alors de la vie publique, n’exerce plus aucune fonction et publie, en 1964, Trois Siècles d’obéissance militaire, 1650-1963. En 1967, après des obsèques nationales, Juin est inhumé aux Invalides.

J.-E. V.

➙ Guerre mondiale (Seconde) / Italie (campagne d’) [1943-1945] / Maroc.

 R. Chambe, le Maréchal Juin, duc de Garigliano (Presses de la Cité, 1968).