Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

juif (art) (suite)

Les premières synagogues, maisons de rassemblement et de prière (bet ha-knesset), datent de l’Exil de Babylone (597-539), après la destruction du Temple de Salomon. À l’époque hellénistique, on trouve de nombreuses synagogues, dont celle de Shidia près d’Alexandrie, attestée par une inscription du temps de Ptolémée III (246-221). En Palestine, les vestiges les plus anciens sont ceux de Massada et de l’Herodium (ier s. av. J.-C.). Après cette époque, les exemples abondent, tant en Israël que dans la Diaspora (Syrie, Égypte, Grèce, Asie Mineure...). Plus de soixante synagogues ruinées, de style gréco-romain, syro-romain ou byzantin, ont été retrouvées en Palestine. Elles s’ornent abondamment d’emblèmes végétaux (palmes, cédrats), de frises, de linteaux sculptés, de mosaïques décoratives figurant personnages et animaux. Les plus importantes sont les synagogues de Hammat (iie s. apr. J.-C.), de Capharnaüm (iie et iiie s.) et surtout celle de Doura-Europos (200-245), en Syrie, où des fresques murales aux couleurs chatoyantes retracent des scènes de la mythologie grecque, mais aussi de la Bible. Il semble donc que les artistes juifs d’alors interprètent avec beaucoup plus de souplesse le commandement du Décalogue, ayant à cœur de participer eux-mêmes à l’embellissement de leurs monuments religieux. Tournée vers Jérusalem, située en général sur le plus haut point de la ville, la synagogue d’époque romaine en Galilée, bâtie d’après le plan de la basilique gréco-romaine, possède néanmoins certaines caractéristiques propres : une plate-forme pavée de pierres précédant l’entrée, trois rangées de colonnes au lieu de deux (dont une parallèle à la façade), des galeries au-dessus des bas-côtés.

Les synagogues de la Diaspora en Grèce et en Asie Mineure (Sardes, Priène, Milet) ainsi que celles de l’époque byzantine adopteront le plan du temple antique avec deux colonnades dans la longueur de la nef. Tout en s’inspirant du style roman et gothique, les synagogues médiévales s’imprègnent d’un climat spirituel particulier, né de nécessités cultuelles (synagogues de Worms et de Ratisbonne en Allemagne, de Prague en Tchécoslovaquie). Mais c’est surtout en Pologne, aux xvie et xviie s., que des formes stylistiques originales apparaissent, particulièrement dans les synagogues construites en bois à partir du milieu du xviie s., comme celles de Chodorów (Khodorov) et de Gwoździec (Gvozdets). Elles représentent l’expression d’un art folklorique qui s’est propagé en Europe de l’Est dans les régions à forte densité de population juive. Bien qu’elles se rattachent à l’architecture du bois des pays slaves, elles n’en constituent pas moins un groupe de constructions se distinguant aussi bien par leurs façades et le style de leurs toits que par leur décoration intérieure, qui se réfère à l’imagerie biblique.

C’est dans les manuscrits hébraïques enluminés de l’époque médiévale que se révèlent les dons des Juifs pour les arts picturaux, le style étant en conformité avec celui de chaque pays ou avec l’époque en général. Les manuscrits du xe s. conservés à la synagogue hiérosolymitaine de Fusṭāṭ (Le Caire), qui comprennent des pages-tapis et la représentation des instruments de culte du Temple de Salomon, rappellent les premiers Corans. Du xiie au xve s., plusieurs écoles de manuscrits hébraïques apparaissent en Europe, notamment en France, en Espagne, en Allemagne et en Italie. Les vestiges conservés de l’école française sont peu nombreux, mais témoignent d’une véritable renaissance de l’iconographie. En Allemagne, les miniaturistes substituent à la figure humaine une tête d’animal ou un visage déformé, procédé qui devient le motif spécifiquement juif de cette école jusqu’au xive s. L’école espagnole, à laquelle on doit aussi l’illustration de livres profanes, s’inspire de la Bible orientale ; quant à l’école italienne, elle se distingue par une profusion très plastique d’illustrations figuratives.

Un art intrinsèquement juif s’exprime plus encore dans les décorations synagogales retraçant les passages de l’Ancien Testament ainsi que dans les objets cultuels qui, depuis le chandelier à sept branches, se sont multipliés : de l’arche de la Loi, abritant la ou les Torah à l’étui richement orné, jusqu’au sac pour le talet (châle de prière), en passant par les rouleaux d’Esther, les « boîtes à aromates » en forme de petites tours, les lampes et les crécelles.

La peinture de chevalet, qui fait son apparition en Angleterre au xiiie s., avec le peintre juif Marlibrun de Billingsgate, se voit consacrée en Espagne au xve s. par Crescas de Majorca, Abraham ben Yotomb, Moses ibn Forma, qui peignent des scènes bibliques. Alors que Moses de Castelazzo, David Reubin et Giacobbe ben Yayyim se distinguent en Italie au xvie s., la Hollande, avec Moses Belmonte, et l’Angleterre, avec McArdell, font, au xviie s., surgir des peintres de talent. La Pologne s’illustre à la même époque par les nombreuses peintures murales de ses synagogues.

La Révolution française ayant contribué à l’émancipation, non seulement des Juifs de France, mais aussi de ceux d’autres pays, un épanouissement se fait jour dans l’art des Allemands Eduard Magnus (1789-1812) et Moritz Daniel Oppenheim (1800-1882), des Néerlandais Maurits Leon (1838-1865) et Salomon Verveer (1813-1876), de l’Anglais Salomon Alexander Hart (1806-1881) et, plus tard, du Polonais Maurycy Gottlieb (1856-1879), qui demeurent tous fidèles aux thèmes juifs.

Au xxe s., cette tradition picturale est prolongée en Europe par des petits maîtres tels que Samuel Hirszenberg (1865-1908), William Rothenstein (1872-1945), Hermann Struck (1876-1944), Jehuda Epstein (1870-1945), Maurycy Minkowski (né en 1883). Cependant, les développements de l’art moderne (du fauvisme aux courants actuels) attirent à lui un nombre considérable d’artistes juifs, comme si ceux-ci percevaient intuitivement que leur personnalité, trop longtemps brimée, pourrait mieux se faire valoir dans des expressions plastiques en lutte contre la tradition. L’art abstrait, ouvrant un champ d’activité libre, est pour beaucoup d’entre eux le véhicule idéal d’une inclination latente à transcender la forme naturelle. Soucieux de dégager un langage plastique et craignant de choir dans l’anecdotisme, la plupart des peintres connus éviteront d’aborder les thèmes juifs, à l’exception, toutefois, de Marc Chagall* et de Mané-Katz (1894-1962), de l’école de Paris, qui introduisent dans leur art certains éléments expressifs de caractère juif, comme le mysticisme propre aux hassidim des pays slaves, dont ils sont originaires.