Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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jeunesse (la littérature pour la)

De quand date cette production ? De Verne ou de la comtesse de Ségur ? Faut-il remonter à Perrault ou plus haut encore ? Est-elle un genre ou un registre ? Comment expliquer qu’elle apparaisse aujourd’hui, la plupart du temps, comme une littérature sans auteurs, sous forme de « collections », regroupant des ouvrages essentiellement caractérisés par le type de plaisir qu’ils procurent et reconnaissables à la couleur — blanche, rouge et or, verte ou rose — de leur couverture plastifiée ? Est-ce d’ailleurs une vraie littérature ? Ce terme convient-il à des productions où le souci esthétique n’est pas le critère dominant ? Ces pétitions de principe, choisies entre beaucoup d’autres, expliquent l’indifférence que critiques et historiens, dans beaucoup de pays, opposent à ce secteur de l’édition.



Généralités

Pour lever ces préalables qui gênent la recherche, le plus simple reste de revenir aux données du problème. La sémiologie nous aide à les dégager et permet une définition qui, sans doute, n’est pas exhaustive, mais qui attire notre attention sur quelques problèmes théoriques essentiels.

Un livre pour enfants est un message, une communication historique qui s’établit entre un locuteur (adulte) et un destinataire (le public enfantin) qui n’a pas momentanément la pleine disposition des mécanismes (linguistiques, intellectuels, affectifs, etc.) qui caractérisent en principe l’adulte.

Cet énoncé, pour schématique qu’il soit, nous livre plusieurs traits fondamentaux de cette littérature.
1. Le livre pour enfants est toujours de quelque manière pédagogique. Cette remarque peut surprendre, car, à notre époque, on limite cette littérature au « divertissement », ce qui, d’ailleurs, marque un progrès par rapport au fade didactisme moral qui a prédominé dans ce secteur au xviiie et au xixe s. On peut toutefois entendre le terme pédagogique au sens large. L’enfance est et reste une période de maturation intense et accélérée. Tout ce qui, d’une manière quelconque, frappe l’être humain à cet âge exerce une influence particulière, directe ou par réaction, sur la formation de sa personnalité.
2. Élaborée par des adultes, cette littérature est donc liée aux courants de pensée et aux symboles du monde adulte et, plus spécialement, elle est fonction de l’idée que l’adulte, d’une époque à l’autre, se fait de l’enfant.
3. La littérature pour la jeunesse est une communication parmi d’autres. On la fausse en la séparant des autres sollicitations dont chaque société entoure l’enfant. L’invention de l’imprimerie n’a donc pas fait naître cette littérature ; elle a seulement permis à cette communication de s’exprimer par un canal différent.
4. Une communication n’est jamais à sens unique. Dans cet échange, le rôle des enfants est sans doute réduit, mais ils manifestent malgré tout leur présence par leurs refus et par leurs choix. À côté de la littérature octroyée par les adultes, il faut donc tenir compte de la littérature imposée par les enfants eux-mêmes, et qui est généralement dérobée dans la littérature pour adultes. Elle est évidemment essentielle, puisqu’elle nous renseigne sur leurs goûts et sur leurs besoins.
5. L’enfance est un apprentissage de longue durée qui entraîne une dépendance plus ou moins complète à l’égard de l’adulte. Elle se divise en stades qui correspondent aux phases de sa découverte de la nature et des rapports humains. Ces « classes d’âge », qui ne reflètent qu’imparfaitement celles de l’état civil, exigent des expressions artistiques qui tantôt conviennent aux deux sexes (« âge du conte »), tantôt se différencient plus ou moins nettement (domaine de l’aventure pour les préadolescents, du sentiment pour les lectrices de neuf à douze ans).
Il n’y a donc pas une, mais plusieurs littératures enfantines.
6. Bien que scindée en stades, la jeunesse reste un processus d’ensemble, orienté de manière irréversible. C’est pourquoi cette production, qui a sa cohérence, reste malgré tout une littérature de transition essentiellement destinée à introduire le jeune lecteur à l’expression artistique adulte.
7. La carence des lois scolaires a longtemps maintenu les masses populaires dans l’analphabétisme ; il en est résulté un fréquent amalgame entre le répertoire populaire et le répertoire enfantin.
8. Tout message contient une information. Cette communication qu’est la littérature pour la jeunesse doit nécessairement en renfermer une qui se rapporte au monde réel et à l’investigation que tente le « petit d’homme » pour s’y adapter. Cette littérature souvent définie par référence au rêve et à la féerie ne les utilise vraisemblablement que comme symboles. Cette orientation « réaliste » est particulièrement sensible dans les romans imposés par les enfants eux-mêmes (par exemple dans Robinson) et tend à s’accentuer au fur et à mesure que le public de cette littérature s’élargit.
9. Le « décodage » d’un message suppose chez le destinataire la connaissance du « code » employé ou le pouvoir de le reconstituer, c’est-à-dire une certaine information. L’intérêt qu’un enfant prend à un livre qui lui est destiné est fonction du rapport existant entre l’information qu’il exige et celle qu’il apporte.


Le « domaine enfantin »
Ses annexions successives

La littérature pour la jeunesse proprement dite apparaît dès l’invention de l’imprimerie, mais sous des formes où nous avons quelque peine à l’identifier aujourd’hui : dictionnaires illustrés, traités de morale ou livres de classe dialogués, éditions d’auteurs latins ou grecs ad usum Delphini, excerpta, c’est-à-dire morceaux choisis d’œuvres classiques, expurgés de toute référence à la religion, à la politique ou à la sexualité.

Trois tares désagrègent de l’intérieur cette littérature essentiellement didactique :
— ses auteurs considèrent l’enfant comme un « adulte en miniature » et ont tendance à ignorer ses possibilités de compréhension et ses intérêts spécifiques ;
— le souci instructif qui la lie aux sciences la fait vieillir vite ;
— les principes moraux qu’elle développe sont ceux des groupes sociaux privilégiés.