Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Jeunes Gens en colère (suite)

« Poésie nouvelle »

La célébrité acquise par les romans des plus grands des « dissentients » attire les projecteurs de l’actualité sur la poésie du milieu du siècle. Robert Conquest dans New Lines (Poésie nouvelle, 1956) — suivant Poets of the 50’s, recueilli par Denis Joseph Enright en 1953 — réunit conjointement à ses poèmes et à ceux de John Holloway, Donald Davie, D. J. Enright, Thom Gunn, Elizabeth Jennings, Philip Larkin les vers du début de K. Amis et J. Wain. Ici encore, à travers la variété des individualités et des tendances, on retrouve l’identité des idées directrices. La révolte aussi. Mais plus feutrée. La réaction s’opère surtout contre l’influence du « modernisme », des « grands », E. Pound, T. S. Eliot, W. B. Yeats, même D. Thomas ; et W. H. Auden, W. Empson, maîtres d’un moment pour Wain et Amis, se voient repoussés, avec la poésie intellectuelle.

Dans leur œuvre poétique, Kingsley Amis (A Frame of Mind, 1953 ; A Case of Samples, 1956), John Wain (A Word Carved on a Sill, 1956 ; Weep before God, 1961 ; Wildtrack, 1965) ou Ph. Larkin (The less Deceived, 1955 ; The Whitsun Weddings, 1964) expriment leur dédain à l’égard du beau et noble langage poétique et rejettent non moins vigoureusement, comme Donald Davie (Brides of Reason, 1955 ; A Winter Talent, 1957 ; A Sequence for Francis Parkman, 1961), tout ce qui peut évoquer romantisme et sentimentalisme. Même attitude envers l’obscurité poétique et les raffinements de l’art chez la pourtant très sensible Elizabeth Jennings (A Sense of the World, 1958 ; Song for a Birth or a Death, 1962 ; Recoveries, 1964). Quant au grand voyageur D. J. Enright, il recherche avant tout le choc direct, soit pour libérer sa colère à travers The Laughing Hyena (1953), Bread rather than Blossoms (1956) ou Some Men are Brothers (1960), soit pour en appeler aux hommes (Addictions, 1962 ; The Old Adam, 1965), tandis que James Kirkup s’impose une attitude de stricte objectivité (The Cosmic Shape, 1947 ; The Prodigal Son, 1959). Dans cette réunion disparate d’auteurs sommairement groupés sous le nom de Movement — d’après l’article du Spectator du 1er octobre 1954 —, rien ne parvient à la brutalité des poèmes Fighting Terms (1954), The Sense of Movement (1957) ou My Sad Captains (1961) de Th. Gunn. Tous se trouvent dépassés par la virulence de l’engagement d’un Sillitoe (The Rats and Other Poems, 1960 ; A Falling Out of Love, 1964), la puissance torrentueuse d’un Ted Hughes dans The Hawk in the Rain (1957) ou celle du Group donnant libre cours à la violence directe des sensations (A Group Anthology, 1963). En fait, la poésie ne représente pas le domaine privilégié de l’angry generation. Plus encore que dans le roman, sa grande réussite se situe au plan de la scène.


« Théâtre [...] qui offre une impulsion émotionnelle, vitale aux gens ordinaires, qui abat les barrières de classes, et les nombreux obstacles placés sur la route de la sensation [...] »
(Osborne)

Exutoire idéal, lieu de contact étroit, direct avec le public, le théâtre s’offre comme l’instrument rêvé à la résonance des idées, ce qui confirme le succès de Look back in Anger de John Osborne (né en 1929), dès la première, le 8 mai 1956. « Je veux, écrit-il, faire sentir les gens, leur donner des leçons de sentir. Ils peuvent penser après. » La jeune génération n’envisage pas de donner à sa protestation l’aspect d’un « engagement ». Elle ne pense pas diffuser un « message ». Surtout, elle repousse toute tendance à l’effet. Deux hommes épaulent solidement ce mouvement, George Devine et Kenneth Tynan. Dynamique directeur du Royal Court Theatre, G. Devine accueille la English Stage Company, où auteurs et acteurs collaborent étroitement. K. Tynan, lui, assure la critique dramatique pour Spectator, Evening Standard, Daily Sketch, puis pour l’Observer, de 1954 à 1963, époque où il devient literary manager du National Theatre. Entre-temps paraissent He that plays the King (1950), Bull Fever (1955), Curtains (1961). Osborne, travaillant aussi pour les Woodfall Presentations et auteur du scénario de Tom Jones, se produit d’abord comme acteur avant d’apparaître comme le chef de file des dramaturges « en colère ». Son théâtre, d’une manière parfois désordonnée mais toujours sincère, s’attache à la défense de l’individu. De sa première pièce, Tynan écrit qu’elle « présente la jeunesse d’après guerre dans sa réalité ». Toute une génération, en effet, va se reconnaître dans Jimmy Porter, personnage central de Look back in Anger, constatant que les gens de son époque « ne sont plus capables de mourir pour de bonnes causes [..., car] il n’y a plus de bonnes et belles causes qui demeurent ». À l’image de ce nouveau Childe Harold, sans l’auréole du prestige, les jeunes héros de Osborne, souvent des ratés, violents, âpres, se laissent aller à la dérive, conscients pourtant de leur échec. Tels Archie Rice dans The Entertainer (1957), George Dillon de Epitaph for G. Dillon (1958) ou Bill Maitland d’Inadmissible Evidence (1964). Ils supportent malles préjugés bourgeois, préjugés religieux de A Subject of Scandal and Concern (1960) ou de Luther (1961) et tabous moraux qu’affrontent les incestueux Tim et Jenny de Under Plain Cover (1962) et l’inverti Alfred Redl dans A Patriot for me (1964). Quelques-uns, mieux armés pour réussir, s’abandonnent cependant au démon de l’insatisfaction, comme la Pamela de Time Present (1968), et alors ils offusquent par le spectacle de leur dépravation, comme Leonido de A Bound Honored (1966).

Pourtant, vers la fin apparaissent des personnages au présent fortuné, à l’avenir riche de promesses qui, avec Laurie de The Hotel in Amsterdam (1968), autorisent à imaginer que le « jeune homme en colère » du théâtre finira par rejoindre son frère du roman dans le sein de cet « Establishment » si vilipendé.

Il n’en demeure pas moins qu’Osborne ouvre la voie à de nouveaux dramaturges. Préoccupés au premier chef de livrer une vérité sans fard, on les classe — un peu arbitrairement — sous l’étiquette de kitchen sink school (l’« école de l’évier ») sans tenir compte de leur originalité singulière et de ce qu’apportent de nouvelles forces au théâtre une Ann Jellicoe (née en 1929) [The Knack, 1961 ; Shelley, 1965], Willis Hall (né en 1929) [The Long and the Short and the Tall, 1958], John Arden (né en 1930) [Serjeant Musgrave’s Dance, 1959] et surtout Harold Pinter* (né en 1930) [The Room, 1957 ; The Caretaker, 1959], Arnold Wesker (né en 1932) [Chips with Everything, 1962] ou Shelagh Delaney, rendue célèbre par A Taste of Honey (1958).

D. S.-F.

 Declaration (Londres, 1957). / K. Allsop, The Angry Decade : A Survey of the Cultural Revolt of the Nineteen-Fifties (Londres, 1958). / J. R. Taylor, Anger and After : Guide to the New British Drama (Londres, 1962 ; nouv. éd., 1969).