Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Jaurès (Jean) (suite)

Après l’attentat de Sarajevo (28 juin 1914), alors que la situation s’aggrave dans les Balkans, puis en Europe, Jaurès semble avoir pensé qu’une fois encore la guerre sera écartée. Il essaie de convaincre lés ministres sur lesquels il croit avoir une influence. Devant la décision du gouvernement allemand de proclamer l’« état de danger de guerre », il songe à télégraphier au président des États-Unis, Woodrow Wilson, pour lui demander son arbitrage. Mais, alors qu’au sortir du siège de son journal, l’Humanité (fondé par lui en 1904), il dîne au café du Croissant, rue Montmartre, il est abattu d’un coup de revolver par Raoul Villain, un nationaliste déséquilibré (31 juill. 1914). Reporté à la paix, le procès du meurtrier se terminera par un acquittement (1919).


Le socialisme de Jaurès

Il apparaît comme essentiellement synthétique. Chaque fois que Jaurès se heurte à une opposition, il essaie de la vaincre en allant vers une synthèse plus vaste. Il tente ainsi de réconcilier la démocratie et la lutte de classes, la réforme et la révolution, la nation et l’Internationale. En présence d’un syndicalisme qui affirme par la charte d’Amiens en 1906 sa volonté d’indépendance, il n’engage pas la lutte ; il pense que le syndicalisme, même s’il n’est pas lié organiquement en France, comme dans d’autres pays, au parti socialiste, mène une action qui va dans le même sens. Vis-à-vis des coopératives, il adopte la même attitude. Mieux vaut que les coopératives françaises de consommation réalisent leur unité que de voir deux mouvements rivaux, l’un qui se donne comme socialiste, l’autre qui se réclame de la neutralité.

Pour la même raison, Jaurès ne veut pas d’un socialisme ouvriériste. Sans doute, les ouvriers, qu’il a connus surtout à travers les mineurs d’Albi et les verriers du Tarn, sont-ils dans sa pensée le principal levier de la transformation sociale. Mais le socialisme de Jaurès s’adresse au peuple travailleur dans sa totalité, aux paysans, qu’il connaît bien et dont sa jeunesse a partagé les travaux, ou aux enseignants, sur lesquels il essaie d’agir à travers les articles qu’il donne à la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur. Ce qu’il veut éveiller chez tous, c’est l’humanité. Le nom qu’il a donné à son journal a ce sens profond.

Pour lui, l’individu est la fin suprême. Il faut désagréger tous les systèmes d’idées et toutes les institutions qui entravent son développement. C’est l’individu qui est la mesure de toute chose, de la patrie, de la famille, de la propriété.

Pour y parvenir, il faut secouer la torpeur du grand nombre. Quelques esprits d’élite présentent la possibilité de formes nouvelles de vie. Quelques volontés héroïques s’épuisent à les réaliser. La masse manque de confiance en soi. Il faut l’entraîner.

Quelques phrases de Jaurès

« Le socialisme n’est pas une momie enveloppée de bandelettes doctrinales. Nous avons des idées directrices ; mais nous sommes un parti vivant. »
Dépêche de Toulouse, 11 janvier 1893.

« Marx se trompait. Ce n’est pas du dénuement absolu que pouvait venir la libération absolue. Nul des socialistes d’aujourd’hui n’accepte la théorie de la paupérisation absolue du prolétariat. Ceux des socialistes d’aujourd’hui qui parleront encore de dictature impersonnelle du prolétariat ou qui prévoient la prise de possession brusque du pouvoir et la violence faite à la démocratie, ceux-là rétrogradent au temps où le prolétariat était faible encore et où il était réduit à des moyens factices de victoire. »
Congrès d’Amsterdam, 1904.

« L’avènement du socialisme sera l’accession de toute la classe ouvrière à la civilisation humaine la plus haute et l’accession de la civilisation humaine d’aujourd’hui à une forme infiniment supérieure pour une immense majorité de citoyens. »
Congrès de Toulouse, 1908.


Les adversaires de Jaurès

Au cours de son existence passionnée, Jaurès a été violemment combattu : d’abord par la droite conservatrice et par le patronat, qui lui reprochent d’être un démagogue ; ensuite par les catholiques, qui n’acceptent pas l’appui donné par lui à Waldeck-Rousseau et à Combes ; enfin par certains socialistes, comme Guesde, qui l’accusent de ne pas faire une place suffisante à la lutte de classes. Des hommes comme Georges Sorel et Charles Péguy, si différents à tant d’égards, se trouveront d’accord pour juger sévèrement son attitude après l’affaire Dreyfus. Nombre de patriotes l’accuseront de faire consciemment ou non le jeu de l’Allemagne.

Mais, quand Jaurès disparaît, la Chambre unanime lui rend nommage, d’Albert de Mun à Édouard Vaillant. Par la suite, son exemple et sa pensée seront maintes fois invoqués par ceux qui lui succéderont à la tête du mouvement socialiste, mais souvent dans des sens différents, des communistes, qui maintiennent son nom en tête de l’Humanité, devenu l’organe de leur parti, à Pierre Renaudel, qui, se séparant de la S. F. I. O. en 1933, baptisera le parti qu’il forme « Union Jean-Jaurès », en passant par Léon Blum, qui, dans les circonstances difficiles, déclarera se référer toujours à ce qu’aurait pensé, dit et fait Jaurès.

G. L.

➙ Guesde (Jules) / Internationales (les) / Socialisme.

 A. Zevaès, Jean Jaurès (la Clé d’or, 1951). / M. Auclair, Jean Jaurès (Club des éditeurs, 1959 ; nouv. éd., U. G. E., 1964). / H. Goldberg, Life of Jean Jaures (Madison, Wisconsin, 1962 ; trad. fr. Jean Jaurès, la biographie du fondateur du Parti socialiste (Fayard, 1970). / J. Rabaut, Jaurès et son assassin (Éd. du Centurion, 1967) ; Jaurès (Perrin, 1971). / M. Fonvielle-Alquier, Ils ont tué Jaurès (Laffont, 1968). / G. Lefranc, Jaurès et le socialisme des intellectuels (Aubier, 1968). / M. Le Clère, l’Assassinat de Jean Jaurès (Marne, Tours, 1969).