Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Japon (suite)

Le yamato-e trouve sa plus belle expression dans les rouleaux enluminés qui illustrent poèmes et romans de l’époque. L’exemple le plus accompli est sans doute le Genji-monogatari e-maki (v. 1130), dont les fragments subsistants allient une calligraphie superbe sur papier piqueté d’or aux principaux épisodes du roman, dessinés à l’encre, puis revêtus de couleurs opaques (tsukuri-e). La composition en diagonale se révèle tout à fait originale : les toits enlevés dévoilent la vie à l’intérieur des bâtiments ; les visages sont traités de façon sommaire avec une ligne pour l’œil et un crochet pour le nez. Œuvres de l’e-dokoro (atelier de la Cour fondé avant 886), ces illustrations s’accordent à l’esprit du texte, empreint de mélancolie. Tout différent apparaît le style du Shigisan-engi (seconde moitié du xiie s.), où l’accent porte sur la ligne. Sur un fond de paysage continu, les personnages sont saisis en plein mouvement et leurs expressions frisent la caricature. Cette tendance semble correspondre à un renouveau de l’art du portrait, représenté à la fin du xiie s. par Fujiwara Takanobu*, peintre des chefs militaires rivaux qui se disputent un pouvoir affaibli.


Le réalisme vigoureux de l’époque Kamakura (1185-1333)

En 1185, le clan des Minamoto triomphe. Son chef Yoritomo établit un gouvernement militaire (bakufu) à Kamakura, mais Kyōto garde son prestige culturel. Les relations avec le continent reprennent, et de nouvelles techniques chinoises servent pour la restauration des temples de Nara, ruinés pendant les guerres civiles. La plastique du viiie s. inspire les œuvres du grand sculpteur Unkei* et de son école. Cependant, sous l’influence de la Chine des Song*, les statues s’animent d’un mouvement plus intense et d’un réalisme plus violent. Cette recherche d’une expression plus humaine imprègne également les beaux portraits peints ou sculptés des religieux ou des seigneurs du temps.

À la fin du xiie s., de retour de Chine, le moine Eisai introduit au Japon la doctrine du bouddhisme chan (tch’an* ; en jap, zen), qui séduit les guerriers par la vie frugale de ses adeptes et la simplicité de ses cérémonies. Les monastères zen perpétuent le kara-yō, style sobre et dépouillé d’origine chinoise, qui s’oppose aux formules architecturales de la période Heian, ou wa-yō. En peinture, le yamato-e joue un rôle prépondérant, et les e-maki se multiplient. Sur les rouleaux, fourmillant de détails pris sur le vif, le goût narratif des Japonais s’exprime dans les sujets les plus variés : récits légendaires ou historiques, illustrations terrifiantes des enfers ou des maladies, biographies de moines célèbres.


L’époque Muromachi (1333-1573) : influence du zen

Ashikaga Takauji prend le titre de shōgun et s’établit à Kyōto, dans le quartier Muromachi. Grands seigneurs adonnés aux plaisirs artistiques, les Ashikaga se font construire au milieu de jardins des résidences élégantes qui deviennent le centre d’une culture nouvelle, alliant à l’inspiration des guerriers les mœurs raffinées de la capitale impériale.

Conseillers préférés des Ashikaga, les moines zen fixent le rituel de la cérémonie du thé et mettent à l’honneur une esthétique de la simplicité dont l’influence persistera jusqu’à nos jours. La décoration intérieure des maisons se transforme, faisant du tokonoma (niche ménagée dans un mur où sont présentés une peinture verticale et un arrangement de fleurs) l’élément principal de la pièce de réception. Les moines sont également chargés du commerce avec la Chine, d’où ils rapportent de nombreux objets d’art. Ainsi naît au Japon le sumi-e, peinture à l’encre qui s’inspire des rouleaux Song et Yuan. Des moines-peintres, tel Shūbun dans la première moitié du xve s., travaillent à la cour des shōgun. Ils transposent les paysages chinois sur les portes à glissières (fusuma) et les paravents, dont le format, plus vaste, donne aux compositions une valeur décorative. À la fin du xve s., Sesshū* devient le maître incontesté de la technique du lavis (sui-boku). L’atelier shōgunal passe ensuite aux mains de la famille Kanō*, tandis que le vieil e-dokoro impérial perpétue avec les Tosa* les formules du yamato-e.

Depuis la fin du xiiie s., la sculpture bouddhique a perdu toute vitalité. Seul le , drame qui atteint alors sa forme définitive, suscite la création de masques d’une étrange beauté, à l’expression émouvante ou terrifiante.


L’époque Momoyama (1573-1616) : l’art grandiose des châteaux forts

Après cent ans de guerres civiles, des militaires tentent de réunifier le pays : Oda Nobunaga, puis Toyotomi Hideyoshi et, à la mort de celui-ci (1598), Tokugawa Ieyasu, fondateur du shōgunat d’Edo (auj. Tōkyō*). S’inspirant de l’Occident, ces dictateurs se font construire de véritables forteresses, dont la décoration intérieure, luxueuse, est confiée aux peintres Kanō. Eitoku*, en particulier, domine son temps, et seuls des artistes de forte personnalité comme Hasegawa Tōhaku (1539-1610) se dégagent de son emprise. Cependant, dans ces milieux brillants, Sen no Rikyū (1520-1591), un célèbre maître du thé*, reste fidèle à la simplicité rustique et favorise la production de bols à thé à l’aspect fruste, aux belles glaçures noires, rousses ou grises (raku).

À la suite des bouleversements sociaux de la fin du xvie s., la classe marchande s’enrichit, et son prestige ne cesse de croître. Son goût pour l’exotisme apparaît dans les paravents des « Barbares du Sud », qui représentent les Portugais installés depuis 1545 environ dans le sud du Japon. La peinture de genre, évoquant des scènes de la vie populaire, connaît alors un immense succès. C’est à partir de ses thèmes que se développeront au cours de l’époque Edo l’ukiyo-e* et l’estampe.


L’époque Edo (1616-1868) : le repli du Japon

Le régime féodal des Tokugawa assure au Japon deux siècles et demi de paix. Edo (auj. Tōkyō) s’impose comme centre politique, mais Kyōto maintient sa haute tradition de culture. Au sein d’une aristocratie de cour désœuvrée, l’art de peindre se renouvelle par un retour aux sources. Calligraphie et décorateur, Kōetsu* s’inspire du style élégant de l’époque Heian pour transcrire des poésies sur les rouleaux peints par Sōtatśu*. Se réclamant de ces deux maîtres, Kōrin* se distingue surtout par ses croquis pleins de fantaisie pour les céramiques, les laques ou les textiles ; son frère Kenzan est un potier qu’inspire le sentiment de la nature.