Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Japon (suite)

Conclusion

La géographie du Japon au troisième quart du xxe s. exprime ainsi un immense effort de production qui est à l’origine de transformations spectaculaires de l’archipel. Bien des problèmes demeurent toutefois, le moindre n’étant pas la présence d’un vaste secteur encore archaïque de l’économie, rural et industriel prémoderne. L’État en effet entretient à grands frais la masse paysanne en achetant la totalité de la récolte de riz, tandis qu’une fraction importante de la classe ouvrière Subit encore des conditions de travail et de salaires primitives en dépit de l’élévation générale du niveau de vie. Une planification fort souple préside à cet effort. Au plan dit « de redressement » (1948-1952) a ainsi succédé un plan de cinq ans (1956-1960) et un plan de dix ans (1961-1970) prévoyant, et ayant atteint, le doublement du revenu national. Il faut encore liquider en douceur les entreprises marginales, contrôler sévèrement les investissements afin d’éviter une surchauffe de l’économie. Une forte épargne continue d’alimenter ceux-ci, et l’État paraît devoir ne pas la décourager. De riches perspectives s’offrent en effet aujourd’hui au pays : relations commerciales plus étendues avec l’U. R. S. S., ouverture, quelque jour, du marché chinois et, surtout, demande inlassable du marché intérieur, qui constitue actuellement le seul marché de consommation de type moderne en dehors des nations blanches.

Il faudrait enfin, mais ceci semble impossible, équilibrer harmonieusement le développement du pays. La dissymétrie de plus en plus accusée selon laquelle il s’opère inquiète les dirigeants. Selon les prévisions des experts, si l’évolution actuelle se poursuit, les neuf dixièmes des Japonais seront citadins en 1985, Tōkyō seule en abritant 25 millions et Ōsaka 15, tandis que les trois quarts des habitants demeureront dans la mégalopolis. Divers projets et plans visent à encourager les investissements dans les zones de l’intérieur et de l’« envers ». Un des moyens sur lesquels on compte est le lancement de voies ferrées ultra-rapides, du type du Shinkansen actuel, sur tout l’archipel ; on attend aussi beaucoup d’un réseau d’autoroutes. Enfin, le problème des nuisances se pose au Japon avec une acuité sans doute unique au monde, rançon de la prospérité actuelle et grave menace pour l’avenir. Les dirigeants s’en occupent activement.

J. P.-M.

➙ Asie de là mousson / Hiroshima / Hokkaidō / Honshū / Kita-kyūshū / Kōbe / Kyōto / Kyūshū / Nagoya / Ōsaka / Sapporo / Shikoku / Tōkyō / Yokohama.

 M. Moreau, l’Économie du Japon (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1959 ; 5e éd., 1972). / H. Brochier, le Miracle économique japonais (Calmann-Lévy, 1965). / G. T. Trewartha, Japan, a Geography (Madison, Wisconsin, 1965). / M. Derruau, le Japon (P. U. F., coll. « Magellan », 1967 ; 2e éd., 1970). / M. Schwind, Das japanische Inselreich, t. I : Die Naturlandschaft (Berlin, 1967). / J. Pezeu-Massabuau, Géographie du Japon (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1968). / H. Hedberg, Den Japanska utmaningen (Amsterdam, 1970 ; trad. fr. le Défi japonais, Denoël, 1970). / H. Kahn, The Emerging Japanese Superstate, Challenge and Response (Englewood Cliffs, N. J., 1971 ; trad. fr. l’Ascension japonaise, Laffont, 1971). / Le Japon (Larousse, 1971).


La littérature japonaise

Coupé du continent par une mer difficile, le Japon avait un retard considérable sur l’Empire chinois, lorsque, dans les premiers siècles de notre ère, des contacts s’établirent entre les deux pays. L’archipel, politiquement morcelé, ignorait toute écriture, et sa culture était encore au stade ennéolithique. Ses habitants, et principalement les dynastes du Yamato, qui avaient entrepris la construction d’un embryon d’État, comprirent très vite l’intérêt qu’il y avait pour eux à emprunter systématiquement tous les éléments de la civilisation continentale, à commencer par l’écriture, véhicule de la pensée et instrument de gouvernement. Dans un premier temps, ils usèrent donc de la langue chinoise et de son moyen d’expression, le système des idéogrammes. C’est ainsi que cette langue, étrangère à double titre, car nulle autre, peut-être, n’est plus éloignée du japonais par ses structures morphologiques et syntaxiques, devint et resta pendant des siècles la langue juridique et administrative de l’État insulaire, jouant un rôle analogue à celui du latin dans les royaumes d’Occident. Et, de même que le latin, le chinois était aussi la langue religieuse : les textes bouddhiques parvinrent en effet au Japon, à partir du vie s., dans leur version chinoise.

Langue d’église et langue de gouvernement, le chinois suffit aux besoins des Japonais tant que l’écriture resta l’apanage d’un petit groupe de gouvernants et de moines, étroitement liés à la cour du Yamato. C’est dans cette langue que sont rédigés les plus anciens écrits conservés, œuvres du prince-régent Shōtoku-taishi (572-621 ou 622), à savoir la Constitution en dix-sept articles et plusieurs commentaires de sūtra.


La fondation de Nara et les grandes compilations

Le gouvernement central, dont Shōtoku-taishi avait affermi les bases, exigeait une capitale. Celle-ci fut fondée en 710 dans la plaine du Yamato, sur le modèle de la métropole de l’empire Tang (T’ang), alors à son apogée. Il convenait maintenant d’affirmer, au-dedans et au-dehors, la légitimité d’un pouvoir qui se voulait l’égal du puissant voisin, avec qui il entretenait des rapports fructueux. À ces objectifs répond la rédaction d’une double relation des traditions nationales. Dès l’année 682, l’empereur Temmu avait ordonné à un certain Hieda no Are, qui appartenait, semble-t-il, à la corporation des Katari-be (« diseurs »), détenteurs des traditions orales, de faire la synthèse des tables généalogiques et des faits mémorables, afin que « les erreurs fussent redressées ». Ce dessein sera repris et mené à bien trente ans plus tard, pour le compte de l’impératrice Gemmyō et sous le contrôle du prince Toneri, troisième fils de Temmu, par Ō-no Yasumaro, qui rédigea en 712, en collaboration avec Hieda no Are, les Notes sur les faits du passé (le Kojiki). Un premier livre, cosmogonique, retrace les mythes de la création du monde et, par une suite de généalogies divines, rattache la dynastie aux dieux créateurs en passant par la divinité souveraine, Amaterasu-ō-mikami, la « grande divinité qui illumine le ciel », en d’autres termes le Soleil. La légitimité de droit divin du monarque étant ainsi établie, les deux livres suivants se présentent comme une chronique des règnes, de Jimmu, premier « souverain humain », jusqu’à Suiko (593-628). Somme des mythes et des traditions nationales, affirmés face à la culture sino-bouddhique, le Kojiki se devait d’user de la langue du pays ; son rédacteur y parvint par divers procédés, dont l’ingéniosité n’a d’égale que la complexité, grâce, notamment, à l’emploi de certains idéogrammes pour leur seule valeur phonétique, sans tenir compte de leur signification.