Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Japon (suite)

Qu’il s’agisse de ces cités en gestation ou des baies des grandes métropoles elles-mêmes, partout une évolution semblable se déroule, rapidement aujourd’hui : la rizière se voit progressivement grignotée et reçoit des files d’appartements dont les blocs monotones recouvrent des dizaines d’hectares, à moins qu’ils n’escaladent les pentes des collines rasées dès que la place manque vraiment. Du côté de la mer, les rivages sont doublés par de longues digues bétonnées, à l’abri desquelles s’édifient, entre la mer et l’ancien paysage rural, des complexes industriels de grandes dimensions. La baie de Tōkyō, celles de Suruga et de Nagoya, celle d’Ōsaka, depuis la région de Sakai jusqu’au-delà de Kōbe sur environ 60 km, se voient ainsi régularisées et la ligne du rivage se hérisse de la haute silhouette des hauts fourneaux et des tours de cracking. Sur la mer Intérieure, le mouvement est presque aussi rapide, et des horizons semblables y remplacent les pittoresques rivages. Partout un monde nouveau naît ainsi, bloqué entre la mer et la colline, monde mi-rural, mi-urbain où paysans allant à leur rizière et ouvriers gagnant leur atelier se croisent quotidiennement sur les chemins.

• Aspects démographiques. La mégalopolis japonaise groupe près de la moitié des habitants de l’archipel. Cet essor industriel attire en effet sur ces rivages des migrants venus des autres régions. Ces déplacements sont de deux sortes ; les uns, déjà anciens, portent les habitants des régions purement rurales de l’intérieur ou de l’« envers » vers les cités riveraines du Pacifique, où les attirent un niveau de vie moyen plus élevé, des salaires supérieurs qui constituent ainsi le principal moteur de ces déplacements. Le pourcentage de ces immigrants dans la population s’élève ainsi à 6 pour Tōkyō, 5,5 pour Yokohama et Ōsaka et 3,5 pour Nagoya.

Plus récemment, toutefois, les conditions ont évolué : une partie des migrants qui se dirigeaient vers les métropoles se déverse aujourd’hui dans les régions intercalaires encore peu urbanisées et dont le revenu moyen demeure par conséquent plus faible. Plus encore que la différence de revenu, c’est la vitesse d’industrialisation qui l’emporte comme facteur déterminant ; bon nombre de jeunes travailleurs quittent même les métropoles aux banlieues enfumées et dont l’air est devenu singulièrement malsain (Kawasaki par exemple) pour se diriger vers les régions « jeunes » où le calme, des logements clairs et aérés compensent de plus en plus à leurs yeux l’attrait des seuls salaires. Un double mouvement se dégage donc au sein de ces migrations internes japonaises : à la « descente » traditionnelle des montagnes vers les rivages du Pacifique se superposent des déplacements longitudinaux de ville à ville, voire de ville à région rurale en cours d’urbanisation.

Dans ces cités nouvelles loge ainsi une population jeune, qui ne se rend guère à la ville que le dimanche, à moins qu’elle ne préfère cultiver un lopin de terre. L’encadrement administratif suit, avec un certain décalage, et d’anciens villages deviennent ainsi bourgs, puis villes sans posséder de centre réellement structuré. Plus que la communauté du quartier ou de l’immeuble, ce qui joue ici le rôle de noyau structurant au sein de ces nouvelles collectivités est la « kaisha », la société industrielle qui fait venir, emploie et loge chacun. Le migrant de fraîche date y trouve le cadre social qui est le sien : relations personnelles, hiérarchie au sein d’une communauté où sa place est reconnue et fixée par l’usage.

• Aspects économiques. Ces nouvelles zones de peuplement sont essentiellement des foyers manufacturiers, créés de toutes pièces aux dépens de la mer avec d’énormes moyens et à une échelle toujours gigantesque. Leur établissement en des régions jusque-là uniquement rurales ou inexistantes nécessite en effet des moyens financiers considérables que seules peuvent fournir les grandes entreprises du pays, notamment les anciens zaibatsu : Mitsui, Mitsubishi, Sumitomo, Idemitsu (pétrole), dont justement les installations se trouvent à l’étroit. La liste des entreprises installées dans un ensemble comme celui de Mizushima le montre bien ; on trouve ici côte à côte : Mitsubishi Sekiyu, Mitsubishi Kasei, Nihon Gōsei Kagaku, Nihon Polymer, Nihon Carbide ; sur la rive d’en face, le complexe de Niihama groupe : Sumitomo Kagaku, Sumitomo Kinzoku Kōzan, Sumitomo Kyōdō Denryoku. Dans le cas de Mizushima, le plus fréquent, il s’agit de plusieurs sociétés, rattachées aux groupes de ce nom mais structuralement indépendantes, qui se sont réunies pour financer les frais de l’installation. Dans le cas de Niihama, au contraire, toutes les sociétés relèvent d’un seul groupe (Sumitomo), mais elles aussi sont entièrement autonomes et ne se sont associées que pour des raisons de financement du complexe. Il faut en effet choisir tout d’abord (soit sur les rives vacantes des baies des métropoles, soit dans leur intervalle) l’emplacement jugé le plus favorable du point de vue de la situation, des fonds marins, de l’approvisionnement en eau et en énergie, secondairement (car l’essentiel des transports se fait par mer) des relations avec l’hinterland. Il faut ensuite financer les énormes travaux de génie civil nécessaires et ceux d’adduction d’eau douce (dont la rareté pose toujours un grave problème, la distillation d’eau de mer demeurant fort chère). Ces ensembles d’industries lourdes s’appellent en japonais « combinats », ce mot ne sous-entendant aucune dépendance de droit ou de fait entre les entreprises établies sur un même site, mais une simple mise en commun d’installations coûteuses. Il faut ensuite approfondir les chenaux jusqu’aux quais afin que tankers et minéraliers puissent accoster directement, cela surtout dans la mer Intérieure, dont les fonds ne peuvent, sans dragages, accepter les gros navires modernes.

Il s’agit ainsi uniquement d’un effort de la volonté humaine, appliquée à l’aménagement de nouvelles, zones industrielles aux points de l’archipel jugés les plus favorables. Les décisions sont prises en commun par les entreprises intéressées, et, par exemple, le choix du site de Mizushima a demandé plusieurs années d’études. Les industries ainsi établies sont uniquement lourdes : sidérurgie et pétrochimie surtout, celles qui demandent le plus d’espace et qui représentent aujourd’hui l’avenir économique du pays. En peu de pays modernes, une vue globale des besoins de l’économie a conduit à une conquête aussi systématique des rivages.