Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Jacques Ier (suite)

Les premières années du règne anglais (1603-1612)


Le roi et le Parlement

Élisabeth Ire avait su éviter l’affrontement avec le Parlement en s’abstenant de prendre des positions théoriques trop tranchées et en « préparant » soigneusement la composition de la Chambre des communes. Jacques Ier fit l’inverse : or, il héritait de 400 000 livres de dettes et, comme il avait conclu dès 1604 la paix avec l’Espagne, il était en fort mauvaise position pour demander des subsides au Parlement. En outre, il se révéla très vite fort dépensier, qu’il s’agisse de satisfaire les appétits de ses favoris écossais ou d’édifier de magnifiques constructions (le palais de Whitehall à Londres, la bibliothèque Bodléienne à Oxford, l’orphelinat d’Édimbourg, etc.). Le débat entre un souverain à court d’argent et arrogant et un Parlement décidé à faire reconnaître ses prérogatives s’engageait donc dès le début : lorsque, pour des raisons diverses, deux députés, Thomas Shirley et sir Francis Goodwin, ne purent occuper leurs sièges au début de la session de 1604, les Communes se récrièrent et, dans une Apologie, affirmèrent solennellement leurs privilèges. Jacques Ier dut proroger le Parlement.

La session de 1605-06 fut certes beaucoup plus paisible en ce qui regardait le débat du roi et du Parlement, en raison de l’émotion soulevée par l’attentat de Guy Fawkes (1570-1606). Mais, en 1606 même, le débat reprit, lorsqu’une décision de justice (la condamnation d’un marchand, John Bate, qui refusait de payer la taxe de poundage) fournit au roi un assez bon expédient financier. Robert Cecil, comte de Salisbury (1563-1612), qui, nonobstant le changement de règne, était resté au pouvoir, prépara un nouveau tarif du poundage destiné à assurer des rentrées supplémentaires à la Couronne. Dès lors, l’opposition entre les deux parties se fit encore plus tranchée : le Parlement se refusa à voter d’autres subsides, tandis que certains théoriciens de la monarchie absolue, comme John Cowell (1554-1611), n’hésitèrent pas à mettre le roi au-dessus de la loi. En 1610, on put croire à une entente : une sorte de « Grand Contrat » paraissait pouvoir être conclu entre le roi et le Parlement. Mais, en 1611, Jacques Ier, à bout de patience, dissolvait le Parlement.


La politique religieuse

C’est que les questions financières n’étaient pas les seuls points de désaccord entre le roi et le Parlement. Dès 1604, Jacques Ier, l’ennemi des presbytériens écossais, avait coupé les ponts avec les puritains anglais, en refusant à la conférence d’Hampton Court la « Pétition des Mille », qui réclamait la tolérance en faveur des puritains. Lorsqu’en novembre 1605 on découvrit un complot, œuvre de catholiques comme Robert Catesby (1573-1605), Guy Fawkes et le jésuite Garret, pour faire sauter la grande salle du Parlement, une sorte d’unité factice se reconstitua pour voter et mettre en œuvre une législation anticatholique (1606).

Mais, très vite, Jacques Ier, en Écosse comme en Angleterre, réaffirma ses positions. En Angleterre, il favorisa la tendance épiscopalienne, s’appuyant sur des prélats tels que les archevêques de Canterbury Richard Bancroft (1544-1610) et George Abbott (1562-1633), et l’évêque d’Ely Lancelot Andrewes (1555-1626). En Écosse, il imposa un épiscopat nommé par lui (1612) et introduisit des rites jusque-là refusés (comme la confirmation). Une telle politique était lourde de conséquences : en Écosse, elle fit s’accumuler les rancœurs, et Jacques ruina ainsi l’œuvre qu’il avait lui-même accomplie ; en Angleterre, elle provoqua l’alliance du puritanisme et de l’opposition constitutionnelle à la monarchie, qui devait se révéler si dangereuse sous le règne de Charles Ier.


Jacques Ier et les favoris au pouvoir (1612-1625)

Au reste, l’année 1612 marqua un tournant dans le règne : Salisbury, le vieux ministre d’Élisabeth Ire, mourut, ainsi que le prince héritier, Henri de Galles, fils de Jacques Ier et de la reine Anne de Danemark, dont la popularité était très grande. Dès lors, plus rien ne s’opposa à ce que les favoris du souverain prissent sur lui une influence démesurée : Somerset (de 1612 à 1615), puis Buckingham dominèrent le souverain et le pays.


Somerset (1612-1615)

La carrière de Robert Carr (v. 1590-1645), ce jeune Écossais devenu par la faveur du roi vicomte Rochester, puis comte de Somerset, est tout à fait significative. Autour de lui s’était regroupé un important parti aristocratique, mené par la famille Howard. Somerset était d’ailleurs fort amoureux de la belle Frances Howard, comtesse d’Essex : on s’empressa, au cours d’un scandaleux procès qui contribua à discréditer les évêques anglicans, de faire divorcer Frances Howard pour qu’elle puisse épouser Somerset. Mais, peu après, on apprit que la comtesse avait fait empoisonner un ami de son nouveau mari, sir Thomas Overbury (1581-1613), alors qu’il était à la Tour de Londres : son seul crime était d’avoir déconseillé à Somerset de se marier ! Un second procès, encore plus scandaleux que le premier, s’ensuivit : le roi se contenta de sauver la tête des époux ; car une étoile montante reléguait alors Somerset au second plan, celle de George Villiers (1592-1628), plus tard duc de Buckingham. La faction Cecil prenait avec lui le pas sur la faction Howard.


Buckingham (1615-1625)

La personnalité de Buckingham était beaucoup plus attachante que celle de Somerset : à la frivolité de ce dernier, il opposait une volonté affirmée d’être un homme d’État, bien qu’à vrai dire il n’en était guère capable... Mais avec lui participaient au gouvernement deux hommes de très grande valeur, Lionel Cranfield (1575-1645), comte de Middlesex, un remarquable financier, et le chancelier Francis Bacon*. Ce sont ces deux hommes qui donnèrent à Jacques Ier la possibilité de gouverner efficacement l’Angleterre. Au reste, de 1612 à 1624, les moyens auxquels le souverain eut recours ne changèrent guère.

Dans le domaine financier, il ne pouvait toujours pas compter sur le Parlement : un essai pour faire appel à lui en 1614 se solda par un cuisant échec. Aussi fallut-il intensifier la fiscalité indirecte et avoir recours à divers expédients. En 1614 et en 1622, le souverain exigea des « dons gratuits ». Il eut surtout recours à la vente de monopoles et de privilèges qui donnèrent lieu à de scandaleux excès (affaire Mompesson) ou se révélèrent très dangereux pour l’économie anglaise (telle l’interdiction faite, à l’instigation de sir William Cockayne, d’exporter des textiles qui ne soient pas entièrement finis).