Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Italie (suite)

Le Liégeois Johannes Ciconia, le premier, séjourne en Italie de 1338 jusqu’à sa mort à Padoue en 1411. Après lui viendra Guillaume Dufay* chez les Malatesta et à Rome. Plus tard, on verra à Milan Alexander Agricola, Loyset Compère, Giovanni Martini et Josquin Des* Prés, à Florence Heinrich Isaak, à Ferrare Jacobus Obrecht, à Naples Johannes Tinctoris. Tous ces Franco-Flamands, dont la supériorité dans le domaine de la technique contrapuntique était indéniable, ont dominé pendant plus d’un siècle le champ de la musique sacrée en Italie, et il est bien significatif, à ce sujet, de constater que, pour la consécration de la cathédrale de Florence en 1436, c’est un motet de Dufay composé spécialement pour cette occasion qui a été exécuté. Cependant, il serait inexact de croire que cette invasion ultramontaine a stérilisé toute manifestation artistique nationale. À côté des milieux ecclésiastiques et des cours princières, particulièrement ouverts aux influences étrangères, la bourgeoisie et les cours plus modestes sont restées fidèles à un art tout imprégné de veine populaire et qui, représentant au xve s. l’élément indigène dressé en face de la toute-puissante polyphonie étrangère, refuse vigoureusement tout l’arsenal de la science nordique. Malheureusement, les premiers monuments de cet art nouveau ne nous sont pas parvenus, surtout parce qu’il s’agissait d’un art tout d’improvisation, dépendant avant tout des qualités musicales de l’exécutant. On a ainsi perdu les giustiniane du patricien vénitien Leonardo Giustinian (v. 1338-1446), et il ne nous reste aucune trace du talent d’improvisateur de Serafino Aquilano (1466-1500), poète, compositeur et chanteur au luth qui se faisait applaudir à la cour d’Isabelle d’Este à Mantoue, où, à la fin du xve s., poètes et musiciens vont collaborer au réveil de la musique nationale en Italie. C’est alors qu’apparaît une nouvelle forme de chanson savante, la frottola, le plus souvent écrite à quatre voix et qui se chantait soit a cappella, soit à voix seule accompagnée au luth ou à la viole. Parmi la quarantaine de musiciens qui ont composé des frottole, si l’on rencontre quelques Franco-Flamands comme Josquin ou Compère, la grande masse est formée d’Italiens, tous originaires du Nord, tous nés vers 1470 et disparaissant aux environs de 1530, parmi lesquels méritent surtout d’être retenus Bartolomeo Tromboncino et Marchetto Cara, qui ont beaucoup contribué à l’évolution qui a mené de la frottola au madrigal. À Florence, Laurent le Magnifique avait mis en honneur les canti carnascialeschi, qui se chantaient sur les chars le jour du Carnaval et qui adoptèrent la même écriture que la frottola.


Le xvie siècle

Le xvie s. s’ouvre en Italie avec le premier imprimé musical, Harmonice Musices Odhecaton, sorti en 1501 des presses d’Ottaviano Petrucci à Venise et à la suite duquel l’imprimerie va se répandre dans de nombreuses autres villes. C’est à Rome, chez Valerio Dorico, qu’est imprimé en 1530 le premier recueil de madrigaux, genre nouveau, né d’un « retour à Pétrarque » et surtout d’une conjonction heureuse entre le style mélodique italien et l’écriture contrapuntique savante franco-flamande. Cultivé d’abord à la fois par les musiciens du Nord vivant en Italie (Philippe Verdelot, Jacob Arcadelt, Adriaan Willaert, Cyprien de Rore) et par les Italiens comme Sebastiano Festa, le madrigal va se répandre de plus en plus chez ces derniers pour devenir le genre le plus accompli de la musique du pays, culminant avec Luca Marenzio (v. 1553-1599), Carlo Gesualdo* et Claudio Monteverdi*. Dans la seconde moitié du xvie s. apparaît le « madrigal dramatique », où s’illustrent Alessandro Striggio (v. 1535 - v. 1587), Giovanni Croce (1557-1609), Adriano Banchieri (1568-1634) et surtout Orazio Vecchi (1550-1605) qui atteint le sommet du genre avec son Amfiparnaso (1597).

Dans le domaine de la musique religieuse, on voit, dès le début du siècle, à côté des musiciens franco-flamands, surgir des compositeurs autochtones convertis au contrepoint savant, tels que Franchino Gaffurio (1451-1522) à Milan ou Giovanni Spataro (1459-1541) à Bologne et aussi Costanzo Festa (v. 1480 - v. 1545), qui doit être considéré comme le plus grand compositeur italien de la haute Renaissance. À Venise, sous l’impulsion de Willaert, maître de chapelle à Saint-Marc depuis 1527, l’école vénitienne avait acquis un éclat incomparable et sera illustrée à la fin du siècle par les deux Gabrieli*. À Rome, la chapelle papale était devenue la plus brillante d’Italie ; même si le concile de Trente n’émit pas de règles précises concernant la musique, on peut dire, cependant, que Palestrina*, en allégeant le contrepoint complexe hérité des Franco-Flamands, n’en satisfit pas moins aux principes de la Contre-Réforme, qui réclamait avant tout une parfaite intelligibilité des paroles. À sa suite, Vincenzo Ruffo (v. 1510-1587), Giovanni Maria Nanino (1544-1607), Felice Anerio (v. 1560-1614), Costanzo Porta (1529-1601) suivront la même voie.

Cependant, la musique instrumentale, inaugurée dès 1400 en Italie par les pièces de clavier copiées dans le Ms. 1117 de Faenza, prit son essor au début du xvie s. Les recueils pour le luth sont les premiers imprimés (Francesco Spinacino, 1507 ; Giovanni Ambrogio Dalza, 1508 ; Franciscus Bossinensis, 1509-1511), bientôt suivis par les livres d’orgue de Marco Antonio da Bologna (1517), puis de Giulio da Modena (1540), de Girolamo Cavazzoni (1543) et, à la fin du siècle, de Claudio Merulo. À côté de transcriptions de chansons, on y rencontre les nouvelles formes du ricercare et de la toccata. C’est à Venise que la musique instrumentale atteignit son sommet avec Giovanni Gabrieli*, qui emploie jusqu’à trente-deux instruments dans certaines de ses Canzone, où il adopte la technique des doubles-chœurs vocaux (cori spezzati), déjà employés par Willaert aux deux tribunes de Saint-Marc.


Le xviie siècle

Malgré la domination espagnole, qui met un frein à la vie tumultueuse des communes, ce siècle de stagnation et de crise économique est riche en innovations, parmi lesquelles s’inscrit au premier chef la création du théâtre musical, qui en constitue l’événement le plus important. Car, si la musique avait déjà trouvé sa place dans des spectacles théâtraux, cela ne constituait que ce que nous appelons une musique de scène, alors qu’en ce début du xviie s. il s’agit d’un drame spécialement conçu pour la musique, d’un véritable opéra, fondé sur le récitatif chanté tel que le concevait par exemple Vincenzo Galilei (v. 1520-1591), membre de la Camerata de’ Bardi à Florence et qui, dans son célèbre Dialogo della musica antica e della moderna (1581), combattait le contrepoint pour préconiser le chant monodique à l’imitation des Anciens. Le grand essor du drame en musique prit son départ en 1597 avec la Dafne de Jacopo Peri (1561-1633) [maintenant disparue], suivie en 1600 de son Euridice et de celle de Giulio Caccini (v. 1550-1618), toutes représentées à Florence, tandis qu’à Mantoue on donnait en 1608 la Dafne de Marco da Gagliano (v. 1575-1642). C’est à Monteverdi* qu’il appartiendra de découvrir toute la force dramatique de la monodie accompagnée et de donner au récitatif sa forme artistique. Sa supériorité sur ses contemporains se marque dès son premier opéra, Orfeo, représenté à Mantoue en 1607 et que l’auteur lui-même fit ensuite entendre dans d’autres villes du nord de l’Italie. Cependant à Rome, où, en 1600, l’exécution de la Rappresentazione di anima e di corpo du Florentin Emilio de’ Cavalieri (v. 1550-1602) avait introduit le stile rappresentativo, les fastueux mécènes de la famille Barberini avaient accueilli avec faveur ce genre nouveau et ouvert dans leur palais un théâtre semi-public de trois mille places, inauguré en 1632 par le Sant’Alessio de Stefano Landi (v. 1590-1639). À Venise, l’ouverture du Teatro San Cassiano (1637), qui inaugurait l’ère du théâtre public payant, allait contribuer à faire de l’opéra le centre de la vie nationale italienne et marqua le départ d’une longue carrière du théâtre lyrique dans cette ville, où les salles se multiplièrent et où l’opéra acquit son caractère définitif avec alternance de récitatifs et d’arie, ceux-ci devant rapidement prendre le pas sur ceux-là. À Naples, l’opéra ayant été introduit vers le milieu du siècle et des saisons régulières ayant été organisées à partir de 1668, Francesco Provenzale (v. 1627-1704) inaugura avec talent cette école napolitaine, qui tiendra le premier rang au siècle suivant.