Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Italie (suite)

Le xxe siècle

Le fascisme a moins divisé la culture italienne contemporaine qu’il ne l’a empêchée de se constituer comme telle. Pavese écrit en 1949 : « La culture italienne aujourd’hui n’existe pas : il existe une culture européenne, voire mondiale ; et l’on ne peut dire un mot valable que si l’on a digéré tout le contemporain. » Et pas plus qu’il n’existait de culture italienne, il n’existait avant la chute du fascisme de société littéraire italienne. La prolifération des revues littéraires au début du siècle et entre les deux guerres ne doit point faire illusion à cet égard : l’irrationalisme d’Il Leonardo (1903-1907), l’esthétisme de La Voce (1908-1916), le futurisme de Lacerba (1913-1915), le classicisme de La Ronda (1919-1923), le modernisme de Novecento (1926-1929), le nationalisme de l’organe fasciste Il Selvaggio (1924, chantre de « Strapaese ») ne touchent guère que des cercles restreints, sporadiques, et suscitent des polémiques aussi tapageuses qu’éphémères. Il en est de même du feu de paille du futurisme*, dont Filippo Tommaso Marinetti (1876-1945) rédige le premier manifeste dans le Figaro du 20 février 1909.

Étrange paradoxe au demeurant que cette naissance « française » d’un mouvement qui allait bientôt proclamer son nationalisme, puis son adhésion au régime mussolinien, tout en ayant hors d’Italie des répercussions de portée internationale. Une contradiction fondamentale est à l’origine de ce paradoxe, comme de tant d’autres qui caractériseront la vie littéraire italienne jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : autant la littérature italienne est alors riche en œuvres et en écrivains de valeur, autant la culture italienne, sous la férule de Benedetto Croce*, se révèle incapable de prendre conscience de ces valeurs et de renouveler ses instruments critiques à leur contact. Le cas de Svevo* est en ce sens exemplaire : découvert in extremis, trente ans après ses débuts, par James Joyce, il fut consacré à Paris, comme plus tard Ungaretti* et Pirandello*. Trieste, patrie de Svevo et de Saba, ouverte à toutes les influences européennes et coupée de l’Italie, témoigne emblématiquement de l’isolement de la littérature moderne italienne entre les deux guerres. Isolement, de surcroît, non seulement culturel par rapport à la critique officielle, mais aussi de province à province, d’une ville à l’autre ; si bien qu’un découpage géographique de la littérature contemporaine italienne se révélerait souvent plus pertinent qu’un classement chronologique.

À Florence, cependant, au plus fort du raidissement dictatorial mussolinien, au sein des revues Solaria (1926-1936), puis Letteratura (1937) se regroupent des écrivains de toutes provenances qui, plutôt qu’une école, composent pour la première fois une authentique société littéraire italienne, de culture européenne et se réclamant de celle-ci dans sa résistance à la non-culture fasciste. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les premiers écrits de Pavese* et de Gadda*, que se poursuit l’œuvre d’Umberto Saba (1883-1957) et de Montale*, que naît l’« hermétisme », mouvement qu’animent les poètes Mario Luzi (né en 1914), Carlo Betocchi (né en 1899), Alessandro Parronchi, Alfonso Gatto (né en 1909), Vittorio Sereni (né en 1913), Piero Bigongiari (né en 1914) et qui jette de façon décisive les bases de l’historiographie poétique du xxe s. (cf. P. Bigongiari, Poesia italiana del novecento, 1960 ; O. Macri, Realtà del Simbolo, 1967) en s’interrogeant sur ses origines : de Campana* et Saba à Arturo Onofri (1885-1928), Clemente Rebora (1885-1957), Vincenzo Cardarelli (1887-1959), Camillo Sbarbaro (1888-1967), Piero Jahier (1884-1966), Ungaretti, Montale et Quasimodo* (tandis que dans le sillage de Sanguineti les néo-avant-gardes se cherchent plutôt des parentés du côté du futurisme, et surtout des « Crepuscolari » : Guido Gozzano [1883-1916], Colloqui ; Sergio Corazzini [1886-1907] ; Corrado Govoni [1884-1965]). C’est également à l’époque de « Solaria » que remontent les débuts de Gianna Manzini (née en 1896 ; La Lettera all’editore) et de la plus douée des romancières italiennes contemporaines : Anna Banti (née en 1895 ; Artemisia, Campi Elisi). Les romans d’Elsa Morante (née en 1918 ; L’Isola di Arturo, Menzogna e sortilegio) appartiennent au contraire à l’après-guerre.

Si l’on dresse un premier bilan de la littérature italienne du xxe s. à la veille de la libération, on s’aperçoit qu’elle a déjà produit nombre de ses textes fondamentaux. Au théâtre, avec Pirandello ; avec Ungaretti et Montale, autour desquels gravite désormais la poésie moderne ; dans le roman, avec Svevo, Federigo Tozzi (1883-1920 ; Tre croci, Il Podere), Giuseppe Antonio Borgese (1882-1952 ; Rubé), Corrado Alvaro (1895-1956 ; Gente in Aspromonte, Vent’anni), Buzzati*, Aldo Palazzeschi (né en 1885 ; Il Codice di Perelà, Sorelle Materassi), Giovanni Comisso (1895-1969 ; Gente di mare, 1928 ; Giorni di guerra, 1930), Riccardo Bacchelli (né en 1891 ; Il Mulino del Po), Alessandro Bonsanti (né en 1904 ; Racconto militare), Moravia*, et s’ils ne les ont pas encore publiés en volume, Romano Bilenchi (né en 1909), génial précurseur du néo-réalisme et de Pavese, a déjà écrit ses Racconti, et Gadda La Cognizione del dolore et Quer pasticciaccio brutto de via Merulana. Mais, à cette date, si les textes existent, ils demeurent épars, ils n’ont pas encore été intégrés dans un contexte culturel unitaire qui fonde la littérature moderne italienne comme telle. Cette prise de conscience sera l’œuvre des générations suivantes. À cet égard, l’opération critique de G. Contini assignant à l’écriture de Gadda une fonction cardinale dans la littérature moderne italienne est historiquement aussi importante que l’œuvre entière de Pavese ou celle de Pasolini*, pour ne citer que les plus grands. De même, elles ont enrichi la bibliothèque des années 60 de quelques-uns de ses plus beaux textes.

Au moins trois générations littéraires se sont déjà succédé depuis 1945. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (guerre dont Malaparte* fut le plus brillant chroniqueur), les néo-réalistes, se réclamant de Gramsci* et influencés par les techniques du roman américain, s’attachent à transcrire la vie quotidienne et le langage du peuple et de la petite bourgeoisie : Carlo Levi (né en 1902 ; Cristo si è fermato a Eboli, Le parole sono pietre) ; Elio Vittorini (1908-1966 ; Il Garofano rosso, Le Donne di Messina), Vasco Pratolini (né en 1913 ; Cronache di poveri amanti, Le Ragazze di Sanfrediano, Metello), Pavese ; Beppe Fenoglio (1922-1963), le plus puissant romancier de sa génération, a écrit l’épopée de la Résistance (I Ventitre Giorni della città di Alba, Il Partigiano Johnny, La Paga del sabato).