Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

anémie (suite)

Les anémies hypochromes

Elles sont définies actuellement par une concentration corpusculaire hémoglobinique moyenne inférieure à 30 p. 100, alors que la normale est de 34 ± 2 p. 100. La valeur globulaire, autrefois utilisée, est en fait une donnée fausse. Ces anémies sont habituellement microcytaires, avec un volume globulaire moyen inférieur à 80 microns cubes (normalement 86 à 96 microns cubes) ; les hématies sont pâles sur l’étalement.

Si le fer sérique est inférieur à 60 microgrammes, on dit qu’il s’agit d’une anémie sidéropénique. La forte diminution des réserves de fer explique le faible coefficient de saturation de la sidérophiline, alors que cette protéine elle-même est augmentée. Cliniquement, on retrouve une asthénie, un certain degré de pâleur avec parfois koïlonychie (déformation de l’ongle, dont la surface devient concave), une sécheresse des muqueuses entrant dans le cadre d’un syndrome de Plummer-Vinson. Les causes le plus fréquemment trouvées en sont avant tout des hémorragies distillantes, qu’il convient de rechercher soigneusement (hémorragies génitales, urinaires, intestinales). Parfois, il s’agit de carences alimentaires telles qu’on peut en observer au cours de la grossesse ; plus rarement, une malabsorption digestive par achylie (absence de chyle) gastrique, après gastrectomie, par exemple, est incriminée. En fait, ce problème quotidien de médecine générale n’est pas toujours résolu, et l’on parle d’anémies hypochromes ferriprives idiopathiques, plutôt que de la classique « chlorose essentielle des jeunes filles ». Le traitement consiste dans l’administration orale de sels ferreux (thérapeutique martiale).

Par ailleurs, il existe des anémies hypochromes hypersidérémiques (avec fer sérique élevé) par trouble de la formation d’hémoglobine, qui peut siéger à divers niveaux, avec accumulation de fer non héminique. Parmi les causes de ces anémies, on relève, outre des hémoglobinopathies dans leurs formes hétérozygotes (voir plus loin anémies hémolytiques), les intoxications par le plomb, ou saturnisme, d’exceptionnelles carences en vitamines B6 et de rarissimes anémies sidéroblastiques héréditaires. De plus, bon nombre d’anémies observées au cours des maladies infectieuses sont à rattacher à ce type, en raison d’une mauvaise réutilisation du fer accumulé dans les cellules réticulo-endothéliales.


Les anémies macrocytaires mégaloblastiques normochromes

Elles se caractérisent par un volume globulaire moyen supérieur à 96 microns cubes et un diamètre moyen des hématies supérieur à 8 microns, tandis que la concentration corpusculaire hémoglobinique moyenne reste normale. On considère en effet, aujourd’hui, qu’il n’existe pas d’anémies hyperchromes de ce type. On note souvent aussi une leucopénie, et sur l’étalement de gros polynucléaires hypersegmentés. Le myélogramme (examen de la moelle osseuse) est ici absolument nécessaire pour préciser la cause de l’anémie.

En France, la principale cause est indéniablement l’anémie de Biermer, due à un défaut de sécrétion du « facteur intrinsèque » gastrique, probablement d’origine immunologique, cela étant peut-être la conséquence d’un désordre génétique. Les symptômes de la maladie de Biermer sont les suivants : pâleur intense des téguments et des muqueuses, langue dépapillée (glossite vernissée de Hunter), troubles gastriques, témoignant de l’anachlorhydrie, et neurologiques, allant d’une simple abolition des réflexes achilléens à une sclérose combinée de la moelle avec paraplégie et ataxie (syndrome neuro-anémique). Les examens hématologiques révèlent une anémie très marquée, parfois inférieure à un million de globules rouges par millimètre cube, avec anisocytose, macrocytose, poïkilocytose et polychromatophilie. Surtout, on retrouve des mégaloblastes dans le sang périphérique et dans la moelle. Par ailleurs, l’anachlorhydrie gastrique résiste aux injections d’histamine, et l’on peut déceler des anticorps dits « anti-muqueuse gastrique ». Le dosage microbiologique de la vitamine B12 reste encore du domaine des laboratoires très spécialisés, de même que les épreuves d’absorption de vitamine B12 marquée par un radio-isotope au cobalt.

Sur le plan physiopathogénique, il faut retenir les travaux de Castle, Whipple, Minot et Murphy. Wipple, en 1924, montra que le foie de veau était le meilleur aliment réparateur de l’anémie expérimentale du chien. Minot et Murphy, en 1926, prouvèrent que l’anémie de Biermer était également curable par l’ingestion de foie de veau. Castle, en 1928, découvrit en faisant ingérer à des biermériens de la viande macérée dans le suc gastrique qu’il réparait leur anémie. En revanche, après ingestion de l’un ou l’autre isolément, il n’y avait aucune action, et la viande macérée dans du suc gastrique de biermériens était inopérante. Ainsi était découverte la présence d’un facteur antipernicieux, nécessaire à la maturation globulaire et résultant de l’interaction d’un facteur intrinsèque contenu dans le suc gastrique et d’un facteur extrinsèque contenu dans la viande et assimilé à la vitamine B12, isolée en 1948 à partir du foie. La conduite thérapeutique découle de ces constatations physiopathologiques : l’administration parentérale de vitamine B12 est indispensable à la survie des malades atteints d’anémie de Biermer, alors que la prise orale est inactive. Succédant aux doses d’attaque qui sont fonction de l’intensité de l’anémie à réparer, la dose d’entretien dépend évidemment des besoins individuels.

On rapproche de l’anémie dite « pernicieuse » de Biermer certaines anémies mégaloblastiques observées après gastrectomie totale (constante) ou partielle (consécutive à une gastrite du moignon ou à une malabsorption). Lorsqu’il n’y a pas d’achylie et que l’épreuve au cobalt marqué (test de Schilling) n’est pas concluante, il convient de rechercher une carence en acide folique, ce qui ne peut être réalisé que par la pratique d’un test de charge à l’histidine. Si l’acide folique ne peut être considéré comme le facteur antipernicieux, son action sur l’érythropoïèse et sur la leucopoïèse est indiscutable, au même titre que celle du facteur antipernicieux, et, comme ce dernier, il se trouve stocké dans le foie. Cela explique certaines interférences avec la carence en vitamine B12 et en cas d’affection hépatique. Mais lorsque le test à l’histidine est franchement positif (élimination d’un métabolite intermédiaire dans les urines), il faut s’en tenir au diagnostic de carence folique et tenter de lui assigner une cause. Tout d’abord, on évoque une carence alimentaire, bien classique en zone tropicale, non exceptionnelle en Europe (de nombreuses observations ont été faites à ce propos dans les pays anglo-saxons), mais alors souvent associée à d’autres carences protidiques ou calciques. Les malabsorptions intestinales sont ensuite à rechercher ; elles pourraient être confirmées par biopsie jéjunale (sprue tropicale, entéropathies exsudatives). Un accroissement des besoins peut également être à l’origine de telles anémies (grossesse, hémolyses ou certaines hémopathies malignes). Il faut encore penser à une cause médicamenteuse telle que la prise d’antiépileptiques ou d’antifoliques. Enfin, on peut incriminer exceptionnellement les cirrhoses.