Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Istanbul (suite)

En même temps, cette population s’est homogénéisée. La capitale ottomane, de par les conditions mêmes de son repeuplement, était une extraordinaire mosaïque de langues et de religions. Les populations chrétiennes comptaient au milieu du xvie s. pour 40 p. 100 de la population, et celle-ci s’était accrue dans la seconde moitié du xixe s. avec l’afflux des Européens. Au début du xxe s., les musulmans n’étaient sans doute guère plus de 500 000, en face de 200 000 Grecs, de 180 000 Arméniens, de 65 000 israélites, de 70 000 Européens et de 130 000 « Levantins », terme désignant la population minoritaire européanisée de langue et de coutumes, mais restée de nationalité turque. Le départ progressif des colonies européennes, l’exode partiel des minoritaires grecs et arméniens (et, en dernier lieu, l’expulsion, avec la querelle chypriote, de tous les Grecs qui avaient la nationalité hellène), l’afflux parallèle de population turque anatolienne ont radicalement transformé ces données. Les musulmans comptaient pour 70 p. 100 de la population en 1935, pour 86 p. 100 en 1955 et comptent pour plus de 90 p. 100 aujourd’hui.


Les fonctions

Cette reprise démographique s’explique, bien que le ville ait perdu depuis la Première Guerre mondiale sa fonction politique de capitale de l’Empire ottoman et bien qu’elle apparaisse marginale dans une république turque repliée sur l’Anatolie et qui réserva longtemps ses faveurs à sa nouvelle capitale d’Ankara, par la permanence d’un certain nombre de fonctions majeures. Istanbul reste la capitale économique de la Turquie et en est le premier port, avec un trafic de près de 3 Mt, soit le quart du trafic total des ports turcs, dont plus de 80 p. 100 aux importations, qui représentent plus de la moitié des importations totales du pays. La fonction portuaire est ainsi essentiellement une fonction d’alimentation de l’agglomération et de redistribution des produits importés, en rapport avec l’importance du marché de la cité et la permanence des organismes de liaison entre la Turquie et l’extérieur (sociétés d’importations), qui restent localisés dans la ville. Le cabotage compte pour le tiers dans le trafic total du port. Istanbul est d’autre part un grand port de passagers (400 000 par an), tête de lignes maritimes intérieures et extérieures.

Istanbul est ensuite, et de loin, la principale concentration industrielle du pays, créant environ 30 p. 100 de la valeur de la production industrielle. Celle-ci reste d’ailleurs en grande partie d’origine artisanale. Mais le tableau industriel est très varié et comporte toute la gamme des industries de consommation. La prépondérance d’Istanbul est particulièrement accusée pour l’industrie du cuir et des peaux (85 p. 100 du total turc), du papier (88 p. 100), du matériel électrique (78 p. 100), de la métallurgie différenciée (70 p. 100). La part est plus faible pour le textile et les industries alimentaires. La main-d’œuvre du secteur secondaire ne représente cependant que 21 p. 100 de la population active.

Le rôle culturel, enfin, reste capital. Istanbul est de loin la plus importante ville universitaire du pays et également le plus important centre de presse et d’édition.

X. P.

➙ Byzantin (Empire) / Constantinople.

 R. Mayer, Byzantion-Konstantinopolis-Istanbul. Eine genetische Stadtgeographie (Vienne, 1943). / R. Mantran, Istanbul dans la seconde moitié du xviiie s. (A. Maisonneuve, 1963). / R. Stewig, Byzanz-Konstantinopel-Istanbul. Ein Beitrag zum Weltstadtproblem (Kiel, 1964). / P. et H. Willemart, Istanbul (Desclée De Brouwer, 1970).


L’art islamique à Istanbul

Des dizaines de mosquées, des madrasa, des bibliothèques, des hôpitaux, des mausolées, des caravansérails, des bains, des fontaines, des châteaux forts, des palais, tous disposés avec un souci d’urbanisme et en fonction du paysage, font d’Istanbul une des plus riches cités du monde musulman. Dans la capitale de l’Empire ottoman, l’architecture officielle se caractérisait par un bel appareillage de pierres (alternant, parfois, avec la brique), par des dômes hardis et savants, par l’indigence du décor sculpté, souvent par la beauté des revêtements de céramique. Quant aux maisons, elles étaient en bois peint, largement ouvertes sur l’extérieur : on en trouve encore quelques-unes, en particulier dans les îles des Princes et sur les rives du Bosphore.

Nous possédons assez peu de monuments du xve s. : le gracieux palais de Çinili Köşk, les deux forteresses du Bosphore (Rumelihisar et Anadoluhisar), le château des Sept Tours, du moins selon A. Gabriel, qui ne le juge pas byzantin. Mais Topkapı apporte aussi son témoignage. Ce palais peut, d’une certaine manière, résumer l’histoire de l’architecture de la ville. Il a été commencé peu après 1453, mais il ne reste guère des premières constructions que la romanesque porte extérieure (Babihümayun) et sans doute la mosquée des Aǧa (faïences de 1608). Le harem forme une masse dense de bâtiments aménagés par Soliman le Magnifique, mais contient des appartements plus récents (chambre d’Ahmed III, xviiie s.). La partie publique comprend des pavillons sur terrasses : kiosques d’Erevan (1635), de Bagdad (1639), salle du Conseil (1527), nouveau kiosque (1840). Les cuisines de Sinan (xvie s.), pour l’architecture, les salles d’audience et de circoncision (xve-xviiie s.), pour le décor de faïences, sont les éléments les plus beaux de ce palais.

Au début du xvie s., la mosquée de Bayezid (Beyazit camii), avec sa cour carrée, sa grande salle de prières, l’abondance des petits dômes et son couronnement en vaste coupole butée sur des demi-coupoles, présente déjà le type classique de la grande mosquée ottomane, aboutissement d’un vieil effort de recherche, stimulé, après 1453, par l’exemple de Sainte-Sophie. L’ambition des architectes est d’égaler la basilique byzantine en majesté, tout en l’allégeant par des coupoles surhaussées, des fenêtres multiples, des minarets effilés et en la rendant mieux apte au culte musulman. Mimar Sinan, le plus grand architecte turc (1489-1578 ou 1588), auteur, à Istanbul également, de bains (Haseki Hamamı, 1553) et de madrasa, tire les conséquences extrêmes des travaux de ses devanciers : à la mosquée de Chāh Zade (Şehzade camii) [1544-1548], la coupole centrale est butée sur quatre demi-coupoles. Le chef-d’œuvre du maître est cependant d’un plan plus archaïsant : la mosquée. Suleymaṇiye, dont les annexes (tombeaux, madrasa, etc.) forment tout un quartier de la ville (1550-1557). Bien d’autres édifices doivent être mentionnés ; ainsi la mosquée (célèbre pour ses céramiques) et la madrasa de Rustem Pacha, toutes deux de Sinan (v. 1550), la mosquée de Sokullu Mehmed Paşa (1571) ou encore l’Eski Valide d’Üsküdar, sur la rive asiatique (1583). C’est en reprenant avec moins de science, mais plus de brio, le plan de Şehzade camii qu’est érigée de 1609 à 1616 la mosquée de Sultan Ahmed (dite mosquée Bleue), un des plus célèbres monuments de la ville.